Niée encore parfois par des enseignants, la phobie scolaire est une pathologie touchant 1% de la population scolaire. Le décrochage, lui, est une difficulté d’apprentissage concernant 10 à 12% des élèves entrant au collège. Le Dr Nicolas Girardon, responsable du service de pédopsychiatrie pour adolescents de la clinique de la Fondation Santé des étudiants de France (FSEF) à Neufmoutiers-en-Brie en Seine et Marne, évoque la souffrance à l’Ecole et ses conséquences. Un sujet qui a à voir avec l’absentéisme…
Qui sont les jeunes parmi lesquels vous exercez ?
L’établissement accueille environ 200 jeunes scolarisés du collège au lycée, en hospitalisation complète ou en hôpital de jour, dans trois spécialités : Pédopsychiatrie, Médecine Physique Réadaptation et Médecine de l’adolescent. Les patients ont entre 11 et 20 ans avec une moyenne d’âge de 15 ans.
Leur souffrance est spécifique …
Faire face aux transformations quand un handicap nécessite un appareillage (fauteuil roulant, béquilles, prothèse, corset …) avec les répercussions sur le regard des autres, suppose une bonne estime de soi, ce qui est loin d’être la règle dans la population que nous accueillons. Ces adolescents gèrent alors moins bien leurs émotions, deviennent intolérants aux frustrations et sont entravés dans leurs difficultés de mentalisation. Quand l’enfant a du mal à se faire une représentation de sa maladie du fait de ses difficultés d’abstraction (pensée formelle au sens de J. Piaget), son comportement vis-à-vis de son traitement médical (par exemple) peut aller à l’encontre de ses besoins.
Que disent de leur scolarité ces adolescents ?
L’école, du fait de ses exigences intellectuelles et organisationnelles (ses rapports à l’espace-temps), met à l’épreuve ces enfants fragilisés narcissiquement dans leurs aptitudes à penser, se concentrer et tenir en place physiquement. Ce qui est vrai pour les maladies somatiques peut se décliner pour les troubles psychiatriques dont les conséquences négatives risquent de contrarier électivement les processus d’apprentissage et de socialisation.
Aiment-ils l’école ?
Ces jeunes ne disent pas du mal de l’école. Ils ne rendent finalement que rarement responsables les professeurs dont ils dépendent pour réussir. Ce serait plutôt le cas de certains parents d’être particulièrement hostiles à l’école, parce qu’ils parlent en réalité de leurs mauvaises expériences personnelles. Certains d’entre eux ont dû quitter le système scolaire prématurément et ils projettent sans toujours le savoir, leurs souvenirs personnels sur ce que leur enfant est en train de vivre à propos des études.
Les personnes qui s’occupent de la souffrance scolaire des jeunes sont parfois soupçonnées d’apurer leur propre passif (passé) avec l’école …
J’ai moi-même connu une certaine « souffrance » par périodes à l’école. Cette sorte de souffrance qui permet à chacun d’évoluer et de dépasser les étapes de développement maturatives ou les crises (comme les déceptions et deuils pour ne citer qu’eux). Elle est inhérente à la condition humaine bien que ce soit une souffrance susceptible de devenir pathogène du fait de son intensité, de sa durée et de son auto-renforcement. Dans mes souvenirs d’écolier, je retiens des passages délicats comme l’entrée au collège, puis au lycée. Comme j’étais né en avril mes parents m’avaient fait rentrer au CP avec une année d’avance. Jusqu’en classe de première, mon jeune âge et ma relative petite taille ont été problématiques à certains moments, notamment à chaque rentrée scolaire lorsqu’il faut s’intégrer au groupe classe. Néanmoins cela ne m’a pas empêché d’aimer travailler puis d’étudier longtemps !
De nombreux colloques, une multitude de parutions sont consacrés à la « phobie scolaire »…
On peut distinguer la phobie scolaire qui est une pathologie finalement assez rares (1% des enfants et adolescents en âge d’être scolarisés), du décrochage scolaire qui représente peut-être 10-12% des élèves à l’entrée au collège) dont l’origine est à chercher dès l’école primaire. Pour les décrocheurs, certaines difficultés d’apprentissage ont démarrée en CP ou CE, elles ont des origines psychoaffectives, neuropsychologiques, familiales voire sociales et « culturelles ». Je pense que la prévention de cette forme de décrochage, à l’adolescence, passe avant tout par une guidance parentale précoce, notamment autours de l’idéologie concernant les processus d’autonomisation de l’enfant. D’une part en donnant aux enfants un sentiment de sécurité interne. D’autre part en développant une curiosité intellectuelle par des médiations comme par exemple la lecture d’histoires au moment du coucher.
Comme définir la phobie scolaire ?
La phobie scolaire est un symptôme qui cache autant qu’il ne montre car ce qui reste sous-jacent ce sont bien une angoisse de dévalorisation et une anxiété de séparation entraînant un agrippement de l’enfant à sa mère, puis au bout d’un certain temps, produisant un bloc mère-enfant plus ou moins compact. L’école sert alors de révélateur à une organisation de la personnalité fragilisée par les remaniements psychiques de l’adolescence. Le sujet, confronté à la transmission du savoir, n’arrive plus à lier positivement exigence pulsionnelle et sauvegarde narcissique. Il existe probablement « des » phobies scolaires et en pratique on rencontre tous les degrés de gravité en terme de pronostic et de fragilité de la personnalité.
La poursuite ou la reprise des études semble primordiale ?
Il paraît indispensable de travailler sur la réalité extérieure (environnement familial, amical et scolaire) de ces jeunes et sur les enjeux d’autonomisation à cet âge car les soins qui ne s’intéressent pas au comportement ne suffisent pas. Il nous semble délétère en effet de laisser un élève trop longtemps déscolarisé à la maison et il appartient au praticien qui en a la responsabilité de créer les conditions d’une remobilisation des investissements scolaires par un travail en réseau cohérent et durable.
Propos recueillis par Gilbert Longhi