Hurlements ce jeudi matin du côté d’un groupe de CM qui ont pris l’habitude de squatter un coin de la cour. Mais cette fois, ils sont entourés de plusieurs de mes petits CE1 qui observent avec intérêt quelque chose. Le quelque chose en question est un malheureux bourdon, énormissime, comme j’en ai rarement sinon jamais vu, qui semble bien mal en point, ne parvenant plus à voler, se déplaçant au sol difficilement entre deux poussifs battements d’ailes.
Ça hurle de partout « Un frelon, c’est un frelon !! Attention !! » J’hésite un peu, parce que pas totalement sûr que ce bon gros bourdon ne pique pas mais je l’attrape, le fais monter sur ma main. Redoublement des hurlements ; mes CE1 mi-effrayés, mi-fascinés m’entourent à distance raisonnée. Le bourdon a l’air bien fatigué mais il court encore pas mal. Pas facile de le garder sur la main.
On monte dans les escaliers en respectant autant que possible les consignes de déplacement et on traverse le couloir dans un ordre que je n’avais pas obtenu jusqu’alors. Arrivé devant la classe le bourdon bougeotte de plus en plus ; une table traînant dans le couloir me sert opportunément de présentoir.
Observez le bien. Combien a-t-il de pattes ? De quelle couleur est-il ?… Notre bourdon commence à reprendre son envol, volette maladroitement contre la vitre et je finis, presque à regret, par lui ouvrir la fenêtre, persuadé qu’il va retomber et s’écraser 10 mètres plus bas. Mais non, il vole, s’envole, gros aéronef bourdonnant qui s’élève dans le ciel pour ne former qu’un petit point noir qui finit par disparaître dans le ciel loin au-dessus des bâtiments.
On pose le cartable et on se retrouve au coin regroupement. Pas de bousculade, ni de chahut comme les jours précédents.
Alors, comment est-il cet animal ? Nous reprenons les points principaux de description : couleurs, nombre de pattes, j’écris quelques mots au tableau (jaune, noir, blanc, poils, antennes, six pattes, une abeille, un bourdon ; oui, j’ai fait « l’erreur » de ne pas demander comment cela s’écrivait et je n’ai pas non plus feint de ne pas savoir de quel animal il s’agissait ; plusieurs élèves avaient déjà mentionné son nom).
Aux ardoises pour une phrase du jour. Les idées fusent. L’imagination s’envole (j’attendais plutôt une « plate » description de l’événement du matin), des histoires où il est question d’abeilles et de bourdons s’ébauchent (je regrette de ne pas avoir fait écrire sur le cahier de brouillon pour que cela soit repris en texte libre ou quelque chose d’approchant).
« Le bourdon a six pattes », propose Y. qui n’avait pas écrit un mot lors des séances d’écriture précédentes et ne levait jamais la main pour répondre aux questions (ni ne répondait, si interrogé…). Notions de grammaire (une phrase commence toujours par ?… et finit par ?…. ; « Maître, c’est a accent ou a sans accent ?) et d’orthographe (pourquoi y a t il un s que l’on entend pas ?)… Oui, j’aurai sûrement dû prendre le temps de travailler avec chacun les phrases proposées. Prendre et donner plus de temps sur leurs productions respectives.
Mais quand même, quand même : j’ai depuis trois jours le sentiment de ramer, de ne pas arriver à proposer quelque chose qui permette à mes élèves de rester concentré plus de cinq minutes. Ma séance de lundi d’observation d’une abeille et d’un bourdon (ceux-là étaient morts, à observer dans de petites boîtes…) n’avait pas intéressé grand monde.
Cette fois, tout le monde participe et on avance bien ensemble. C’est juste tout simplement enthousiasmant. C’est bien vivant. Ce n’est pas la pédagogie de la mouche (voir plus bas) – j’ai encore du chemin à faire, à commencer par lire le bouquin en entier – mais celle du bourdon me plait déjà bien.
Champagne !
Thomas Servet
Pour aller plus loin
1) « La pédagogie de la mouche » et autres idées passionnantes de Bernard Collot
2) Découvrir et vivre son milieu
Une question
Comment faire pour que les apprentissages naissent avant tout de la vraie vie ?
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