Dans un courrier daté du 19 septembre, le recteur de Versailles informe Farida Belghoul, une enseignante qui est à la tête du mouvement de la Journée du retrait de l’école (JRE), qu’il engage des poursuites disciplinaires contre elle. S’il semble incompatible de travailler pour l’Education nationale et en même temps à sa perte, l’initiative rectorale pose une question plus large : celle du devoir de réserve des fonctionnaires. Une victoire du rectorat pourrait bien alors devenir à la fois une victoire pour l’Ecole et une défaite pour beaucoup d’enseignants.
Dans son courrier, le recteur de Versailles justifie l’engagement de la procédure par « le manquement au devoir de réserve et de loyauté incombant aux fonctionnaires par la tenue de propos déplacés tenus à l’encontre de la ministre, par l’incitation des parents à retirer leur enfant de l’école une journée par mois en méconnaissance de l’obligation d’assiduité des élèves ». Il se base sur la loi Le Pors du 13 juillet 1983.
Qu’en est -il du devoir de réserve ?
Celle-ci garantit dans son article 6 la liberté d’opinion des fonctionnaires et n’inclut justement pas le fameux devoir de réserve. La loi se borne à détailler la procédure disciplinaire. Le devoir de réserve est défini non par la loi mais par la jurisprudence.
Selon le cabinet Krust Penaud, celle-ci a notamment sanctionné les propos injurieux ou violents, un cas de figure pour F Belghoul, la critique publique par l’agent de la gestion ou du fonctionnement de son administration, autre cas possible, et l’exposition publique de ses différends avec son administration. Mais Maître Stéphane Penaud rappelle aussi que dans de nombreux cas, aucune plainte n’a été déposée. » Toutefois la mansuétude de l’administration semble avoir été réservée à des agents haut placés, bénéficiant déjà d’une forte notoriété médiatique », ajoute-il. « En effet, plusieurs affaires récentes ont montré toute la vigueur de l’obligation de réserve avec les sanctions disciplinaires, validées par le juge administratif, prononcées contre une policière de rang de la PAF, un gendarme ou une administratrice territoriale », alors même qu’un médecin chef de prison, un juge, un procureur, un général ou encore un ancien directeur de cabinet du premier ministre échappaient à toute sanction.
Quelle éthique pour l’enseignant ?
Finalement le choix de la poursuite administrative fait peser un risque qui va bien au-delà de F Belghoul. Il pourrait aboutir à une nouvelle jurisprudence défavorable aux nombreux enseignants qui animent un blog et renforcer le caporalisme déjà trop présent dans l’Education nationale. L’Etat avait matière à poursuivre la JRE et sa responsable par les voies de justice ordinaires. Des plaintes auraient d’ailleurs été déposées sans qu’on sache ce qu’elles deviennent. Cette affaire pose aussi la question d’un code d’éthique professionnel. Dans de nombreux pays, un code définit un comportement éthique de l’enseignant ou du fonctionnaire. Souvent il s’accompagne de restrictions à la liberté d’opinion. Par exemple, en Allemagne, l’interdiction de militer à l’extrème droite; en Angleterre l’obligation d’avoir un comportement « exemplaire ». En l’absence d’une charte éthique de la profession, c’est finalement la liberté d’expression que l’administration attaque. Du coté des amis de F Belghoul, la nouvelle de ces poursuites fait plutôt plaisir. Un lecteur y voit la preuve du complot judéo-maçonnique. Un autre dans la lettre de PY Duwoye une intervention diabolique. C’est peut-être un peu exagéré …
François Jarraud