Nous avons rencontré Catherine Lavauzelle au Forum des enseignants innovants de Roubaix en 2009. Elle présentait là bas le projet « Festival ZEP’dit », un festival organisé tous les deux ans dans la ville de Soyaux en Charente fédérant les acteurs locaux de l’éducation. Quatre ans après, il existe toujours, a grandi, s’est épanoui malgré les embuches posées par le gouvernement précédent à l’encontre de l’enseignement prioritaire.
Tous les deux ans, les élèves de Soyaux, de la crèche au lycée, préparent tout au long de l’année le Festival ZEP’dit, une initiative créée comme un support à une éducation culturelle et citoyenne. En fin d’année, durant trois semaines, ils présentent leurs prestations et viennent voir celle des autres. Au départ contextualisé aux écoles situées dans la zone prioritaire de la commune, le projet s’est étendu aux autres quartiers. A chaque édition, un thème lie les projets développés dans les classes, décliné en fonction des niveaux, des programmes. En 2012, l’éclair a été choisi, une façon d’illustrer la transformation du dispositif Rar (réseau ambition réussite) en Eclair. Zep, Rar, Eclair, les équipes exploitent la marge pédagogique disponible pour favoriser une approche commune où la culture est un moyen de valoriser les savoirs et de construire des liens entre les cycles et avec l’environnement de l’école.
A partir du thème retenu, chaque classe construit un projet tout au long de l’année qui sera retranscrit en arts, visuel ou du spectacle vivant. Un accompagnement par des professionnels est réalisé sur le volet artistique. Des professeurs-ressource ont du temps dégagé pour amener une expertise sur une méthode, l’écriture scénographique par exemple, ou le contenu. Un enseignant d’histoire est ainsi venu épauler une classe de primaire qui travaillait sur un projet autour des mayas. Cette organisation renforce encore le dialogue entre les cycles institué par la préparation d’un évènement commun. Les enseignants vivent in situ le fonctionnement et la pédagogie liés à un contexte de classe différent du leur. Autre originalité du projet : d’autres intervenants dans le quotidien éducatif sont pleinement intégrés tels que des assistants de vie scolaire, des accompagnateurs pédagogiques, des éducateurs en centre de loisirs. La commune quant à elle soutient le projet et met à disposition le théâtre municipal. Le festival ZEP’dit s’affirme comme une concrétisation du projet éducatif local en réunissant tous les acteurs de l’éducation autour d’un même projet, en intégrant la globalité du temps de l’enfant. Des parents participent également avec des ateliers théâtre qui leurs sont destinés. Les trois semaines du festival affichent les interprétations différentes d’un thème partagé, travaillé tout au long de l’année dans de multiples disciplines et de multiples lieux.
Pour la septième édition, le succès fut une fois de plus au rendez-vous. « 16 soirées, 21 spectacles portés par 953 élèves de 2 à 19 ans, encadrés par près de 60 professeurs du premier et second degré, éducateurs, IME, assistants pédagogiques et AVS, animateurs accompagnement scolaire, qualifiés par 19 artistes professionnels, visités par 4935 spectateurs et aucun incident majeur ». L’évaluation du projet au fil du temps montre aussi une écoute artistique, une appétence pour la culture de la part d’enfants éloignés de la sphère culturelle traditionnelle. Elle est souvent remarquée par des artistes qui viennent se produire devant le public scolaire de la ville. En venant écouter les autres élèves, en se frottant soi-même collectivement à la création artistique, les enfants de Soyaux, quelque soit leur milieu, sont devenus des spectateurs avertis, ouverts. Certains d’entre eux vivent l’expérience depuis sa création. A la clôture de l’édition 2012, des élèves de terminale sont venus témoigner de leur attachement au festival et de ce qu’il leur avait apporté. Ils ont raconté la création du festival en 1999 à l’aube de l’an 2000 lorsqu’ils étaient en grande section. « Et notre maîtresse nous a dit comment nous allions entrer dans ce 21e siècle : en créant le festival ZEP’dit ». Et dans leur conclusion de cette septième édition sous le signe de l’éclair, accompagnés de parents ils ont déclaré « Un éclair de savoir pour déchirer les incertitudes de l’avenir, un éclair que les enseignants ont accroché très haut dans le ciel de leurs espérances ». Dans les écoles, les années ZEP’dit sont attendues par les élèves, un signe de succès de l’opération. Le festival jalonne la scolarité des enfants, contribue à leur histoire scolaire, participe à sa construction, lui donne un sens particulier qui leur est propre.
Le bilan affiché est plus que positif. Catherine Lavauzelle tient à le nuancer sur deux points. La manifestation recueille peu d’échos auprès des médias, notamment des médias locaux. Le relais dans la presse est pour les enfants et les encadrants une valorisation pourtant essentielle de leur investissement qui dépasse le cadre des heures de classe. Et puis, en étendant le projet à tous les quartiers de la commune, la mixité sociale devient un objectif à part entière. Or, parents de quartiers favorisés et parents de quartiers prioritaires ne bénéficient pas du même accès aux codes culturels. Les uns souhaitent trouver au sein d’un théâtre, quelque soit le contexte, les mêmes conditions d’écoute, les mêmes comportements qu’ils pensent acquis par tous. Les autres vivent le moment comme un temps de rencontre où la solennité ne s’impose pas. On bavarde, on échange, on s’apostrophe entre les scènes ou même pendant le spectacle perturbant le silence que les spectateurs avertis ne conçoivent pas de perdre. Pour Catherine Lavauzelle, là où la mixité entre les enfants, les écoles réussit, la mixité des parents est un succès de façade, elle peut générer des incompréhensions et renforcer de part et d’autre les représentations négatives. Elle souhaiterait qu’un regard de chercheur se pose sur cet aspect pour aider le festival à évoluer vers un dialogue plus fort et plus ouvert entre les parents des différents quartiers.
L’organisation de l’évènement est conséquente et faiblement structurée. Elle repose sur quelques enseignants. La volonté première est d’ancrer le festival dans l’école, d’en faire principalement une affaire scolaire pour le faire vivre en lien avec les apprentissages et les objectifs fixés par les programmes. Les parents participent, les associations périscolaires aussi mais ne portent pas l’organisation. Catherine Lavauzelle était jusqu’à la rentrée la coordonatrice du projet, était car aujourd’hui elle s’est placée en retrait de l’Education Nationale. Blessée, fatiguée par les attaques incessantes d’une institution pour qui l’éducation prioritaire devait être normalisée, elle ne sait si elle reprendra son poste l’an prochain. Son projet entre parfaitement dans les objectifs dessinés par la nouvelle politique éducative mais voilà l’usure institutionnelle a fait son œuvre avant que le changement n’opère. Catherine ne perd pas de vue le festival pour autant. Elle a veillé à bâtir les demandes de subvention pour que l’édition 2014 soit possible. Elle anime toujours un atelier théâtre adultes qui contribue au projet éducatif local.
En échangeant avec Catherine Lavauzelle, on perçoit pas loin, tapie, toute l’énergie qui a prévalu pour coordonner les sept éditions. Catherine Lavauzelle le dit si bien ; le festival ne continuera peut être pas sous cette forme mais il donnera naissance à d’autres initiatives. Il a créé au fil des ans un lien éducatif et social au sein de la ville de Soyaux indélébile construit par les écoles et les habitants. L’avenir de ZEP’dit est incertain mais réel. En 2014, il renaîtra et donnera encore à voir ce que l’école produit de plus beau : une approche culturelle et citoyenne qui offre à tous les enfants de mêmes clés pour la réussite.
Monique Royer