>> Page précédente (11 avril 2006)
La clôture ce mercredi 12 Avril, des premières rencontres francophones sur le e-porfolio a, fort logiquement, débouché sur le besoin ressenti par les participants de ne pas en rester là.
Faut-il aller vers une spécificité francophone, ou autre, dans le e-portfolio ? Y a t-il des spécificités culturelles à ce e-portfolio qui en ferait un objet singulier ? A ces questions, si les participants ont reconnu les barrières linguistiques, ils ont surtout mis en évidence que les spécificités culturelles étaient plutôt liées au contexte d’émergence qu’au portfolio lui-même.
D’ailleurs cela se remarque d’autant plus que la notion de e-portfolio recouvre plusieurs réalités, justement liées aux initiateurs de ces démarches. Que ce soit une université pour ses étudiants, un groupe social pour l’échange des savoirs et des compétences, un état qui veut encadrer l’enseignement, ou des entreprises de recrutement de personnel qui veulent uniformiser leurs pratiques, les initiatives ne recouvrent pas les mêmes réalités.
Hormis une qui est apparue en particulier pour les participants qui connaissent les mêmes rencontres dans le cadre anglophone, la logique des compétences. C’est cette dimension qui semble émerger progressivement, même si, dans le milieu scolaire en particulier, on reste parfois assez loin de ces préoccupations. Une présentation d’un e-portfolio par une enseignante du secondaire a mis en évidence qu’elle n’utilisait pas l’option compétences de son e-portfolio, mais qu’elle notait les contenus que les élèves déposaient sur leur portfolio.
Plusieurs autres présentations du même univers ignoraient largement cet aspect des choses : les compétences restent encore de côté, alors que progressivement les programmes, en particulier dans l’enseignement professionnel et technique, sont marqués par cette approche. D’ailleurs dans les ateliers cela est apparu beaucoup plus nettement. La question du portfolio de certification de compétences a été évoquée et à sembler recevoir un écho très fort de la part d’acteur de ce secteur de la formation et de l’enseignement.
Bref les ateliers ont permis de voir plusieurs logiciels de e-portfolio et leur application. Même si ces initiatives sont timides et peu nombreuses elles ont enfin illustré, et c’est vraiment le mérite de ces rencontres, le mouvement en cours actuellement dans le monde francophone et plutôt québécois.
Deux tables rondes organisées l’une autour de l’hypothèse Big brother et l’autre autour de témoignages d’enseignantes ayant un portfolio ont permis de mettre en évidence quelques éléments significatifs.
Concernant le risque d’un nouveau Big brother qui surveillerait et encadrerait nos portfolio et pourrait les mettre au service de puissances occultes et non pas des personnes, il est apparu nettement qu’il convenait de penser le contrôle des démarches de normalisation. A cette dimension il convient d’ajouter la nécessaire prise en compte des plus démunis si l’on veut éviter des dominations sociales. La mise en ordre des esprits au travers du e-portfolio est un risque si la continuité entre le personnel/privé et l’espace public n’est pas accompagnée d’une médiation humaine forte et d’un cadre déontologique et réglementaire clair. Qu’en serait-il des questions de droit d’auteur, de droit au « suicide numérique » etc. ? Passer du journal intime au cyber espace pourrait bien réveiller les fantasme de cybersurveillance de quelque puissance mal attentionnée qui veut tout savoir des individus, que ce soit dans la classe, dans l’entreprise, dans la société. Serge Ravet rappelait qu’Echelon n’est pas un mythe mais bien une tentative de surveillance planétaire… Enfin, si pour les individus le risque de surveillance et d’encadrement est réel et nécessite un encadrement des e-portfolios, pour les institutions et en particulier celles qui diffusent des portfolios de membres ou même des portfolios collectifs d’entreprise, il y a une nouvelle visibilité. En lisant le portfolio d’étudiants d’une université, qu’est-ce que je peux savoir de celle-ci sur le plan qualitatif ? De la même façon à des échelles beaucoup plus importantes, comme celle d’un système éducatif… Bref de quoi alimenter les fantasmes sécuritaires, mais aussi de prendre de la distance, voire d’imposer progressivement une vision philosophique et politique claire autour de cette question. Malheureusement, la conférence de Pierre Lévy n’avait pas permis de poser la question clairement et avait plutôt renforcé un aspect dangereux à défaut d’être risqué, celui d’une nouvelle normalisation du « sens ».
La table ronde du Mercedi matin avait pour ambition de montrer des gens aux prises avec leur portfolio pour elles mêmes et pour leurs élèves (puisque ce sont des enseignantes qui les ont présenté). Remarquables par leur courage et la qualité de leurs présentation, les deux enseignantes québécoise ont mis en évidence avec modestie leurs questionnements, mais aussi leur volonté de poursuivre sur la voie des pionniers pédagogiques qu’elles ont empruntée en s’appuyant sur ces technologies qui leur ont permis de répondre au besoin de renouvellement pédagogique qu’elles avaient identifié.
Parmi les commentaires qui ont été faits ensuite on a pu noter plusieurs points qui peuvent sembler importants. L’appropriation de la démarche et de l’outil est évidemment un préalable essentiel. Cependant dans le démarche elle-même, il faut souligner la difficulté à entrer dans les démarches réflexives pour certains élèves tandis que d’autres se révèlent. N’y a-t-il pas là un questionnement sur la relation à son apprentissage et la capacité à prendre du recul sur soi-même ?
Avec le e-portfolio, je peux savoir beaucoup de choses sur l’élève. Il est cependant nécessaire de se fixer des règles. Si certains élèves acceptent de se livrer, d’autres moins. Peut-on montrer cela aux parents ? C’est encore moins certain même si en primaire les élèves y voient une valorisation complémentaire. Une autre question importante est apparue concernant la qualité de l’écrit d’un e-portfolio. On a vu apparaître là la nécessité de l’acte de médiation et de la co-évaluation entre l’enseignant et l’élève. Certes tenir un e-portfolio prend du temps, mais cela donne une autre couleur à l’acte pédagogique. Surtout lorsque l’une des enseignantes qui met des notes sur les productions des élèves s’est entendue dire par un élève : « pourquoi vous ne me dites pas ce que j’ai réussi et dans quelle direction je dois aller pour progresser ? ».
En effet l’élève indiquait par là que cela ne sert à rien de dévoiler sa démarche d’apprentissage dans le portfolio si cela n’a pas d’effet en retour et surtout pas d’explication de la part de l’enseignant. Il est clair que la difficulté de ce genre de pratiques aussi diverses est qu’aucune ne peut se revendiquer exemplaire pour les autres, ce qui, pourtant, aurait comblé certains membres de l’auditoire. On a pu ressentir que, pour une partie des participants (québécois en particulier) qui découvrent le portfolio, ils l’envisagent surtout sous son aspect outil personnel de prise de note et de trace de l’activité que d’autres peuvent voir. Par contre ils ne voient pas encore la partie plus formalisée que constitue l’évaluation par les compétences et qui appartient davantage au monde professionnel.
On pourrait ainsi résumer cette dernière journée de la façon suivante : le e-portfolio dans ses différentes déclinaisons dans la forme (présentation apprentissage évaluation), dans le temps (de moment, d’année, de cycle, de vie…), est un outil qui pour l’instant reste en cours d’évolution et de débat. Chacun s’en empare selon son approche et son contexte. Cependant on remarque, si on le met en lien avec les initiatives européennes et internationales, que le e-portfolio pourrait devenir un outil passerelle entre « les mondes » de chaque personne, passerelle dont elle aurait la maîtrise tant dans son contenu que dans son exploitation.
>> Page précédente (11 avril 2006)
Bruno Devauchelle – 12 avril 2006