Maîtresse de conférences en sciences du langage en IUFM et au CNRS, Mireille Brigaudiot réagit au « guide pour l’animation de la demi-journée de consultation sur le projet de programme pour l’Ecole maternelle ». Pour elle ce guide ne prend pas en charge toutes les dimensions attendues en ce qui concerne l’apprentissage du langage écrit.
Si j’adhère totalement au principe de la consultation des enseignants pour un texte qui sera la base de leur travail, je m’étonne de certaines questions du guide officiel qui leur est adressé par le ministère. Ce guide comporte 22 questions. Aucune ne porte sur « Explorer le domaine du vivant, des objets et de la matière »… Pas important? La seule question relative à « Organiser et prendre des repères » concerne le nombre. Et l’espace ? Et le temps ?? Facultatifs ?
Mon interrogation principale concerne le langage écrit, rebaptisé « Préparation à la lecture et l’écriture », en 18.2, sans doute une erreur dactylographique… Après ce nouveau titre, une parenthèse attire l’attention des enseignants sur 5 points : (conscience phonologique, approche des sons, relations entre l’oral et l’écrit, principe alphabétique, premiers apprentissages de l’écriture cursive…). Cela donne l’impression que seuls ces points sont intéressants pour l’écrit en maternelle. Or 4 d’entre eux concernent le code. Un hasard ?
Il est bon de revenir au projet de texte Langage, dans lequel « l’approche des sons » n’est jamais envisagée, et pour cause ! On y précise que « ce qui est visé en fin de maternelle n’est que la découverte du principe alphabétique et non l’apprentissage systématique des relations entre formes orales et formes écrites ». Et c’est dans le même esprit et tout aussi volontairement que dans l’objectif 4 relatif à l’oral, les enfants peuvent manipuler des syllabes, alors que « cette conscience phonologique leur donnera les moyens d’isoler des unités plus difficilement perceptibles, les phonèmes, lorsqu’ils en auront besoin au cycle 2 ». Pour les auteurs du projet, il n’y a pas « d’approche des sons » en maternelle. Les maîtres ont bien mieux à faire.
En effet, dans le projet, l’écrit appartient au domaine Langage et il comporte finalement 4 zones de travail:
– tous les « apprivoisements » à l’écrit que l’on doit faire avec de jeunes enfants, surtout avec ceux qui n’appartiennent pas à des milieux familiaux favorisés,
– toutes les activités essentielles avec les livres et qui aboutissent à ce qu’on appelle « première culture littéraire » et que seule l’école apporte à certains enfants,
– tous les moments où les enfants sont en relation avec le bas niveau de l’écrit, le code,
– les entraînements graphiques qui sont, non pas des activités langagières, mais des activités gestuelles.
Dans le questionnaire, les enseignants ne sont consultés que sur les 2 derniers points. Or si l’ambition des nouveaux programmes est la réduction des inégalités en matière de langage, les 2 premières zones de travail sont absolument centrales. Je regrette que les enseignants ne soient pas consultés à leur sujet. Heureusement, l’application permet d’agrandir le cadre « Observations complémentaires » et j’espère qu’ils ne s’en priveront pas.
Pour ce qui est de l’écriture cursive, la question est différente. Ce sont les enseignants eux-mêmes qui disent qu’elle n’est pas à la portée des enfants jeunes. Mon analyse est que s’agissant d’un pur entraînement moteur, il est trop peu pratiqué, notamment en raison des ateliers tournant dans lesquels les enfants doivent « tous passer ». A raison d’un groupe d’ateliers par jour, sur une semaine de 4 jours et demi, avec 6 groupes d’enfants, chacun « passe » parfois dans un atelier une seule fois par semaine. Or cet entraînement nécessite une pratique quotidienne. Et comme par ailleurs cette capacité motrice est fortement liée à celle du dessin (représentation graphique à l’aide de traits), les enfants des familles favorisées ont tout ce qu’il faut à la maison : avec un bureau, des feutres, des parents qui affichent les dessins dans la maison et félicitent leurs enfants, ils s’auto-entrainent. Je pense donc que la non-habitude d’écriture cursive en maternelle sera discriminante au détriment des enfants de milieux défavorisés. Pourtant ce n’est pas difficile, il suffit de prendre l’habitude d’en faire des séances collectives quotidiennes, même si tous les enfants n’ont pas les mêmes exercices.
Je souhaite une large participation des collègues à cette consultation. Je sais qu’ils seront attentifs au fait que le questionnaire, d’une part efface la dynamique et l’ambition d’une belle école maternelle comme on l’aime, d’autre part propose des parties qui, une fois accumulées, ne correspondent pas au tout.
Mireille Brigaudiot
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