Comment se mettent en place les dédoublements de CP sur le terrain ? Et si on déshabillait Pierre pour habiller Paul ? La mesure phare d’Emmanuel Macron est appliquée dans l’urgence des derniers jours de classe. Les Dasen doivent doubler le nombre de postes des CP de l’éducation prioritaire (Rep+ seulement) et trouver les enseignants. Chaque département se débrouille comme il peut. Mais la mesure est loin de faire l’unanimité chez les enseignants. Pour habiller les CP il faut déshabiller d’autres classes. Et , contrairement à ce que semble penser le ministre, l’apprentissage de la lecture se poursuit bien au -delà du CP…
CP à 12 et PS à 31…
Trois juillet au matin. Les parents occupent l’école maternelle Vandrezanne à Paris (13ème). Motif : l’annonce de classes de petite section à 31 élèves à la rentrée. Dans un arrondissement en croissance démographique l’ouverture annoncée d’une classe est annulée. C’est une des retombées des dédoublements décidés par E Macron.
Jérôme Lambert, secrétaire départemental du Snuipp, souligne la concertation qui a eu lieu avec le Dasen. Il n’empêche. Pour dédoubler les CP il a fallu trouver 17 enseignants. 7 « plus de maitres » (PDM) de Rep+ sont affectés en CP ainsi que 10 postes réservés aux ouvertures de classe.
Désorgansiation
A quelques kilomètres, Rachel Schneider , secrétaire départementale du 93, est amère. Dans ce département populaire et à forte croissance démographique, ce sont 221 postes qu’il a fallu dégager pour alimenter les dédoublements. 113 PDM ont été supprimés. 27 nouveaux PDM sont annulés et envoyés en CP. Enfin 81 postes de remplaçants sont affectés en Rep+
Avec tout cela, le Dasen devrait à peu près respecter les consignes ministérielles. Le département compte beaucoup de Rep+ et de communes pauvres. Il a fallu ruser. Résultats , les élèves de CP seront parfois dans des classes à 12, parfois dans des classes à 24 avec deux professeurs et parfois mélangés avec des CE1 dans des classes aux effectifs ordinaires.. Ces trois formes d’organisation peuvent se retrouver dans la même école (les écoles du 93 sont généralement importantes).
« On va y perdre beaucoup en formation », explique R Schneider. En effet, les PDM supprimés sont les plus anciens. Ils remontent aux années 1990. Ce sont typiquement ceux que le ministre aurait du évaluer. Les postes qui devaient être créés pour la formation continue ont disparu avec les CP dédoublés. Or le département compte beaucoup de jeunes enseignants.
Autre problème, celui des répartitions. La décision ministérielle a mis par terre ce qui était déjà prévu. Et les enseignants sont partagés sur les trois dispositifs qu’on leur propose. Il y a des refus, des départs.
A cela s’ajoutent les pressions des municipalités qui récupèrent en urgence des salles, celle du rased ou du BCD (la bibliothèque) par exemple, pour les transformer en salle de CP. « Les municipalités prennent des décisions pédagogiques que seul le conseil d’école devrait prendre », explique R. Schneider.
L’apprentissage de la lecture ne s’arrête pas au CP…
Mais le plus grand motif d’amertume est ailleurs. « Avec les PDM on était en train de reconstituer le collectif de travail mis à mal depuis 2013. Pour nous c’était le meilleur levier pour faire progresser les pratiques pédagogiques et les élèves. On s’inquiète aussi du recentrage sur le CP. Le travail sur la compréhension en lecture va bien au-delà du CP. On risque de voir revenir une vision étriquée de l’apprentissage de la lecture réduite au seul déchiffrage. Il va falloir être vigilant ».
Des dédoublements aux dépens de tous les autres élèves
« On ne fera pas la rentrée », nous a dit Benjamin Grandener, secrétaire départemental du Rhône. A l’issue d’une grève surprise qui a fait fermer 40 écoles, le Snuipp local est très remonté sur la façon dont s’appliquent les dédoublements de CP. « Que reste-il aux écoles en Rep+ après ces dédoublements ? Rien ! » Selon lui, pour trouver les 120 postes nécessaires, le Dasen a supprimé tous les PDM des Rep+, soit 84.Il a complété avec 36 remplaçants, eux aussi envoyés en CP. Et pour que ça tienne, il a décidé que les classes en Rep+ compteraient autant d’élèves que les autres .
« On a fait les dédoublements en CP aux dépens de tous les autres élèves », explique B Grandener. « Sur le plan éthique c’est inadmissible. Sur celui de l’efficacité c’est sans intérêt car on va perdre après le CP ce qu’on aura pu y gagner ». Dans le Rhône aussi, on pense que l’apprentissage de la lecture ne s’arrête pas au déchiffrage du CP.
« Je n’ai jamais vu une fin d’année dans un désordre pareil », continue-t-il. « Tout est flou. Les équipes sont désorganisées ». Les enseignants des Rep+ ont prévu de commencer 2017-2018 par une grève. « Nous ne rentrerons pas ».
François Jarraud