Le terme accompagnement a tellement envahi le champ de l’éducation, de la formation, du travail qu’aujourd’hui il est de bon ton de le rejeter. S’il est vrai que son emploi élargi, de la simple rencontre au dispositif de « coaching » en passant par toutes les formes instituées (tutorat) ou non (communautés de pratiques), laisse à penser à une notion « molle », on ne peut que constater son usage courant et officiel dans un certain nombre de dispositifs, en particulier scolaires. C’est le cas de l’accompagnement personnalisé qui a pris la suite de l’accompagnement individualisé et aussi éducatif etc. Dans le cas de la réforme des lycées, l’accompagnement personnalisé a été associé au numérique dans les possibilités de dispositifs à mettre en place inscrits dans les textes parus en 2009 2010 et après. Une évidence semblait se faire jour : accompagner peut d’autant mieux se développer que l’on convoque le numérique. Mais pourquoi faire ?
L’histoire du terme accompagner (Martine Beauvais, Biennale de l’éducation, INRP, 2004, http://www.inrp.fr/biennale/7biennale/Contrib/longue/7088.pdf) nous confirme l’idée de partage du pain, et plus largement du « être avec » de manière assez fondamentale. Comment donc le numérique pourrait-il permettre d’aider à l’accompagnement des élèves. Quelques idées simples et pas complètement nouvelles (non exhaustif) sont envisageables : différencier les activités pour mieux accompagner, apporter d’autres regards sur, ouvrir vers de nouveaux horizons, favoriser la construction identitaire, assurer un meilleur suivi du travail, développer le travail entre pairs, développer de nouvelles relations éducatives.
L’attrait des jeunes pour les écrans laisse à penser qu’ils pourraient se substituer à l’enseignant (les machines à enseigner). Mais loin de là, les ordinateurs sont de bien piètres enseignants qui ne connaissent pas vraiment certaines nuances de l’humain. Cependant, bien réfléchie, l’organisation de l’accompagnement peut les mettre à contribution dans certaines phases de travail et en particulier pour différencier, personnaliser le travail, et dans certaines conditions individualiser. Parce qu’il est un guide fidèle et imperturbable, parce qu’il permet d’ouvrir des fenêtres vers d’autres mondes que ceux de la classe, parce qu’il permet de produire des documents, l’ordinateur et plus généralement les outils numériques sont des facilitateurs, pour peu qu’on ait bien pensé leur place dans le dispositif d’accompagnement.
Un certain nombre d’outils logiciels et didacticiels, connectés ou non, permettent d’apporter à l’élève des informations riches et variées que l’enseignant n’a pas toujours à sa portée, ni même parfois les CDI. Ainsi les enseignants pourront enrichir le travail de l’élève en lui permettant d’obtenir un autre regard sur le thème travaillé, permettant ainsi des sollicitations différentes de l’accompagnement de l’enseignant, de l’adulte.
L’ouverture, choisie ou découverte (sérendipité), sur le monde que permettent les terminaux numériques connectés est un moyen d’élargir les horizons de l’accompagnement et surtout de le prolonger au delà du seul « ici et là » de la séance d’accompagnement. Croiser des regards différents, trouver de nouvelles ressources, voire même échanger avec des personnes d’autres univers culturels et sociaux sont des possibles que l’on peut mettre à profit pour faire de l’accompagnement un espace d’échange, de confrontation, de conflit cognitif même.
L’usage d’outils de type e-portfolio, ou « Webclasseur« , permet d’accompagner le jeune dans sa construction identitaire complète, celle qui associe le réel et le virtuel, permettant d’introduire un travail réflexif accompagné. Les dispositifs numériques de cette nature sont des auxiliaires du parcours individuel, mais aussi du dialogue qu’ils favorisent avec celui qui accompagne.
Dans la même logique de trace possible, le numérique peut rendre visible une trajectoire par les traces qu’il conserve. Ainsi l’enseignant, l’accompagnant peut parcourir avec le jeune ce cheminement et l’aider à l’analyser, consolider certains points, en renforcer d’autres. Que ce soit dans un travail individuel, ou même en petit groupe, cela est désormais possible (espaces collaboratifs, logiciels coopératifs, wiki etc..). L’exigence éthique de gestion des traces reste essentielle et doit être travaillée dans une perspective de responsabilisation du jeune face à son propre parcours. Cela peut se faire en évitant cependant de tomber dans le risque d’injonction de soi (dénoncée par Alain Ehrenberg), par un dialogue construit, caractéristique des postures d’accompagnement.
Les jeunes, prompts à l’usage de tous les moyens pour communiquer entre eux, ont vite compris l’intérêt des dispositifs communiquant qui sont mis à leur disposition. Ils comprennent vite l’intérêt de ces moyens aussi pour leur travail scolaire. Ils n’hésitent pas à investir les espaces de collaboration qui leurs sont offerts (parfois à l’insu de l’institution et de son ENT) dès lors qu’on leur propose un travail en groupe. L’enseignant peut alors participer d’une manière nouvelle, synchrone ou asynchrone, en présence ou à distance, et ainsi renouveler les modalités d’accompagnement des élèves.
L’utilisation généralisée de la messagerie électronique (en passant ou non par les réseaux sociaux) a permis de générer un espace relationnel nouveau de personne à personne. La relation enseignants- élèves peut ainsi s’en trouver enrichie, comme en témoignent de nombreux enseignants qui n’ont pas craint de donner une adresse électronique à leurs élèves. Finies les files d’attentes de fin de cours au bureau, une nouvelle porte relationnelle, plus individuelle est ouverte. Certains trouvent d’ailleurs un réel intérêt à ce préceptorat d’un genre nouveau. Parce qu’il permet d’enrichir les relations adultes-jeunes ces usages ouvrent, pour l’accompagnement, des horizons complémentaires. Parfois même l’utilisation de la visioconférence (type Skype, Hangout etc…) autorise-t-il du travail à distance d’un genre nouveau, allant dans certains cas au suivi jusqu’au lit du jeune malade ou empêché d’aller en classe.
L’accompagnement n’est pas de même nature selon les niveaux d’enseignement. Il ne sera donc pas instrumenté par le numérique selon les circonstances. C’est en cela que le numérique pose problème aux enseignants en amont même de la technique. Car si l’ingénierie pédagogique se trouve enrichie d’outils nouveaux, elle se trouve aussi prise dans de nouvelles contraintes/ressources dont la maîtrise est parfois peu assurée Cela peut parfois inquiéter, déranger. C’est pourquoi former des équipes dans ce domaine ce n’est pas leur offrir l’utilisablité de ces techniques, mais plutôt de leur permettre d’en comprendre l’utilité
Bruno Devauchelle
Les chroniques numériques de Bruno Devauchelle