Pas de contresens ! Le livre de Cédric Forcadel, professeur des écoles en Normandie, n’est pas la xième publication à prospérer sur le marché de l’éducation positive. L’école où il fait bon vivre, celle que promet Cédric Forcadel, existe déjà dans l’enseignement public. C’est celle des écoles qui suivent et adaptent la pensée pédagogique de Freinet. Car ce livre est un étendard. C. Forcadel défend l’idée d’une éducation émancipatrice où le travail n’est pas le contraire du plaisir. A contre-courant des médias, il plaide pour l’école et la pédagogie et montre que l’avenir de l’école n’est pas chez tel ou tel gourou. L’école porte dans son patrimoine intellectuel de quoi faire fleurir les lendemains qui chantent. Il nous dit pourquoi c’est le moment où il faut faire entendre une autre voix.
Pour qui avez vous écrit « Dessine moi une école » ?
En premier lieu , je l’ai écrit comme une sorte de manifeste, en riposte, pour réaffirmer la légitimité de pratiques pédagogiques et de pédagogues. Et puis au cours de l’écriture j’ai élargi. J’ai voulu faire de ce livre un outil d’éducation populaire, capable de faire comprendre le fonctionnement de l’école. Et j’ai écrit le livre aussi pour les parents.
Et puis c’est un livre pour sortir de l’éducation spectacle. On est dans une phase particulière, avec un ministre qui se met beaucoup en scène avec de nombreux effets d’annonce. J’ai voulu faire un livre qui redonne de la place au terrain et aux enfants.
Dans le livre vous plaidez pour une « reprise en main du métier ». Vous avez le sentiment que le métier d’enseignant leur échappe ?
Plus ça va plus on sent une volonté de faire échapper ce métier aux enseignants. C’est d’ailleurs une idée que j’ai développé avec S Grandserre dans une tribune publiée par le Café pédagogique. Un bon exemple est donné par la formation continue à travers les animations pédagogiques. Il y a quelques années, les enseignants choisissaient les thèmes dans un panel large. Aujourd’hui le choix se réduit et on va vers des injonctions pour nos pratiques. Ce qui remet en cause la liberté pédagogique.
Or les enseignants ne sont pas des exécutants suivant docilement des consignes ministérielles. Ce sont des praticiens, des chercheurs, des concepteurs. Ils ont la légitimité du terrain, l’intelligence du métier. Ils doivent être outillés par la recherche. Mais, comme je l’explique dans le livre, on peut combiner la tête et les mains.
S’il est évident que des points doivent être fixés nationalement, la réalité du terrain est différente d’une classe à l’autre. Il faut donc que les enseignants restent maitres de la façon dont ils mettent en oeuvre les instructions officielles.
C’est un livre contre les réformes Blanquer ?
Pas spécifiquement. C’est un livre qui dit qu’une autre école est possible. Et pour cela il remet au centre à quoi sert l’école. Les réformes Blanquer sont un épiphénomène dans l’histoire de l’Ecole. Notre modèle scolaire continue à fonctionner tel qu’il a été conçu au début de la IIIème République, à l’époque de la République naissante et de la guerre contre l’Eglise. A cette époque, l’école devait former les citoyens dont on avait besoin : obéissants et serviles. Et toute la forme scolaire vise l’obéissance.
Mais a-t-on encore besoin de cette forme scolaire ? On a besoin d’une forme scolaire capable de former le citoyen d’aujourd’hui et demain. Donc basée sur la coopération, le désir d’apprendre, des savoirs proches de la vie permettant la responsabilisation et l’émancipation des enfants.
Le livre explique que cette forme existe déjà et que beaucoup d’enseignants mettent déjà en oeuvre des pédagogies différentes. Pourquoi ne pas généraliser?
Freinet c’est le passé ou l’avenir de l’école ?
Dans les formations que j’ai pu avoir Freinet était une langue morte. On n’abordait Freinet que sous l’angle historique. Mais je suis convaincu que c’est une langue vivante ! Freinet c’est avant tout un mouvement pédagogique qui n’est pas figé. Il évolue même si les principes de la pédagogie Freinet restent immuables. Ils restent adaptés à l’école du 21ème siècle en ce qui concerne, par exemple, la coopération , le désir d’apprendre ou l’émancipation des enfants. Tous ces principes sont opérationnels. Le mouvement Freinet est bien une pédagogie de l’avenir !
L’émancipation c’est ce qui manque aujourd’hui à l’école ?
La forme scolaire cherche la soumission et l’obéissance conformiste. Emanciper c’est être capable de désobéir en sachant pourquoi on le fait. Cette question est insuffisamment traitée par l’école même si les textes introduisent des structures , comme les conseils d’enfants, et favorisent leur responsabilisation.
Vous dites dans le livre que tout projet éducatif est un projet politique. L’école peut changer la société ?
C’est une question qui agite les mouvements pédagogiques. L’école à elle seule peut-elle faire bouger la société ? Freinet dit que l’une ne peut aller sans l’autre. En même temps il faut préparer les élèves aux changements de la société demain. Et, comme dit Freinet, « ce n’est pas avec des hommes à genoux qu’on met la société debout ». En fait il faut que les deux bougent. Mais on ne peut pas attendre le changement de la société pour changer soi-même.
L’ouvrage consacre plusieurs chapitres à des questions pédagogiques concrètes. Par exemple à la gestion de classe, une vraie question pour les enseignants. Qu’apporte Freinet là dessus ?
Il n’y a pas que Freinet. La pédagogie institutionnelle apporte aussi beaucoup. Son fonctionnement permet de poser un cadre dans la classe. Les enfants ont besoin d’un cadre. Et la pédagogie Freinet n’est pas une pédagogie qui laisse tout faire aux enfants. Bien au contraire elle est rigoureuse. Elle pose ce qui est autorisé et interdit et elle permet de construire ces règles avec les enfants ce qui est essentiel.
Or ces questions sont souvent des impensés de la formation des enseignants. Quand je suis arrivé en classe pour la première fois, on m’avait appris à enseigner mais pas à faire en sorte que les enfants travaillent ou à faire une rentrée. Ce sont justement ces questions que la pédagogie Freinet travaille.
Alors ce livre veut remettre la pédagogie sur le devant de la scène. Il montre que la classe n’est pas que la réunion d’élèves et de savoirs mais un lieu de vie où se construisent des compétences sociales.
A cette rentrée revient la question des parents. Faut-il les intégrer davantage à la vie de l’école et comment ?
Historiquement l’école s’est construite contre les parents. Et la culture professionnelle des enseignants s’est construite sur ce modèle. Aujourd’hui les enseignants sont pris dans des injonctions contradictoires. Des textes officiels insistent sur la place faite aux parents dans l’école. Mai sils ne travaillent pas le champ d’expertise des parents et des enseignants. Dans le livre j’explique ce qu’il faut laisser aux parents. L’école doit s’emparer de ces questions du fait de l’inégalité des parents face à l’école. Si elle ne travaille pas à donner les mêmes armes à tout le monde elle contribue à réduire les inégalités.
Les chercheurs nous apprennent par exemple comment travailler les malentendus en classe. Et ça se travaille aussi en laissant les parents mettre les pieds dans la classe.
Comment passer des idées du livre à leur mise en pratique en classe ?
Ce livre ne donne pas de recettes. Il donne des ingrédients. Alors comment passer de l’un à l’autre ces pratiques ? Je donnerai un seul conseil : il ne fait pas rester seul. Il faut se rapprocher des collègues qui sont dans le même type de recherche. Et se rapprocher aussi des mouvements pédagogiques car ce sont des viviers formidables pour réenchanter le métier. Ne pas rester seul c’est déjà une rupture dans un métier qui est celui de la porte fermée. I faut inverser cette tendance ne créant des collectifs là où il n’y en a pas.
Propos recueillis par François Jarraud
Cédric Forcadel. Dessine-moi une école où il fait bon vivre. L’expérience d’un professeur qui change l’école de l’intérieur. Vuibert éditeur. ISBN : 978-2-311-20755-2