Dans « Des parents dans l’école », Martine Kherroubi analyse en détail les difficultés du dialogue entre enseignants et parents. Comment l’Ecole peut-elle accueillir plus positivement les parents ? Comment veiller à n’exclure aucun groupe social ?
Il y a quelques jours X Darcos a affirmé encore la volonté de l’éducation nationale d’ouvrir l’école aux parents. Pourtant on sait que le pari n’est pas gagné. La France peut-elle suivre le modèle de l’école communautaire qu’on trouve dans les pays anglo saxons ? Que peut-on attendre de cette ouverture ?
Disons que ce type d’affirmation peut avoir plusieurs interprétations.
Le système éducatif français n’a pas la même histoire que ceux des pays anglo-saxons. Le partage des responsabilités entre l’école et la famille y a toujours été très fort. C’est ce modèle français d’une école républicaine qui assurait la formation du citoyen en séparant l’enfant de sa famille qui se trouve aujourd’hui transformé par des politiques qui invitent de plus en plus fortement les enseignants à dialoguer et travailler avec les familles.
Mais on aurait tort de faire de l’ouverture de l’école aux parents une question encore en débat. La situation des écoles n’est pas celles des années 1980. L’optique qui a été prise dans notre ouvrage Des parents dans l’école est au contraire de partir du constat que le dialogue et la coopération parents enseignants étaient des dimensions de la réalité scolaire d’aujourd’hui. Bien entendu cela ne signifie pas que la situation soit considérée comme satisfaisante.
Affirmer la volonté d’ouvrir l’école aux parents est un engagement à mieux accueillir les parents et à mieux communiquer sur l’univers scolaire avec eux. Ainsi, et c’est aussi ce qu’indique la référence au modèle communautaire anglo-saxon, c’est accepter de dialoguer avec un parent « usager ». Et le pari est, à notre sens, plutôt là. Au centre de notre travail, il y a une réflexion sur le fait de devenir un parent d’élève en capacité d’agir sur la scolarité de son enfant. Comme le montrent nos enquêtes, la coopération entre les parents et les enseignants modifie les démarcations traditionnelles entre école et famille. De nouveaux repères doivent être construits par les uns et par les autres pour pouvoir s’inscrire dans cette démarche. La confiance entre les différents acteurs est le produit d’un travail souvent délicat, mais qui conditionne la réussite des projets des équipes enseignantes dans ce domaine.
Pourtant quand on est prof on sait bien qu’il y a des parents qu’on ne voit jamais, ou trop tard. Ce sont souvent les parents des élèves à problèmes. Comment expliquer cela ?
Nos observations et les entretiens menés dans les écoles où des pratiques de coopération existent montrent que l’éloignement, voire la méfiance, que certaines familles entretiennent avec l’école n’est pas une fatalité. Les rapports institués avec les familles déterminent en grande partie le fait que certaines ne se sentent pas concernées par la vie de l’école. Une grande majorité des parents a besoin d’une politique systématique d’accueil pour entrer facilement dans l’école. Ils apprécient que les enseignants aillent vers eux, les mettent à l’aise, tissent des relations d’interconnaissance de personne à personne. Dans certains cas, une politique de coopération peut pourtant paradoxalement contribuer à cet éloignement lorsqu’elle privilégie trop la collaboration avec une minorité de parents qui représentent les autres. Pour l’éviter, les écoles où nous avons enquêté mettent en œuvre des réponses diversifiées à ce problème, en particulier en créant des opportunités informelles de rencontres. Dans les écoles maternelles, les ATSEM peuvent jouer par exemple un rôle de relais car elles sont souvent davantage implantées dans le quartier que les enseignants eux-mêmes. Bien sûr, chacune de ces pistes peut avoir des effets contraires.
Quelles sont les attentes des parents dans leurs relations avec l’école ?
La première attente est sans doute celle d’une relation directe avec l’enseignant de son enfant. Dans tous les quartiers et dans tous les milieux cette demande s’exprime bien qu’elle soit parfois peu audible. Lorsque les parents investissent les dispositifs collectifs de coopération, c’est souvent en considérant que cette action reste secondaire pour l’intérêt de leur enfant par rapport à la relation avec l’enseignant. Beaucoup de parents, plus éloignés de l’école, pensent que seule cette relation présente un intérêt et ils observent parfois avec méfiance la manière dont d’autres prennent place à l’intérieur de l’espace scolaire.
Mais entrer en contact avec l’enseignant n’est pas chose aisée pour tous les parents, aussi certains usent de stratégies comme celle qui consiste à aller demander un conseil sur l’éducation familiale. De cette manière, ils évitent d’apparaître comme empiétant sur les prérogatives de l’enseignant. Les attentes des parents sont souvent de l’ordre d’une clarification des demandes liées au scolaire qu’ont les enseignants à leur égard et à celui de l’enfant, mais aussi d’un véritable dialogue qui permet de comprendre leurs points de vue respectifs.
Dans le fantasme collectif, il y l’école du village où tout le monde se retrouve. Mais affirmer la place des parents à l’école n’est ce pas prendre le risque d’augmenter les inégalités sociales dans l’école ?
Même dans un climat de convivialité, un groupe souvent réduit de parents bien dotés socialement et scolairement participe beaucoup plus à la vie collective de l’école. Les équipes que nous avons rencontrées apprenaient à composer avec les inégalités entre les parents. Il est certain que la représentation des parents par des élus au sein des conseils d’école ne suffit pas plus à agir sur ces inégalités que l’instauration de certaines rencontres auxquelles n’assistent que des parents déjà familiarisés avec le monde scolaire. C’est donc dans l’analyse fine de chaque dispositif que l’on peut approcher la dynamique qu’il produit. Ouvrir l’école aux parents, ce n’est pas se contenter d’en ouvrir les portes.
Comme nous l’ont expliqué les directeurs d’école en particulier, c’est construire une stratégie qui transforme la relation aux familles et en particulier à celles qui y viennent le moins facilement. C’est une démarche qui est souvent difficile car il est plus aisé d’établir des relations stables avec les parents qui ont le plus de connivence socio-culturelle avec les enseignants. Une autre difficulté est que lorsque les dispositifs de coopération rencontrent effectivement une participation large des parents, ceux-ci deviennent plus critiques et plus exigeants à mesure qu’ils comprennent mieux ce qui se joue à l’école. Cet effet, qui peut être jugé positif, n’est pas nécessairement facile à assumer par des enseignants qui pourraient s’attendre à des retours plus gratifiants et à une facilitation de leur relation aux parents.
La suppression de la carte scolaire, la mise à disposition des parents de programmes simples, qui permettent de suivre le travail de l’instit : quel regard portez vous sur ces mesures. Pensez vous par exemple, comme JL Auduc, que la simplification rédactionnelle des programmes soit un progrès ?
Ces mesures répondent sans doute aux demandes de parents qui sont déjà en mesure de comprendre le fonctionnement de l’école et d’élaborer des stratégies dans l’intérêt de leur enfant. Inversement, une partie des parents que nous avons rencontrés dans certaines écoles relevant de l’éducation prioritaire, considère que l’enseignant est le seul garant des progrès scolaires de leur enfant. De plus, la simplification des programmes peut conduire les parents, notamment à l’école maternelle, à se focaliser sur les seuls objets d’apprentissages scolaires nettement repérables et évaluables. En revanche, nos entretiens montrent qu’il est important que les parents soient rassurés sur le niveau d’enseignement de l’école, d’une part, et qu’ils puissent construire de manière ouverte des critères de compréhension et d’évaluation des comportements de leur enfant qui est à voir avec les apprentissages scolaires, d’autre part.
Dans certaines écoles, nous avons observé qu’une politique de coopération animée par un directeur dynamique pouvait renverser la réputation d’une école et freiner le départ des enfants appartenants aux classes moyennes. Là encore, il faut compter avec la réalité de cette coopération et avec les ressources locales.
Les tice sont-elles susceptibles d’améliorer les relations parents – profs ?
S’il s’agit d’instaurer une communication par internet, la « fracture numérique » donne les limites de l’exercice. S’il s’agit de considérer les TICE comme un objet d’apprentissage autour duquel un travail s’engage avec les parents et si celui-ci est relayé par d’autres partenaires de l’école, il peut en aller autrement. En somme, les tice ne sont qu’un moyen de communication parmi d’autres, qui peut générer d’autres différenciations à la fois chez les parents et les enseignants et qui ne présume pas du contenu des messages transmis.
Avez vous observé des pratiques que l’on peut recommander aux enseignants ?
Nous souhaitons que notre livre fasse comprendre qu’aucune solution ne vaut en dehors de ses conditions d’expérimentation, mais que l’analyse de ces expériences peut permettre d’en élaborer d’autres, tirant partis des contextes locaux et des singularités des acteurs. Il n’y a donc pas de « recette » qui serait partout valable, mais des dynamiques locales à faire jouer ; ce qui suppose à la fois disponibilité et vigilance. Les résultats de nos recherches peuvent ainsi aider les enseignants et les parents à mieux identifier les enjeux de ces dispositifs de coopération et à faire face à certains de leurs effets paradoxaux.
Martine Kherroubi
Sociologue – Laboratoire Cerlis, Université Paris Descartes
Entretien François Jarraud
Le livre :
Martine Kherroubi (dir), Des parents dans l’école, Eres, 2008, 224 pages.