Quel avenir aura le grand plan numérique initié en 2015 par le précédent pouvoir ? Quel sera l’avenir du numérique à l’école, si on lit certains écrits de membres du pouvoir qui se met en place ? Mais surtout, comment se construisent les décisions politiques qui vont ensuite tenter d’inonder le « terrain » ? Ainsi pourra-t-on évoquer la place des savoirs scientifiques, celle des groupes de pression, celle des amis politiques, celle des intérêts à court terme ou encore celle des « gens de cour », pour tenter de comprendre comment se prennent les décisions. Le monde enseignant attend beaucoup du pouvoir comme prescripteur et comme protecteur, en même temps, il souhaite pouvoir faire des choix au quotidien. Une position souvent ambivalente qui conforte le pouvoir et le rassure quant aux méfaits de leur aveuglement.
Le Prince, la Cour, les scientifiques…
Mais en amont, n’oublions pas la tentation jacobine de la plupart des gens de pouvoir. Plutôt que de faire preuve d’humilité et d’écoute, ils commencent par affirmer ce qu’ils savent et tentent souvent de l’imposer ensuite à tous. Ils ont souvent tendance à parvenir à cette idée que puisqu’ils sont là, c’est qu’ils sont en position de « sachant ». Il faut dire, à leur corps défendant, que nombre de personnes de leur entourage confortent cette idée en les entourant et en faisant souvent écran aux analyses de terrain. Comme de plus cet entourage est lui-même abordé et courtisé par nombre de personnes ayant des intérêts divers et variés, cela complique la tâche : soit ils bloquent, soit ils choisissent, bref ils sont influençables et construisent un filtre qui va influer sur les décisions de leur supérieur. Attention, il faut bien savoir que pour la plupart d’entre nous, cette manière de faire ou de subir nous concerne aussi chacun et que si l’on peut critiquer les autres, il faut alors l’être aussi pour soi-même.
Si l’aveuglement des pouvoirs peut s’expliquer, il faut aussi aller voir du côté des aveuglements de tout un chacun. Ce qui nous fait percevoir la réalité, c’est d’abord notre expérience personnelle sensible. Cette expérience qui nous amène parfois à considérer comme vrai ce qui est souvent unique, local, contextualisé. Face au numérique, l’affaire est connue, récurrente et suffisamment sérieuse pour qu’on y prête attention. Car lorsque l’on conseille le prince, on peut aussi être piégé et piégeant. Alors, parfois les gens de pouvoir vont tenter de contourner ces écrans en cherchant des appuis qui assoient la légitimité de leurs décisions. C’est ce qui se passe lorsque l’on s’appuie sur les scientifiques pour étayer des décisions politiques. Certes il faut bien les choisir, c’est-à-dire choisir de préférence ceux qui sont aussi en cours… ou tout du moins dont les travaux croisent les idées, les intuitions, les convictions… que l’on a. Là encore il faut être prudent, comme ont pu le montrer les nombreux débats scientifiques qui ont suivi des décisions basées sur des travaux, vrais à un moment, mais remis en cause plusieurs années plus tard.
Le Prince, l’électeur et le marchand…
Dans la salle de classe, le problème est assez semblable : comment construire une analyse d’un problème en évitant les risques d’aveuglement ? Peut-être faut-il d’abord admettre que l’idée de vérité doit toujours être interrogée. Toutefois nous renonçons souvent à cette interrogation, tant son coût est important. Une recherche rapide sur un moteur de recherche permet de comprendre la difficulté à trouver des réponses satisfaisantes et étayées. L’élève est tenté, devant cette difficulté, de se satisfaire des premières réponses. Ou plus encore, on se référera aux médias de flux, principalement télévisuels, qui, par leur structure, appuyée par les professionnels du journalisme, peuvent laisser penser à une qualité a priori. Apprendre à décider deviendrait de plus en plus difficile car exigeant de percevoir et comprendre les pressions variées qui s’exercent et surtout de repérer la manière dont elles s’exercent. D’ailleurs, nombre d’enseignants sont aussi pris dans ces difficultés. Ainsi les dimensions commerciales, idéologiques ou autres sont subtilement réparties De plus, l’art du marketing est justement de bien se cacher derrière des techniques acceptables, indolores, allant jusqu’à nous faire croire à notre libre arbitre tout en l’étouffant.
Le consommateur est une cible évidente pour tous ceux qui veulent influer sur ses décisions. Rivalisant d’ingéniosité, les offreurs de service vont jusqu’à tromper le client potentiel. Mais aujourd’hui ces modes d’intervention sont acceptés par la quasi-totalité de la population. On est pourtant en droit d’attendre que des personnes accédant à des postes de responsabilité aient un meilleur discernement ou qu’ils utilisent des moyens adaptés pour éviter l’aveuglement. Évoquons le cas des TBI au Québec pour illustrer la faiblesse de responsables, illusionnés par des commerçants, tant sur ce qui concerne les usages que pour ce qui concerne le lobbying curieux qui s’est exercé et qui fait l’objet de poursuites en justice. De même le choix des tablettes, aux premiers temps du plan numérique du gouvernement Hollande a dû être combattu par de nombreux spécialistes. Ils ont réussi à endiguer ce qui représentait un bel exemple de lobbying et d’aveuglement. Que dire alors de ce département qui après avoir commandé 6000 tablettes décide d’arrêter au bout de 6 mois !!!
Convaincre des décideurs de réaliser des achats est un art subtil qui repose sur un mécanisme, souvent dangereux, d’aveuglement organisé. Dangereux parce que ne se souciant surtout pas de ce qui va se passer après la vente… dans la plupart des cas, malgré les discours que l’on entend déjà sourdre à la lecture de ces lignes. Mais force est de constater ce qui se passe… Pour leur défense il faut considérer que certains décideurs, a contrario, provoquent les vendeurs afin de les inciter à vendre des produits à forte valeur électorale ajoutée. Quid des jeunes et de leur intérêt réel ? Nous plaidons ici pour que les décideurs prennent le temps de s’acculturer, sachent s’entourer, et apprennent à éviter les effets de modes… Est-ce réellement possible ?
Bruno Devauchelle