La classe inversée remplit-elle ses promesses ? De nombreux enseignants ont vu dans la classe inversée une réponse aux difficultés du métier d’enseignant et à celles des élèves. La promesse d’une nouvelle pédagogie réconciliant les élèves et le travail scolaire a séduit. Dans « La classe inversée en questions » (ESF Sciences humaines), Bruno Devauchelle analyse ce véritable phénomène pédagogique. Il revient sur le soutien institutionnel qu’il a reçu et sur les déceptions qu’il porte. Surtout il remet la classe inversée dans l’histoire de l’Ecole. Pour lui la classe inversée « ravive de nombreuses questions et en propose de nouvelles au système scolaire ». Il s’e explique dans cet entretien.
« L’ambition perçue et parfois exprimée autour de la classe inversée est celle d’une nouvelle pédagogie ou au moins d’un renversement de logique qui soit vraiment fondamental dans le système scolaire », écrit Bruno Devauchelle, chroniqueur au Café pédagogique et spécialiste du numérique éducatif (laboratoire Techné). « La simple dénomination de cette manière d’enseigner suffit à imaginer ce que serait une sorte de révolution dans l’enseignement, inverser à partir de ce que l’on fait habituellement. Nombre d’enseignants qui développent d’une manière ou d’une autre la classe inversée expriment pourtant leur déception alors que les intentions exprimées étaient fortes : accroître la motivation des élèves, développer la collaboration, favoriser l’engagement des élèves etc.. »
Comment expliquer cette déception ? B Devauchelle situe la classe inversée dans l’histoire déjà longue de la forme scolaire, du travail à la maison et de l’apprendre. Spécialiste du numérique éducatif, souvent sollicité dans la classe inversée, il analyse la classe inversée au regard des pratiques pédagogiques numériques et aussi de celles des élèves hors cadre scolaire. Pour lui, « les multiples obstacles rencontrés ne sont pas d’abord techniques, mais ils sont cognitifs ». Les limites de la classe inversée sont à lire dans le rapport entre pratiques scolaires et extra scolaires et aussi dans celui de la classe inversée à la société. » De nombreuses pistes d’évolution de la forme scolaire peuvent être envisagées, mais elles doivent s’inscrire davantage dans un projet de société que devrait porter un système éducatif ».
Pour lui, » le modèle de la classe inversée ne dérange pas la forme scolaire, il est acceptable. Mais il pose des questions qui sont essentielles pour la faire évoluer si, à partir de cette réflexion, on s’engage réellement sur une réflexion sur ce que c’est qu’apprendre dans une société en mutation ».
La classe inversée a connu un développement rapide. Elle semble faire l’unanimité avec notamment un soutien fort de l’institution scolaire. Or vous dites que ce n’est pas une innovation mais une évolution. Que voulez vous dire ?
Comme je le montre dans le livre, la question de l’organisation du travail de l’enseignant et de l’lève remonte loin en arrière en lien avec la création des premiers lieux scolaires notamment avec les Jésuites et les Frères des écoles chrétiennes. Tout au long de l’évolution du système éducatif on n’a eu de cesse de questionner la place de ce travail. Par exemple il y a eu une poque où on consacrait peu de temps au cours magistral et où l’étude prenait plus de temps que le cours. Progressivement le système s’est fossilisé autour du cours magistral.
La Classe inversée est apparue comme une innovation car d’un seul coup on remettait en question le cours magistral et on ramenait dans le débat que ce qui fait la différence c’est le travail d’étude qui avait été mis de coté. C’est une évolution qu el’on trouve aussi avec le dispositif Devoirs faits et le développement du parascolaire.
Que change la classe inversée dans la posture de l’enseignant et de l’élève ?
Elle amène l’enseignant à s’intéresser à une partie cachée : le travail personnel de l’élève. Elle lui permet de voir ce que l’élève fait du travail donné. Bien sur il y avait déjà du travail fait en classe avant la classe inversée. Mais ce travail à la maison revient à la surface et par suite l’enseignant prend consciences des difficultés des élèves face aux apprentissages.
Ca amène l’élève à penser qu’il a le droit d’avoir des pré conceptions de ce qu’il va apprendre avant d’arriver en classe. On sait depuis Dewey que les élèves ont ces représentations de ce qu’ils vont apprendre. La classe inversée permet de les exprimer et qu’elles soient prises en compte. Et ça c’est nouveau. Le problème c’est que pour beaucoup d’élèves ce n’est pas compris comme une façon d’apprendre. Ce qui s’apprend en classe est encore séparé de ce qui s’apprend hors de la classe. C’est pour cela que de nombreux élèves n’entrent pas dans le dispositif de la classe inversée.
Comment expliquer le soutien institutionnel venant d’un ministre pas vraiment ouvert à l’innovation ?
La classe inversée permet de se donner une image innovante. Surtout elle ne transforme rien des prérogatives régaliennes du ministère : rien sur le découpage disciplinaire, les contenus disciplinaires et l’évaluation. Or ces 3 points snt ceux qui permettraient de transformer le monde scolaire.
C’est à dire que la classe inversée ne va pas transformer l’Ecole ?
Elle va soutenir des initiatives d’enseignants et d’établissements. Ce qui est bien. Mais elle ne transforme pas le système. D’ailleurs peu de personnes veulent sa transformation.
Comment juger de la valeur de la classe inversée ?
A l’aune de l’engagement. Si elle permet à des enseignants de s’engager dans une réflexion pédagogique c’est très bien. Si elle permet à des élèves de se sentir plus concernés par leur travail c’est bien aussi.
L’engagement ce n’est pas forcément l’efficacité…
C’est tout le problème de la classe inversée. Elle peut ne pas être efficace. Si l’enseignant ne réfléchit pas et donne simplement les mêmes travaux qu’auparavant il n’y aura pas de changement. S’il cherche à adapter ses activités alors il y a de l’espoir.
Finalement l’Etat soutient la classe inversée car elle lui permettra peut-être d’avoir de meilleurs résultats sans changer quoique ce soit au système.
La classe inversée s’appuie souvent sur des vidéos . Vous dites que c’est une vraie fausse bonne idée. Pourquoi ?
L’ide c’est de s’appuyer sur l’attirance des jeunes vers les vidéos. Or j’ai regardé de près les vidéos des enseignants. Les supports sont souvent intéressants. Mais c’est très lourd à fabriquer. La majorité des enseignants ne sont pas en situation de produire des vidéos d’une qualité permettant aux jeunes de retrouver ce qu’ils trouvent sur leurs serveurs vidéos habituels. C’est donc une fausse bonne idée. Du coup de nombreux enseignants utilisent des ressources faites pour les jeunes et pas l’école. Quand ils font des supports tres didactiques ils s’écartent des intérêts des jeunes. Quand ils font une vidéo calquée sur un cours c’est triste. D’autres supports permettraient aux jeunes de grandir dans leur travail.
Comme quoi ?
Le fait de lire, d’interagir avec d’autres, d’intégrer des groupes de jeunes, de produire des documents. Si dans la classe inversée on ne donne accès aux élèves qu’à des supports réalisés par des enseignants il y a une chance que les élèves aillent voir ailleurs. Sinon on ne revient au principe du manuel scolaire.
La classe inversée pose la question du travail à la maison. L’auto formation c’est un mythe ?
C’est un mythe si on veut en faire un système. On ne peut pas décréter l’autoformation. L’idée c’est plutôt d’utiliser ce genre de dispositif pour amener des jeunes à en comprendre l’intérêt pour développer leur capacité d’autoformation. Il faudrait que les enseignants qui s’intéressent à la classe inversée réfléchissent à cela. Il est triste de voir en université des jeunes qui n’ont pas compris qu’ils ont un potentiel d’apprentissage et qui demandent « ce qu’il faut savoir ».
Quel projet de société trouve t on derrière la classe inversée ?
La classe inversée n’a pas de projet de société. Mais elle peut être l’occasion d’y réfléchir. Elle peut permettre de développer la capacité des jeunes à investiguer le monde, à comprendre qu’on est toute sa vie dans des systèmes d’apprentissage et de transmission. On peut souhaiter une société où les jeunes sont responsables du développement de leurs connaissances et de leurs instruments cognitifs.
Aujourd’hui le bilan social de l’école est nul : l’école ne change plus la société. Il serait intéressant que ces expérimentations soient évaluées sous tous les angles et pas seulement sous celui des résultats scolaires. Que l’on évalue par exemple leur plus value sociale.
Propos recueillis par François Jarraud
Bruno Devauchelle, La classe inversée en questions, ESF Sciences humaines, ISBN 978-2-7101-3931-7