« Les classes ne sont pas des laboratoires ; les élèves ne peuvent être réduits à un statut de « cobayes » sur lesquels on exerce une action pour en voir les effets ». Le rapport des inspecteurs généraux Viviane Bouysse et Gilles Pétreault sur l’évaluation des dispositifs PARLER et ROLL remet en cause la politique initiée par le précédent directeur de l’enseignement scolaire, JM Blanquer. Il explique pourquoi ces expérimentations ne sont pas généralisables matériellement mais aussi sur un plan éthique. C’est une page qui se tourne.
Le rapport porte sur deux expérimentations mises en place par JM Blanquer. Le dispositif PARLER a été inventé par le docteur Zorman. » Il s’agit d’un « enseignement explicite et systématique de la conscience phonologique et du code alphabétique ainsi que son utilisation intensive et fréquente […] aussi bien en lecture qu’en production d’écrits. Parallèlement, un enseignement explicite de la compréhension et du vocabulaire de l’écrit oralisé est réalisé » » Le Réseau des Observatoires Locaux de la Lecture (R.O.L.L.) a été mis en place à l’initiative d’Alain Bentolila. « Le dispositif vise d’abord à une amélioration de la compréhension en lecture, au départ pour des élèves de cycle 3 et de sixième, à travers la mise en oeuvre d’ateliers de questionnement, d’entraînements et d’activités de pratiques culturelles de la lecture. Des ressources numériques, théoriques et pratiques, pour la conduite des activités sont mises à disposition de réseaux d’enseignants animés par des tuteurs coordonnés au niveau territorial et national ».
Une efficacité difficile à évaluer
Le rapport souligne la difficulté à évaluer l’efficacité réelle de ces dispositifs. Ainsi PARLER a été évalué très positivement lors d’une première expérimentation portant sur 105 enfants entre 2005 et 2008. Mais une seconde expérimentation portant sur 44 classes de l’académie de Lyon est beaucoup moins concluante. » Sur toutes les dimensions évaluées lors de la deuxième session, il n’y a pas de différence significative entre le groupe test et le groupe témoin, lorsque l’on contrôle des résultats obtenus à la première session ». Tout cela n’a pas empêché la Dgesco et l’association Agir pour l’école de passer à 200 classes à la rentrée 2011 dans académies. L’évaluation faite en 2012 par le ministère montre des effets variables selon les circonscriptions et positifs en grande section de maternelle pour la reconnaissance des lettres, les habiletés phonologiques et la lecture de pseudo-mots par voie non lexicale. A d’autres niveaux (CP par exemple) l’évaluation reste à faire.
Le projet ROLL est expérimenté sur 100 000 élèves avec d’importants moyens. L’évaluation qui en est faite est scientifiquement douteuse. « Les progrès des élèves en difficulté sont significatifs même si leur score en fin d’année reste en deçà du résultat moyen ».
La classe et le laboratoire
Evidemment on remarque pour ces deux expérimentations la baisse des résultats dès que l’on sort du laboratoire pour une certaine généralisation. Ce n’est pas faute d’enthousiasme des enseignants. Ils sont rassurés par des formes d’enseignement hyper explicites où « le professeur dit le savoir, fait répéter individuellement ou en choeur de manière très fréquente ». Il est souligné dans le rapport. Mais le changement n’est aps que d’échelle. En passant dans des écoles ordinaires, l’expérimentation rencontre la culture scolaire. L’Inspection parle de passage des pratiques aux représentations. » L’appropriation que les enseignants ont (de ces méthodes) est très dépendante de la formation qu’ils ont reçue et de l’accompagnement dont ils bénéficient », note le rapport. Il souligne par exemple que les procédures hyper rigoureuses sont mal comprises, ou suivies à la lettre jusqu’à l’absurde. » À eux seuls cependant, les outils ne font pas une pratique, ni ne la transforment vraiment, si les fondements théoriques qui leur confèrent des « principes actifs » ne sont pas assimilés, si les enjeux auxquels ils répondent précisément ne sont pas complètement éclaircis », écrit l’Inspection. « Et si l’on peut parfois voir de remarquables usages qui s’appuient sur de piètres outils, l’enquête a été une nouvelle fois l’occasion d’observer des utilisations calamiteuses de protocoles satisfaisants ou de supports pédagogiques intéressants ».
L’expérimentation et l’Ecole
Le rapport souligne aussi l’inadaptation de ces expérimentations à ce qu’est l’Ecole. » Dans les deux cas, la mise en oeuvre des dispositifs bouleverse la conception traditionnelle de la classe en imposant des formes de travail qui peuvent permettre une réelle différenciation. Si la proportion du temps impacté reste modérée dans un cas, elle est très forte pour l’autre. Cet exemple d’enseignement modulaire, qui donne à voir des conséquences sur le champ disciplinaire dans lequel il s’inscrit et sur le temps des autres disciplines, est difficilement conciliable avec la conception des programmes et des horaires telle que notre histoire scolaire l’a établie. Avancer dans cette voie, qui peut paraître adaptée pour remédier aux nombreux échecs précoces et au décrochage, suppose de repenser profondément le dispositif traditionnel d’enseignement », écrivent les rapporteurs.
En fait ces expérimentations consomment un temps important qui est dévolu dans les programmes aux autres disciplines. Les progrès obtenus s’expliquent aussi par le fait que l’enseignement est focalisé par les seuls objectifs des programmes qui absorbent totalement l’énergie des enseignants et des élèves. Aussi l’Inspection rappelle que l’éducation ne se résume pas au lire-écrire.
L’Inspection relève encore deux points qui marquent l’inadaptation de ces méthodes à l’Ecole. Et d’abord leur coût. Il est élevé en terme de formation des enseignants puisqu’ils doivent suivre des processus très contraignants et précis. Mais aussi le coût par élève car chaque méthode nécessite l’achat d’un matériel pédagogique coûteux (on parle de 8000 euros par commune). Enfin l’Inspection souligne le problème éthique posé par ces expérimentations.
Sans conclure sur le renouvellement ou non de ces expérimentations, le rapport appelle à une « réflexion » de l’institution. Gageons que celles-ci devraient être stoppées durant le temps de celle-ci.
François Jarraud