Le travail d’Aurélie Badard avec sa section DP3 du collège Goerges Charpak de Brindas dans le Rhône, a été salué au forum des enseignants innovants par le prix de la progression pédagogique. Innover, renouveler en permanence sa façon d’enseigner est pour elle une évidence, une nécessité. « J’aime le changement, il faut que ça bouge, que je me mette en danger, sinon je m’ennuie » nous dit elle. Enthousiaste, résolument positive, Aurélie Badard sera l’ambassadrice de l’innovation pour le Café Pédagogique lors du Tour de France du numérique pour l’éducation. Rencontre avec une enseignante pour qui la valeur humaine est l’ingrédient essentiel de son métier.
Aurélie Badard a accepté la responsabilité de l’option « découverte professionnelle en 3e » (DP3) comme un défi à relever. Dans son collège, aucun volontaire ne se manifestait et les enseignants qui s’en occupaient les années précédentes le faisaient plutôt par obligation, pour combler leur sous-service. L’option passait de main en main. Aurélie a répondu oui à la demande de son chef d’établissement, une opportunité pour elle de sortir de sa zone de confort. Elle a perçu avec cette option qui s’inscrit dans le cadre plus large du PDMF (parcours de découverte des métiers et des formations) la possibilité de s’affranchir d’une vision purement disciplinaire, pour s’orienter vers une mission éducative et citoyenne ambitieuse. Le lien entre l’école et l’entreprise est un sujet qui l’intéresse. Enseignante en physique-chimie, elle choisit de focaliser son projet sur le secteur de la chimie, un secteur qui recrute mais qui n’attire pas les élèves. Et puis, dit-elle, « l’image de la chimie est négative alors qu’elle est partout dans notre vie ». Elle a rapidement reçu un écho positif des entreprises de la filière, favorisant l’instauration d’un dialogue concret et constructif.
Les activités de ses élèves se composent de visites d’entreprises, de lieux de formation, de rencontres avec des acteurs du secteur, de recherches en amont, de compte-rendu en aval. L’utilisation du numérique s’est imposée à la fois pour collecter les informations et pour communiquer les découvertes. Et puis avec le numérique « les élèves se sentent à l’aise, m’apportent beaucoup de choses, ils se sentent capables d’échanger. Le numérique est un endroit où élèves et enseignant peuvent se rencontrer » constate Aurélie Badard. Internet permet de s’informer avant les visites et les rencontres, de préparer des questions, d’attiser sa curiosité, de construire des argumentaires, d’affuter l’esprit critique. Les présentations des activités des entreprises peuvent ainsi être croisées avec d’autres regards collectés via le web. Lorsqu’un intervenant qui a travaillé pour le groupe Bayer est venu présenter les applications agrochimiques de la chimie, la recherche s’est prolongée sur les engrais et les pesticides, leurs rôles, leurs intérêts, leurs impacts et les solutions de substitution existant pour l’agriculture.
Pour Aurélie Badard, la question des compétences est centrale. Depuis la rentrée, elle a aussi décidé de travailler sur « la transmission des savoirs », Grâce aux activités proposées, elle espère mettre en perspective la valeur de l’expérience des personnes qui entourent les jeunes au quotidien. Elle aimerait inciter les élèves à être plus curieux et plus respectueux de la richesse de ces parcours professionnels et parcours de vie. Elle a bon espoir que les élèves retrouvent un peu d’estime de soi’ en découvrant qu’ils possèdent en eux des compétences, pas nécessairement de l’ordre du scolaire, sur lesquels ils vont pouvoir s’appuyer dans la suite de leur parcours. Se sentir « capable de » est essentiel pour des élèves qui se dessinent un avenir incertain persuadés qu’ils ne sont pas à la hauteur scolaire. Ils ont des profils différents, l’hétérogénéité de la section étant souhaitée, mais se rejoignent tous sur ce constat et sur la difficulté à se projeter quand on est collégien dans une société où la crise est omniprésente. Aurélie se déclare « résolument optimiste », persuadée qu’un avenir professionnel existe pour tous. Cela passe aussi par la mise en perspective du présent dans une histoire plus longue du travail et de l’entreprise. Elle a demandé à ses élèves d’aller interviewer leurs grands parents sur le métier qu’ils exerçaient, leurs conditions de travail, leur réalité professionnelle.
Faire évoluer les représentations favorise une ouverture des portes que l’on pensait closes, une construction de projet scolaire et professionnel. Les douze élèves de l’an passé ont tous trouvé une orientation choisie. La moitié est partie en lycée d’enseignement général et technologique, les autres sont allés vers l’enseignement professionnel, en fonction du métier vers lequel les uns et les autres se destinent et aussi de leur réalité scolaire. Redevenir ambitieux en prenant en compte son profil d’apprenant, la mesure est d’importance pour ne pas précipiter les élèves vers l’échec. En échangeant avec leurs parents, leurs grands-parents, en rencontrant des acteurs variés dans les entreprises avec parfois des parcours atypiques, ils ont pris conscience des chemins multiples que l’on peut emprunter pour réussir son insertion professionnelle. Dans cette perspective, partir en lycée professionnel n’est plus vécu comme l’entrée sur une voie de garage mais un chemin pour acquérir les compétences liées à un métier que l’on a choisi.
Le projet d’Aurélie Badard évolue sans cesse se nourrissant des observations et des échanges, des suggestions de ses élèves. Il s’enrichit aussi des contacts avec d’autres enseignants sur twitter ou lors de rencontres. En septembre, elle a ouvert un blog sur une suggestion de Béatrice Crabère qui a écrit son portrait au forum d’Orléans. Monique Ducroux, présente également au forum des enseignants innovants, est venue cet été l’aider à le construire. Partager sur le blog le fruit de leurs rencontres a renforcé la motivation des élèves. Le nombre de visites s’affiche sur la page d’accueil. Publier et être lu est pour eux la preuve que ce qu’ils apprennent est digne d’intérêt. L’intérêt qu’elle constate dans sa classe, d’autres enseignants lui avait raconté à Orléans. Aurélie Badard a particulièrement apprécié ces instants de partage qu’elle poursuit aujourd’hui. A son tour, à partir de février, elle va parcourir la France pour échanger avec des enseignants innovants lors du tour de France du numérique pour l’éducation.
« Je suis impatiente car je vais encore apprendre beaucoup de cette nouvelle expérience professionnelle qui va élargir mon champ de compétences et m’ouvrir de nouvelles perspectives. Je me réjouis à l’idée de mettre mon énergie et mon expérience au service de ce projet». Devenue ambassadrice de l’innovation, ses mercredis seront faits de rencontres avec des enseignants qui, comme elle, nourrissent leurs pratiques professionnelles d’une constante créativité que la valeur humaine colore de façon dominante. A lire les premiers projets reçus, elle se félicite déjà de raconter dans le Café Pédagogique les multiples visages de l’innovation pédagogique, une diversité pour un but commun : donner à tous le goût d’apprendre et de réussir.
Monique Royer
Le portrait d’Aurélie Badard lors du forum des enseignants innovants