Qui sont ces enseignants qui décident de quitter le métier ? P. Feuillet et D. Prouteau (Depp) font leur portrait statistique dans la revue Education & formations (n°101). Chaque année près de 1% des enseignants quittent la classe. La plupart choisissent d’exercer une autre fonction dans l’éducation nationale (animation pédagogique, direction etc.). Une très faible proportion démissionne. Mais cette proportion augmente très rapidement. Ainsi 6% des stagiaires abandonnent.
Changer de métier dans l’Education nationale
Chaque année près de 3300 enseignants (0.5%) décident de passer à une activité non enseignante. Ce sont plus souvent des hommes (0.6%) que des femmes (0.4%). Ce sont davantage des professeurs des écoles (0.7%) et des PLP (0.7%) que des certifiés et des agrégés (0.3%).
Que deviennent-ils ? « Les professeurs des écoles se tournent principalement vers une mission d’animation pédagogique (35 %) ou une direction d’école avec une décharge totale (32 %). Les enseignants du premier degré peuvent également prendre une direction d’établissement du second degré en devenant notamment directeur chargé de la Segpa. Parmi les enseignants du second degré, les certifiés et PEPS sont ceux qui prennent le plus fréquemment des fonctions de direction d’établissement (53 %) ou des fonctions administratives (27 %). Les enseignants agrégés ou de chaires supérieures se tournent eux vers l’inspection. La mission d’animation pédagogique attire plutôt les PLP (43 %), notamment avec la fonction de chefs de travaux. Ils sont également 32 % à devenir chefs d’établissement », écrivent P Feuillet et D Prouteau. Ce sont plutôt des enseignants expérimentés qui utilisent des concours nécessitant une certaine ancienneté.
Quitter provisoirement l’Education
Des enseignants trouvent aussi un emploi en dehors de l’éducation nationale et prennent une disponibilité. Selon les auteurs cela représente 3604 enseignants (0.5%) dont un tiers de débutants. Il faut y ajouter 1510 enseignants en détachement dans une autre administration ou un organisme privé reconnu par l’éducation nationale (0.2%). Les mises à disposition sont devenues très rares.
Le bond des démissions
Les démissions restent très rares. Les auteurs les évaluent à 2 pour mille soit 1417 personnes en 2017-2018. Si elles sont rarissimes, les démissions sont en hausse rapide. De 0.05% des enseignants en 2008-2009 elles représentent maintenant 0.2% des enseignants. En clair on est passé de 399 personnes en 2012-2013 à 1002 en 2015-2016 et 1417 en 2017-2018.
« Les professeurs des écoles démissionnent proportionnellement plus : leur taux de démission est de 0,24 % contre 0,18 % des certifiés, 0,14 % des agrégés et 0,10 % des PLP. De plus, la tendance à la hausse est plus accentuée chez les enseignants du premier degré (nombre de démissions multiplié par cinq en dix ans), même si elle se retrouve également dans le second degré (nombre de démissions multiplié par trois) ».
Mais ce sont les stagiaires qui offrent la plupart des démissions ainsi que les enseignants de moins de 5 ans d’ancienneté. Près de 6% des stagiaires quittent l’enseignement l’année suivant leur stage. On peut y voir un gros décalage entre le métier rêvé et le métier réel. On peut aussi y lire le poids de la seconde année de master particulièrement lourde.
Une hausse à relativiser
Le Café pédagogique avait signalé la hausse de ces démissions dès 2016 après la publication d’un rapport du sénateur Carle. Et nous avons interrogé des démissionnaires. Ainsi G Perret, en 2012, expliquait » J’ai eu des classes difficiles à tenir, des parents d’élèves peu coopératifs, situation très déstabilisante psychologiquement. Certains se permettaient de venir faire la discipline dans les classes de mes collègues, d’autres voulaient interférer sur la pédagogie en indiquant à notre place comment enseigner les programmes aux élèves, etc. Je n’avais pas de soutien des parents pour mener des projets avec les élèves, peu de soutien de la part de la hiérarchie ». C Malaussena évoquait ses dernières années d’enseignante dans le 1er degré ainsi : » Les dernières années, au niveau du primaire, vu toutes les réformes auxquelles on a été soumis sans qu’on en comprenne toujours le sens, vu le poids de plus en plus lourd qui a commencé à se faire sentir sur le plan purement administratif, j’ai commencé à ressentir la perte de sens dans mon travail, comme si le système m’obligeait à brider ma créativité et m’imposait de plus en plus de contraintes ».
Mais les taux français de démission restent bien en dessous de ceux qui existent dans le monde anglo-saxon, par exemple au Royaume-Uni. Une étude de la National Foundation for Educational Research (NFER) en 2016 montre que 8% des enseignants y avaient démissionné en 2015 contre 6% en 2011. Remis à l’échelle de la France cela représenterait près de 68 000 enseignants chaque année !
Comment expliquer la hausse des démissions ?
L’étude anglaise est aussi éclairante par les motifs qu’elle donne à ces départs. Les professeurs s’en vont parce qu’ils ont trop de travail et, entre autre à cause de réformes jugées trop fréquentes. Ils partent aussi car ils ont trop de pression hiérarchique ou parce qu’ils sentent que leur métier se dévalorise. Ces raisons semblent un peu universelles car liées au nouveau management public qui s’installe dans tous les pays développés. Dans tous ces pays on attend davantage de diplomes et de controle des enseignants sans offrir en retour un salaire ou des conditions de travail satisfaisants.
Il faut donc se demander pourquoi les taux de départ ne sont pas aussi forts en France. Il y a à cela des raisons administratives. Le nombre de démissions dépend d’abord des autorisations de l’administration. Or, jusque là, elle préfère garder les enseignants. Ainsi le décret de 2014 qui a restreint l’accès à l’indemnité de départ volontaire à partir de 2014, a surement freiné la hausse du nombre de démissions.
Mais le principal frein reste le statut de fonctionnaire, statut qui n’existe pas pour les enseignants outre-Manche. Le statut protège de la montée du nouveau management public. En ce sens la montée des contractuels et la remise en cause du statut, avec les réformes incessantes et leurs injonctions, pourraient expliquer aussi la montée plus forte des démissions. Il sera intéressant de suivre l’impact de la loi de transformation de la fonction publique qui a introduit la rupture conventionnelle du contrat de travail.
F Jarraud