« Nous disons NON à cette surenchère de contraintes qui fait passer au premier plan la quantité au détriment de la qualité en mettant de côté le plaisir de la littérature – celui des enseignants et celui des élèves. Nous disons NON à l’obligation d’étudier 24 textes en série générale et 16 textes en série technologique car notre discipline se résumerait alors à du bachotage et non à une découverte enthousiasmante des textes littéraires… Nous disons NON à un programme d’œuvres imposées. Ne nous transformez pas en de malheureux Sisyphe, abrutis par la tâche.. Laissez-nous maîtres de nos pratiques et de nos choix littéraires ». Lancée il y a deux jours, la pétition « non merci ! » contre la réforme des programmes et des épreuves du bac en français est déjà signée par 1300 professeurs de lettres. Charlotte et Julie, professeures de lettres, expliquent pourquoi elles l’ont lancée et ce qu’elles en attendent.
Appelons les Charlotte et Julie. Toutes deux enseignent le français en lycée général et technologique, l’une dans l’académie de Lille et l’autre, à l’opposé, dans celle d’Aix-Marseille. Toutes deux expérimentées : elles ont 20 ans de métier. Toutes deux non grévistes en juin dernier. Des enseignantes solides et responsables. Mais elles sont tellement bousculées par la réforme du lycée qu’elles ont crée un groupe Facebook qui réunit un nombre croissant de professeurs de lettres. Elles viennent de lancer une pétition qui souligne les ruptures générées par la réforme.
Comment est née l’idée de la pétition ?
Charlotte – En voyant ce que les médias disaient en juillet dernier sur les professeurs la colère m’a prise devant ce flot d’insultes. J’au eu envie de faire quelque chose de positif et de m’impliquer davantage face à une réforme que je rejette. Je me suis dit que je ne devais pas être seule à ressentir cela et j’ai ouvert un groupe Facebook pour les professeurs de lettres confrontés à la réforme. Je pensais qu’il y aurait une cinquantaine de participants. Mais on est plus de 1200. Je craignais des échanges aigres, mais le groupe vit une belle émulation et une belle entraide entre enseignants. Les collègues postent de nombreux documents pour aider à la mise en oeuvre du programme. Face à l’angoisse générée par elle, on échange aussi sur les formations données par les IPR et on échange des renseignements.
Julie – C’est moi qui ait eu l’idée de la pétition. Dans le groupe si les gens postent tant de documents ce n’est pas tant pour le partage que pour être sur d’être dans les rails de la réforme. Il y a une angoisse énorme. Devant ce mal être général , devant l’absence de réponses aux questions que l’on pose aux inspecteurs, j’ai sollicité le groupe pour cette pétition. Et on l’a rédigée Charlotte et moi.
Retour de l’école de papa
Charlotte – Avec la réforme on a l’impression de repasser notre capes d’il y a 20 ans. On nous avait demandé de préparer une lecture linéaire : elles revient avec la réforme. On préparait des leçons de grammaire : elles aussi sont de retour. Celui qui a proposé la réforme s’est inspiré de ce qui se faisait il y a 20 ans. Ce type de lecture peut être intéressant pour certains textes comme des poèmes. Mais sur les autres, comme les romans, c’est moins habile. Et c’est bien dommage que cela soit imposé.
Aujourd’hui j’ai fait ma première leçon de grammaire en première depuis 20 ans. C’est une vraie souffrance car les élèves ne sont pas réceptifs. Bien sur on faisait de la grammaire avec le programme précédent. Mais c’était en lien avec une étude de texte. Ajoutons que le programme suppose que les élèves aient suivi les cours de grammaire de seconde. Mais il n’y en a pas eu puisque le programme est sorti trop tard. Et comme il fallait faire passer la réforme à toute vitesse, les lycéens de première essuient les plâtres…
On nous demande aussi d’étudier 24 textes en série générale (16 en technologique) pour le bac. Mais c’est mission impossible quand la classe n’a pas un excellent niveau. L’épreuve va conduire les élèves à réciter leur fiche de cours plutôt que réfléchir. Pour moi cette réforme cherche à gommer la capacité des élèves à penser par eux-mêmes. Cette réforme prépare des moutons.
» Notre liberté pédagogique disparait »
Julie – On a le même nombre d’heures de cours mais davantage de textes et des leçons de grammaire. Personnellement je suis passée de 20 à 24. On nous demande d’étudier des oeuvres imposées, de travailler des parcours complexes. On nous en demande beaucoup plus. La réforme ne tient aucun compte du rythme des élèves.
Charlotte – Notre liberté pédagogique disparait. Je dois faire étudier des textes que je n’aurais jamais choisi pour mes élèves comme Les mémoires d’Hadrien ou La princesse de Clèves. En fait je suis réduite à choisir dans la liste imposée les oeuvres les plus courtes pour pouvoir m’en sortir avec les élèves. Je déteste faire ça.
Julie – Au final avec la réforme on va passer à coté de l’objectif principal : faire aimer lire. On n’aura pas rempli notre rôle. On nous a dit que les oeuvres sont imposées pour asseoir une culture commune. Mais de fait les élèves vont faire des oeuvres différentes selon les classes et le programme n’assure pas une suite chronologique qui permettrait de saisir les oeuvres dans l’histoire littéraire. On n’a presque plus de possibilités de faire des liens avec la littérature actuelle. Le programme précédent nous demandait d’actualiser les lectures des élèves. Là aussi on a un revirement complet.
On passe aussi à coté du plaisir d’enseigner. On a perdu notre liberté de choix des oeuvres. On doit assurer un rythme endiablé de lectures linéaires et de leçons de grammaire que l’on ne croit pas utiles.
Charlotte – Dans le groupe, des collègues relèvent les divergences entre les IPR. On se rend compte qu’ils n’interprètent pas de la même façon les textes et qu’ils véhiculent des interprétations personnelles. Par exemple l’oral ou le carnet de lecture ne sont pas du tout vus de la même façon. Certains collègues vont inciter les élèves à présenter leur carnet à l’oral du bac. D’autres pensent que ça sera pris pour de la triche ! On n’abordera pas la question, mais c’est encore pire pour la spécialité HLP.
Des enseignants parlent de quitter l’enseignement ?
Charlotte – On a discuté dans le groupe pour savoir si on allait se plier à tout cela. Certains disent qu’ils ne feront pas le nombre de textes. Mais on ne veut pas mettre les élèves en danger. Beaucoup d’enseignants sont dégoutés. Sans liberté pédagogique, ils ne trouvent plus de plaisir à enseigner. Personne ne va démissionner. Mais dans mon établissement une collège pense à la reconversion vers professeur documentaliste. Une autre va demander à aller en collège. Elles sont fatiguées des réformes et souffrent sous le poids du travail demandé. J’y pense aussi. Le nouveau programme exige beaucoup de préparations. J’ai du mal à y arriver . Comment je vais faire quand les copies vont arriver ?
Qu’attendez vous de la pétition ? Vous croyez que les choses peuvent encore bouger ?
Julie – J’aimerais bien. L’année dernière on espérait un report d’un an pour s’approprier la réforme. On est très déçues de l’absence de dialogue.
Charlotte – On souhaite pouvoir choisir les oeuvres. On espère aussi que le programme ne sera pas à moitié renouvelé chaque année. C’est une charge de travail énorme de refaire la moitié des cours chaque année. Et ce n’est pas imposé aux autres disciplines.
La pétition est une première étape pour nous faire entendre et obtenir une modification de la réforme. J’espère qu’elle créera un déclic chez les IPR. On espère qu’ils comprendront qu’il faut nous faire confiance et nous donner de la liberté. Et qu’ils auront le courage de faire remonter notre pétition.
Propos recueillis par François Jarraud