Plus qu’un bilan des années Macron, « le grand décryptage » que vient de publier par l’Institut Montaigne annonce l’avenir de l’éducation nationale si l’équipe actuelle reste en place en 2022. On y lit la réforme de l’affectation des enseignants, le développement de leur évaluation, la fin du collège unique et une réforme profonde du lycée professionnel. Toutes idées qui perfusent du Grenelle de l’Education vers l’avenir…
Un Institut si proche du pouvoir..
« Le grand décryptage » Education du quinquennat Macron publié par l’Institut Montaigne est tout sauf une évaluation savante, neutre et objective. Les liens entre l’Institut Montaigne et JM Blanquer remontent à avant 2017, époque où le futur ministre est membre de l’Institut et d’Agir pour l’école. Les Macronleaks, révélés en 2017, ont mis en évidence le role de l’Institut dans la rédaction du programme éducation d’E Macron. Et, en 2017, c’est l’Institut Montaigne qui fournit en 2017 sa « conseillère spéciale » qui deviendra directrice adjointe de son cabinet avant de le quitter en 2020 pour suivre G Attal. Aussi le bilan très positif dressé par l’Institut Montaigne de l’action de JM Blanquer évalue une politique que l’Institut lui-même a largement influencée.
Un bilan positif
Ce bilan est sans surprise positif. L’Institut parle « d’une importante refondation » (sic) du système éducatif. Si l’Institut estime que l’action de JM Blanquer est « difficilement appréciable », il n’hésite pas à faire un bilan : « les mesures mises en oeuvre devraient avoir un effet positif sur la réduction de l’échec scolaire comme des inégalités sociales qui y sont attachées ». On notera le conditionnel car les évaluations internationales, et aussi celles de l’Education nationale, ne montrent pas de progrès. Timss établit le déclin des jeunes français en maths en 2019 et Pisa 2018 ne donne pas de signes de redressement.
Ce bilan décrit à sa façon l’action entreprise dans le primaire, notamment les dédoublements, le collège, le lycée, l’évaluation du système éducatif et la gestion de la crise sanitaire.
L’échec des dédoublements transformé en réussite
Au primaire ce sont surtout les dédoublements qui sont mis en avant. Au total 10 800 classes crées par les dédoublements en éducation prioritaire, « une réforme considérable », « une politique ambitieuse, cohérente et continue », selon l’Institut. L’objectif annoncé politiquement était « 100% de réussite » dans l’apprentissage des fondamentaux en CP. Celle estimée par des experts proches du ministères était un gain d’au moins 20% de performance en un an. La propre évaluation ministérielle ne donne que des progrès beaucoup plus faible : en 2018 2000 élèves en moins sont en grande difficulté en français et 3000 en maths pour une génération de 800 000 enfants et pour un coût évalué par le ministère à 154 millions cette seule année. Les propres évaluations ministérielles en 2020 montrent que les inégalités de réussite scolaire ont à nouveau augmentées entre enfants favorisés et défavorisés. L’Institut présente comme une réforme sociale l’instruction obligatoire à trois ans alors que 99% des enfants de 3 ans étaient déjà en maternelle en 2017. La réforme a surtout permis la prise en charge par l’argent public des maternelles privées. Rappelons que de nombreux enfants échappent encore à l’instruction : environ 100 000 en métropole, des milliers en Guyane et à Mayotte.
Le second degré
Au collège, l’Institut souligne la volonté du ministre de « singulariser les parcours » dans un collège unique « flexible » grâce au rétablissement des filières empruntées par les élèves privilégiés : bilangues, sections européennes et cours de latin grec. On verra qu’il souhaite aller plus loin.
La réforme du lycée occupe une grande place dans l’argumentaire de l’Institut. Mais il ne peut que constater que « les inégalités liées au genre ou à l’origine sociale n’ont pas connu de changement significatif » et que « l’orientation post bac est demeurée le parent pauvre de la réforme ». Seul succès souligné : avoir baissé le coût du bac avec le controle continu. En réalité c’est tout le coût du lycée général qui a baissé, la réforme permettant le remplissage complet des classes avec la disparition des filières. Les postes créés au primaire ont été financés depuis 2018 par des suppressions dans le second degré permises par la réforme du lycée. Et cela malgré la hausse des effectifs élèves.
La gestion de la crise sanitaire
La gestion de la crise sanitaire par JM BLanquer est aussi évaluée positivement , en reprenant les éléments de langage ministériels, avec l’idée que les élèves touchés par les fermetures perdront à l’avenir 3% de leurs revenus tout au long de leur vie pour chaque mois de temps d’apprentissage perdu. L’OCDE a fait un bilan plus sérieux des politiques menées face à la crise. La France y apparait comme nettement moins bien préparée pour affronter la crise que les autres pays de l’OCDE. Surtout, la France n’est pas le seul pays à avoir maintenu ouvertes les écoles longtemps en 2020. Elle était par contre en avril 2020 au dernier rang pour la vaccination des enseignants, ce qui renvoie à une problématique actuelle (mais l’Institut n’en parle pas). Et la France se distinguait pour n’avoir pas produit de ressources pédagogiques pour les smartphones, souvent le seul outil numérique des élèves défavorisés, et avoir négligé les parties les plus fragiles de la population scolaire notamment les élèves immigrés et les réfugiés.
L’annonce des réformes post-2022
Mais on retiendra surtout de ce bilan ce qu’il laisse voir des politiques souhaitées par un Institut si proche de l’Elysée et de la rue de Grenelle.
En premier lieu sur l’affectation des enseignants. « Aujourd’hui, en France, le système d’affectation des enseignants – dit “du barème” – fonctionne selon le principe de l’indifférenciation des postes. Ce système conduit à l’affectation des enseignants débutants dans les postes perçus comme les moins attractifs, c’est-à-dire ceux situés en REP et REP+. Le système se prive ainsi d’un levier de rééquilibrage », écrit l’Institut. « La promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron d’affecter en zones d’éducation prioritaire des enseignants ayant au moins trois ans d’ancienneté n’a en revanche pas été engagée… Il semble nécessaire de renforcer l’attribution de postes, selon la procédure dite de “postes à profils” afin de pouvoir recruter davantage hors barème ». Rappelons que le Grenelle de l’éducation, réuni par JM Blanquer, a demandé de nouvelles règles d’affectation. Autre évolution du métier : le renforcement des évaluations nationales qui permettent de dégager la « plus value » individuelle de chaque enseignant et donc une évaluation du « mérite ». L’Institut souligne qu’il faudra vaincre « une grande réticence du corps enseignant »…
L’Institut appelle aussi à la fin du collège unique. Il souhaite « une diversification des enseignements au collège (avec potentiellement une première spécialisation) ». C’est la voie où s’est déjà engagé JM Blanquer en recréant des filières élitistes dans les collèges mais aussi en créant les très élitistes établissements publics internationaux qui sont en train de se multiplier. On avancerait ainsi en 6ème la sélection des élèves. Ce serait une rupture grave avec une évolution de l’enseignement secondaire qui a démarré à la Libération et qui va vers sa démocratisation. Ce serait aussi aller à contre courant de ce que font tous les pays de l’OCDE.
Une réforme radicale du lycée professionnel est aussi demandée. Le lycée professionnel vient d’être réformé avec un allègement des enseignements généraux et la réduction de la spécialisation à deux années, le seconde étant dédiée à al découverte de « familles de métiers ». L’Institut veut aller plus loin. « La voie professionnelle devra faire l’objet d’une réforme ambitieuse durant le prochain quinquennat. D’une part, la nécessité de rapprocher apprentissage et enseignement professionnel – notamment par le développement de l’apprentissage dans tous les lycées professionnels – et d’autre part, la nécessité de rendre plus agile le système en permettant notamment la transformation rapide de filières aujourd’hui peu insérantes ». On voit là la poursuite de deux lunes qui ne seront jamais atteintes. Les experts, notamment la conférence de consensus du Cnesco, évoquent plutôt la nécessité de renforcer les curriculums, notamment en enseignement général.
Enfin l’Institut rappelle que le Service national universel doit être mis en oeuvre en 2024. La généralisation devrait couter 1 à 1.5 milliard. Mais « les objectifs de brassage social, d’engagement et de dépaysement suscitent une grande adhésion », souligne l’Institut. Actuellement les évaluations du dispositif montrent que ce brassage est absent.
On voit ainsi se dessiner ce qui pourrait devenir le programme éducation après 2022 si l’équipe actuelle est maintenue. Le « grand décryptage » de l’Institut Montaigne appelle à la continuité d’une politique dont l’échec est pourtant profond. Non seulement les résultats promis des dédoublements ne sont pas là. Mais rarement une politique a réuni une telle unanimité contre elle dans les acteurs qui la portent.
François Jarraud