Dans le Café pédagogique de vendredi dernier, l’ interview de Guy Dreux est présentée tout à fait opportunément sous un titre a priori paradoxal : « il faut défendre notre »foi laïque » »
C’est Ferdinand Buisson, l’un des hérauts de la laïcité en France, qui a fait paraître en 1912 un ouvrage intitulé » La foi laïque « . Et ce titre étonnant ‘’interroge’’, c’est le moins que l’on puisse dire. Comme l’a déjà mis en évidence l’historien Jean-Marie Mayeur, il s’agit – et cela peut paraître à certains un oxymore – d’une « libre pensée religieuse, empreinte d’un spiritualisme profond, pénétrée avant tout de la conviction que la religion est un besoin éternel de l’âme humaine et qu’elle doit faire le fond de la morale laïque, une véritable recherche d’une religion de l’avenir » . Une pensée religieuse donc, mais libre, car libre vis à vis de toute religion instituée.
Et l’on peut citer ici Ferdinand Buisson, distinguant « l’âme » et le « corps » de la religion : « L’âme de la religion, c’est l’anxiété intellectuelle et morale, l’esprit se posant la grande question, le cœur s’interrogeant en présence des énigmes de la douleur et de l’amour, la volonté s’exaltant dans un effort dont le terme lui échappe [ …] Le corps de la religion, c’est ce qui pourrait s’appeler le vêtement que l’esprit religieux se tisse avec les matériaux dont il dispose et selon son degré d’art et d’expérience . C’est longtemps une suite pitoyable de mythes et de rites, de pratiques et de recettes, de faits contre nature et d’idées contre raison »
Plus étonnant encore, mais au moins aussi significatif, Vincent Peillon a fait paraître il y a une dizaine d’années un ouvrage au titre lui ausi très évocateur voire provoquant : » Une religion pour la République « , avec pour sous-titre » La foi laïque de Ferdinand Buisson » ( Editions du Seuil). En effet, si la religion est une donnée anthropologique fondamentale, comme le pense Ferdinand Buisson ( et sans doute Vincent Peillon lui-même), alors les républicains, les laïques doivent en tenir compte, voire même la reprendre à leur compte (à leur façon). Et cela d’autant plus que la dénégation de cette donnée anthropologique, si elle est fondamentale, risque de se retourner contre eux, aux mains expertes de leurs adversaires politiques (c’est d’ailleurs ce que pensait Ferdinand Buisson).
Un an après, Vincent Peillon a été le premier ministre de l’Education nationale du quinquennat de François Hollande. Au cours de la campagne présidentielle du printemps 2012, François Hollande avait évoqué que l’on devrait enseigner le « fait laïque » à l’Ecole. Le 17 mars 2012, la FCPE ( la principale fédération de parents d’élèves de l’Education nationale) avait en effet invité les candidats à répondre à une batterie de questions sur l’Ecole. Et, lors de son audition, François Hollande avait déclaré qu’il serait opportun d’enseigner le « fait laïque » à l’Ecole ( à l’instar du ‘’fait religieux’’ avait-il dûment précisé ) dans le cadre d’une question portant sur la « laïcité » en général posée à tous les candidats.
Cette idée était alors portée en particulier par Vincent Peillon qui était chargé du thème de l’éducation dans l’équipe de campagne de François Hollande. Le 1er mars 2012, dans un entretien sur « France Culture », Vincent Peillon avait d’ores et déjà plaidé pour une « reconquête de la laïcité à l’Ecole ». Interrogé sur l’enseignement du « fait religieux » il avait estimé que cet enseignement était mieux mis en place que l’enseignement du « fait laïque ». Et il avait même déclaré « découvrir qu’il n’ y avait aucun enseignement » de la laïcité pour les élèves, et que l’ « on ne préparait pas les enseignants à ces valeurs ».
Il est pour le moins étrange que depuis une vingtaine d’années, chaque fois qu’il est question de la laïcité à l’école, c’est l’enseignement du »fait religieux » dans l’Ecole républicaine et laïque qui vient au premier plan. Et c’est encore le cas actuellement. Il faudrait que cela change, et que la question de « l’enseignement du fait laïque » soit enfin au centre.
Claude Lelièvre