Le numérique développe chez les jeunes l’habitude et le goût d’écrire : internet ne serait-il pas le lieu où transformer ces appétences en compétences d’écriture ? C’est le pari des « twictées » de Fabien Hobart, conseiller pédagogique ASH Nord en Seine-et-Marne, et de Régis Forgione, professeur à l’école élémentaire la Chapelle de Freyming-Merlebach. Ils ont adapté sur Twitter le principe de la dictée négociée : des défis orthographiques sont organisés entre classes francophones en ligne sur le réseau, les élèves utilisent aussi Twitter pour transmettre les justifications en 140 caractères et fixer ainsi les connaissances. Le dispositif invite à une pratique authentique, donc motivante, de la langue ainsi qu’à une réflexion partagée sur celle-ci : « le réseau social donne toute sa raison sociale à l’orthographe, qui est à la fois outil et objet d’apprentissage », « le format en 140 caractères est particulièrement rassurant et permet à l’élève d’exercer une vigilance orthographique lors de la rédaction et de la révision ». Le dispositif, original et stimulant, paraît aisément transférable, dans bien des niveaux et bien des domaines…
Comment est née l’expérience des twictées ?
Comme c’est souvent le cas, les twictées sont le résultat d’une conjoncture et d’un questionnement pédagogique. Conjoncture puisqu’il s’agissait à l’époque de pouvoir répondre à une commande institutionnelle, à savoir la rédaction d’un mémoire dans le cadre d’une certification professionnelle. À cette période, j’utilisais déjà très largement le site de micro-blogging Twitter, essentiellement pour de la veille institutionnelle et pédagogique. Cette fréquentation de la « salle des maître virtuelle » qu’est Twitter m’a poussé à intégrer le cercle très ouvert des enseignants de « Twittclasse », c’est-à-dire des professeurs utilisant Twitter avec leurs élèves pour conduire ou finaliser des séquences pédagogiques. À la faveur d’un « Conseil des maîtres 3.0 » organisé par Stéphanie Fontdecaba, je me suis étonné de la sous-représentation de dispositifs concernant l’enseignement de l’orthographe. Seule Ostiane Mathon proposait à ses élèves de publier, sans erreur, de courtes dictées sur Twitter, dictées accompagnées de remarques des élèves sur les corrections ayant pu être apportées. L’usage m’interpelle et fait écho à une réflexion engagée quelques années auparavant sur l’enseignement de l’orthographe grammaticale.
Fort de mes lectures, je cherchais en effet à proposer aux élèves une activité rituelle capable de faciliter l’acquisition des connaissances dans ce domaine. Mais au-delà de cette question des savoirs, j’ai cherché à développer chez les apprenants des stratégies efficaces d’anticipation des erreurs et plus encore de révision « spontanée » des écrits. « Relisez-vous ! » est en effet une injonction qui n’est que trop bien comprise par les élèves … qui relisent leurs écrits sans véritablement pouvoir effectuer un « balisage » du texte qui les conduirait à identifier des « zones de danger orthographique ». D’un point de vue pédagogique, il s’agissait de penser un dispositif où le « Relisez-vous ! » deviendrait « Maintenant, révisez votre écrit. » Par ailleurs, l’enseignement explicite de cette « vigilance orthographique » ne pouvait faire l’économie d’un questionnement sur le sentiment d’efficacité personnelle de l’élève face à un exercice cognitivement très coûteux, souvent perçu comme vertigineusement inaccessible à l’image de cet Everest qu’est le « Zéro faute en dictée ».
D’un point de vue scientifique et théorique, Michel Fayol, Jean-Pierre Jaffré ont posé les fondements au travers des apports de la psychologie-cognitive et de la linguistique. Catherine Brissaud et Danièle Cogis ont apporté quant à elles le cahier des charges didactique du dispositif à imaginer : différencier connaissances et mise en œuvre, mémorisation et capacité d’analyse, penser une progression pas-à-pas, minutieuse et personnalisée, évaluer positivement, engager collectivement et véritablement chacun des élèves dans une tache intellectuelle exigeante et faisant sens pour ce dernier dans un authentique acte d’écriture. Je me rends compte en l’écrivant que ce cahier des charges s’applique à n’importe quel dispositif pédagogique.
Concrètement, comment fonctionne le dispositif ?
Concrètement, les twictées, ou plutôt les défitwictées dans leur version collaborative et sociale reposent sur des phases de travail bien connues par les enseignants pratiquant les dictées négociées : les élèves font des propositions d’écriture (individuellement, en groupe) qu’ils soumettent à d’autres classes participant au « challenge orthographique » que représente la séquence twictée. Les propositions donnent lieu à une analyse et le cas échéant, à des corrections qui prennent la forme de petites justifications écrites : les #twoutils. Ces arguments orthographiques en 140 caractères sont au cœur du dispositif. Les twoutils se caractérisent par un format contraignant et une syntaxe « standard » qui doit faire apparaître le mot corrigé ainsi que la justification orthographique. Les notions (nature des mots, phénomène orthographique) apparaissent sous la forme de « mots balises » partagés par l’ensemble des classes et renvoyant aux connaissances du programme. L’organisation du défitwictée conduit chaque élève à produire et à être destinataire de twoutils dans une même dictée partagée avec des élèves venus des quatre coins de la francophonie (Québec, Maghreb, bientôt Afrique subsaharienne mais aussi Moselle, Région parisienne …).
Quels vous semblent être les intérêts d’une telle utilisation de Twitter ?
Au-delà de ce double mouvement d’émission et de réception des justifications écrites, tantôt individuelles, tantôt collectives, l’universalité de l’objet d’apprentissage agit comme un catalyseur de motivation et donne du sens aux stratégies de chacun, de tous. J’aime à dire que le « réseau social donne toute sa raison sociale » à l’orthographe qui est à la fois outil et objet d’apprentissage. Les classes publient sur Twitter pour communiquer sur leur actualité. Le texte à éditer constitue la dictée, véritable situation problème orthographique, point de départ de la séquence. Le format en 140 caractères est particulièrement rassurant et permet à l’élève d’exercer une « vigilance orthographique » lors de la rédaction et de la révision. Parallèlement, les twictées permettent d’engager avec les élèves une réflexion sur l’éducation à la publication, sur leur identité numérique, ce qui amène naturellement à proscrire l’erreur d’orthographe dans un « tweet ». Ce travail d’éducation à la publication et d’accompagnement des élèves dans un usage raisonné des réseaux sociaux, nous y tenons particulièrement !
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui seraient tentés de se lancer dans l’aventure ?
De se lancer, mais aussi … de se lancer ! Plus sérieusement Régis Forgione et moi (mais également de plus en plus de collègues contributeurs) publions régulièrement sur un blog dédié des ressources variées détaillant le dispositif. Une émission du podcast Nipédu a également été consacrée aux twictées. Enfin, il suffit d’utiliser une des balises #twictée, #défitwictée ou de se signaler sur Twitter à @profdesecoles ou @karabasse77, nos comptes utilisateurs sur Twitter, pour pouvoir participer à l’aventure. Sinon il me semble intéressant de faire soi-même un peu ses armes sur Twitter avant de proposer le dispositif, par exemple en créant un compte professionnel, en identifiant des comptes intéressants : comptes de twittclasses, de collègues, de chercheurs, de bloggeurs autour des questions d’Éducation, de comptes plus institutionnels …
Pour le reste, la construction, la mise en œuvre et l’évaluation collaborative des séquences par le biais de solutions connectées simples et usuelles place souvent le collègue dans une posture de type » learning by doing » où l’on apprend en faisant, où l’on fait pour apprendre … c’est tout l’esprit des Twictées ! Enfin il me semble important de rappeler que si le dispositif peut apparaître comme très « numérique », il n’en reste pas moins une scénarisation pédagogique qui nécessite surtout des crayons de bois bien taillés, un peu de papier, au mieux du matériel effaçable pour les élèves les moins en confiance. En classe, le smartphone de l’enseignant avec sa connexion cellulaire suffira largement pour finaliser la séquence et participer aux défitwictées.
Quels autres usages pédagogiques de Twitter avez-vous explorés ? De manière générale, que vous semblent susceptibles d’apporter les réseaux sociaux en classe ?
Vous avez raison de parler d’usages. Aujourd’hui les solutions numériques dont les réseaux sociaux font partie, autorisent avec beaucoup de souplesse la mise en œuvre de dispositifs de création simples qui motivent les élèves. À l’image de la métaphore de la Ferme numérique , l’élève devient contributeur universel, il produit des ressources pour lui, pour la communauté éducative proche, pour le monde entier. Il a, dans son unicité, toute sa place dans un réseau de connaissance universel. Ici c’est la question du sens des apprentissages et du rapport au savoir qui est centrale.
La question des connaissances, pollinisées par les médias actuels et dont l’enseignant ne peut plus être le seul transmetteur, recentre l’apprentissage sur les compétences à construire. L’inversion de ces flux redéfinit la place de l’enseignant, plus disponible pour individualiser son accompagnement et orchestré la partition qu’il a imaginé, interprétée à leur manière par chacun de ses élèves. Vous comprendrez donc pourquoi je ne donne pas d’autres exemples d’usage de Twitter en classe ! D’abord parce qu’ils sont assez simples à trouver pour qui veut bien lorgner de ce côté-là de la pédagogie, mais surtout parce que je suis beaucoup moins à même que chaque collègue face à sa propre classe d’imaginer un bon scénario pédagogique en appui sur les réseaux sociaux. Comme le dit Laurence Juin, pionnière de l’utilisation de Twitter en classe pour l’hexagone : « C’est le numérique qui s’adapte à ma pédagogie, et non l’inverse ».
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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