Par François Jarraud
L’évaluation des compétences par les enseignants est-elle juste ? La question est posée par la Direction des études et prospectives (DEPP) du ministère de l’éducation nationale dans un petit ouvrage sur « les élèves, connaissances, compétences et parcours ». La Depp ne fait pas que poser la question de la qualité de l’évaluation. Elle a aussi demandé aux enseignants les objectifs poursuivis pour certaines compétences et obtenu des réponses… intéressantes.
« L’attestation de la maîtrise du socle commun est-elle soluble dans le jugement des enseignants » demandent Jeanne-Marie Daussin, Thierry Rocher et Bruno Trosseille, tous trois de la Depp. Alors que tous les élèves se sont vus attribuer un livret personnel de compétences (LPC) et que l’évaluation des compétences est reconnue lors de la délivrance du brevet, ils ont comparé dans un échantillon de collèges les attestations des enseignants au scores obtenus par les mêmes élèves à des tests standardisés en français et en maths. « Si globalement le pourcentage d’élèves ayant reçu une attestation de maîtrise du domaine « lire » est légèrement supérieur au pourcentage d’élèves maîtrisant les compétences de base en français (88 contre 82%), le croisement fait apparaître qu’il ne s’agit pas tout à fait des mêmes élèves ». Ainsi 6% des élèves ont les compétences acquises selon les tests standardisés mais n’ont pas validé le socle selon leurs enseignants. 12% ne maîtrisent pas mais voient leur compétence validée. En mathématiques, l’étude montre le même phénomène avec une différence : les enseignants trouvent moins d’élèves ayant acquis les compétences que les tests (85 contre 90%).
Qui est désavantagé dans l’évaluation par compétences ? Les élèves qui se déclarent « bon élève » ont plus de chances d’obtenir une validation, ce qui donne à penser que l’attitude des élèves joue. Mais l’étude cible des groupes précis qui sont pénalisés. « C’est le cas des garçons qui ont moins de chances que les filles de recevoir une attestation, à score et caractéristiques fixés, que ce soit en français ou en mathématiques. La même situation défavorable est observée pour les élèves en retard et pour les élèves dont le responsable est ouvrier, retraité ou sans activité ».
Une surprise ? Ces résultats ne surprendront pas les docimologues. Dans un article publié en 2007, Pierre Merle montrait dans le Café les limites de l’évaluation chiffrée. Ce qui est intéressant, c’est que la nouvelle évaluation mise en place par le LPC, même quand le livret est rempli sérieusement comme dans ces collèges suivis par la Depp, reproduit les mêmes écarts que la note. La note n’est pas juste. Le LPC non plus.
On évalue quoi ? Impossible de ne pas faire le rapprochement avec l’article de Catherine Régnier dans ce même ouvrage sur « la place et le rôle de l’écrit et de l’oral au collège ». Il est basé lui aussi sur une étude de la Depp. Elle étudie la place et les objectifs assignés à l’écrit et l’oral par les professeurs. En terme plus clair, quelles représentations ils ont de l’écrit et de l’oral à l’école. Plus que de savoir ce qui est le plus important dans la fabrication du savoir scolaire (l’écrit bien sûr), l’étude montre que la perception des objectifs pédagogiques de ces compétences de base varie extrêmement d’une discipline à l’autre à l’intérieur des collèges. Ainsi pour la majorité des enseignants la pratique de l’écrit en classe sert surtout à « garder la trace des cours ». Avec une exception notable : pour le professeur de lettres, l’écrit sert « à construire sa pensée ». Cet objectif est dénié par les professeurs de langues ou de physique avec un écart de 1 à 5 (pour les langues).
Ces travaux ne diminuent pas l’intérêt d’une approche par compétences. Mais ils en montrent les limites dans le déploiement généralisé actuel dans les collèges. L’impulsion verticale et bureaucratique lancée avec le LPC aboutit finalement à la construction d’inégalités qui auront un impact sur l’obtention ou non du brevet. Bien d’autres auteurs ont montré les ambiguïtés de l’évaluation des compétences du socle. On les comprendra mieux en observant que les cultures disciplinaires entraînent des perceptions totalement différentes des compétences de base.
François Jarraud
Michel Quéré (dir.), Les élèves : connaissances, compétences et parcours, La documentation française.
Liens :
L’ouvrage
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/catalog[…]
Les notes sont-elles justes ?