Il y a la rentrée dans les établissements et la rentrée des décideurs. Le discours tenu par JM Blanquer lors de son intervention vidéo pour la 16è édition de Ludovia fait donc partie de la seconde, la première reste à faire dès lundi prochain. Dans ce discours, qui est marquant du fait de son degré d’autosatisfaction, on peut noter plusieurs points qui méritent débat, questionnement, approfondissement : enseignement de l’informatique, PIX, éthique, intelligence artificielle, assistant vocal pour l’enseignement des langues au premier degré, mais aussi tous les dispositifs d’accompagnement (D’Col, Classe à 12, Devoirs faits, Banques de ressources, orientation Onisep service, Profan, Etincel, etc.…). Beaucoup de chantiers, apparemment qu’il faut tenter de décrypter. Mais au moins on peut comprendre les choix, à défaut des visées, du ministre et de son entourage…
Une première analyse du discours du ministre permet de comprendre ses priorités. La première, celle qui est la plus structurante concerne le primaire et les apprentissages dits fondamentaux et y ajoutant le refrain (constamment repris par les ministres depuis 20 ans) de l’école inclusive et de la lutte contre les inégalités. Loin de la question du numérique ce propos permet de faire deux hypothèses : le numérique au primaire n’est pas du tout une priorité, les apprentissages fondamentaux ont pour objectif de redresser la place de l’école française dans les études plus larges (OCDE…) en luttant contre les inégalités. On peut donc penser, à la lecture des documents du ministère (voir lien en bas de cette chronique) qu’une hiérarchie s’est imposée et que le primaire s’impose (pas pour le numérique) et que le collège (bien que celui-ci soit largement oublié) n’apporte rien en regard du lycée.
Le lycée est sur le devant de la scène par rapport à l’informatique : SNT en seconde, SNI en première terminale, CAPES et même Agrégation, voilà qui va ravir les anciens et les nouveaux porteurs de ces projets d’enseignement de l’informatique au lycée (ce qui n’est pas aussi nouveau que le ministre veut le faire croire). Il est vrai qu’on s’interroge depuis le début de l’informatique dans le monde scolaire sur cet enseignement. Au-delà des propos partisans (ne nous méprenons pas sur la force de l’enseignement du code à l’école primaire ou au collège…) appuyés par ce vieux poncif de la logique (proposé par JM Blanquer à la deuxième minute de son discours) que serait censé développer la programmation (après le latin, le grec ou encore l’allemand), il y avait un réel besoin que la formation de tous les élèves soit imposée dans le temps d’enseignement au vu des échecs précédents (B2i et autres mises à niveau). La classe de seconde répond à ce questionnement, mais la filière/spécialité SNI risque de poser un problème de positionnement comme jadis le bac H oublié de tous… depuis le milieu des années 1980.
Certes on peut trouver à redire, mais laissons le temps de l’installation puis celui de l’évaluation. Et c’est cela qui devrait désormais guider l’action dans l’éducation : initier, développer, évaluer et réajuster. Pour cela il faut aussi concéder du temps pour que l’évaluation ait de la valeur (cela est aussi valable pour la réforme du primaire). Or trop souvent un ministre balaye les actions du précédent (et celui-ci n’y échappe pas) et surtout n’évalue pas réellement… Il faudrait que la culture des politiques change sur ce sujet, surtout pour ce qui concerne l’éducation, qui n’a de valeur que dans un temps long.
On peut aussi remarquer une tendance forte dans ce discours : accompagner les enseignants avec le numérique. A plusieurs reprises le ministre insiste sur la place du numérique pour renforcer l’action des enseignants. On le sait depuis les débuts du monde scolaire, les pouvoirs politiques n’ont eu de cesse de proposer des moyens (livres, formations, encadrement, etc.…) pour pallier aux difficultés, insuffisances, manques, incompétences des enseignants (cela varie selon les pays). Le ministre n’agit pas autrement en s’appuyant sur son conseil scientifique et sur des dispositifs qui vont se situer au cœur de la pratique enseignante, parfois en s’appuyant sur ce que l’on nomme pompeusement intelligence artificielle. Si l’enseignant est défaillant, on va lui proposer (imposer ?) des moyens numériques pour remédier. On notera, pour mémoire, le passage sur les langues à l’école primaire (logiciel/robot) qui n’est pas sans rappeler jadis la campagne de déploiement de cassettes vidéo distribuées dans les écoles, là encore pour remédier au faible niveau de maîtrise linguistique des enseignants… Si l’on pousse la logique plus loin encore, on peut imaginer des enseignants non seulement béquillés, mais appareillés pour mener leur action. Quid de la liberté pédagogique, quid de l’éthique dont se réclame le ministre ? Le problème risque de se reposer, d’une autre manière, avec l’arrivée d’Educonnect dont pour l’instant on parle peu mais dont les conséquences pourraient être redoutables….
Enfin cette analyse ne peut ignorer le grand silence sur l’EMI : Il est probable que les professeur(e)s documentalistes se sentiront un peu ignoré(e)s dans ce discours : L’Education aux Médias et à l’Information en est la grande absente… Si l’on reprend bien la question telle qu’elle est présentée par le ministre deux strates sont essentielles : la formation à l’informatique et le PIX. En rendant obligatoire la certification PIX au collège, au lycée (déclaration) puis dans les INSPE (texte publié en juillet sur la formation des enseignants), le ministre complète sa vision informatique et élargit le champ des compétences à développer chez les élèves. Signalons ici que l’opérationnalisation de la mise en œuvre est encore à faire… Reste donc l’EMI dont on ne parle plus. Certains diront qu’avec l’éthique on en a suggéré une partie ou encore avec la question de la protection des données qui serait renforcée. Mais cela laisse dans l’ombre globalement ce qui circule dans les tuyaux et arrive à nos écrans. Etonnant silence pour un ministre qui se veut porteur de l’éducation au discernement comme il l’avait déclaré il y a deux ans.
Pour terminer ce tour d’horizon, signalons que désormais les laboratoires de recherche sont plus largement associés aux travaux sur le numérique dans le monde scolaire. Ce rapprochement est certes intéressant (financement des laboratoires) mais il peut être aussi une instrumentalisation comme on peut l’entrevoir dans la controverse entre M Houdé et M Dehaene et plus globalement le Conseil Scientifique de l’Education. On peut aussi s’inquiéter des priorités accordées à tel ou tel laboratoire, tel ou tel projet au détriment des autres. Certes le ministère ne peut pas tout porter, mais certains appels à projet ont laissé un goût amer dans certains laboratoires de recherche et dans certains territoires… On le sait dans les pays qui pilotent la recherche comme cela, des axes de recherche ont été bloqués pendant des années au détriment d’autres qui pourtant n’ont pas porté de fruit (les Etats Unis dans les années 1960 en sont de bons exemples).
Restent les établissements scolaires et leur vie au quotidien. Si le socle numérique préconisé par la cour des comptes (et qui n’est pas nouveau dans certains territoires qui y travaillent déjà) est une base intéressante, il faudra bien vérifier que tout cela débouche sur de véritables avancées. Les projets e-Carto de la Caisse des Dépôts et ELAINE de la DEPP devraient permettre d’y voir un peu plus clair. Encore faudra-t-il ne pas oublier de préciser ce que l’on désigne comme objet d’étude : ainsi qu’est-ce qu’un usage pédagogique ? Que recouvre la vie scolaire ? Quelles incitations pédagogiques et didactiques aux usages de l’informatique en classe sont inscrites dans les programmes en dehors des enseignement dédiés ?
La politique ministérielle est en train de se clarifier dans ce qui touche le numérique dans l’enseignement. Certes elle décevra nombre d’innovateurs et de chercheurs, elle en ravira d’autres. L’avantage de cette politique c’est qu’elle s’inscrit dans une continuité très ancienne, celle du découpage des territoires disciplinaires : en développant la discipline informatique et en négligeant l’emi, le ministre donne à cette rentrée un signal clair dont il ne faudra pas oublier d’évaluer les effets réels….
Bruno Devauchelle
Discours du ministre diffusé à Ludovia le 20 aout 2019