Alors que le Grenelle de l’éducation doit se réunir jusqu’en février 2021, il connait sa première défection. La Cgt Education quitte cet ensemble d’ateliers. Elle ne souhaite pas cautionner des décisions « lourdes de menaces sur les statuts et les conditions de travail des personnels ». La Cgt Education et aussi la Fsu, qui reste pour le moment, décrivent des ateliers composés par le ministère de personnalités ignorant tout de l’Ecole. Des échanges décalés avec la réalité de l’école. Ou alors très directement dictés par les documents ministériels. Entre show et manipulation, le Grenelle s’avère tout sauf un lieu de négociation entre partenaires sociaux. Il s’agit plutôt de justifier une éventuelle évolution du métier d’enseignant dans le sens voulu par JM Blanquer. Du moins si le ministère arrive à la financer. Car le pompon c’est que cela ne servira peut-être à rien…
Un Grenelle sans assurance de revalorisation
Le ministère a annoncé la couleur. Mis en place pour « travailler avec toutes les parties prenantes du système éducatif aux moyens de renforcer l’Ecole de la République dans son rôle », le Grenelle de l’éducation doit préparer « une évolution profonde du système éducatif et des métiers des personnels de l’Education nationale ». Pour la CGT, cette évolution serait la contrepartie d’un revalorisation professionnelle. Mais celle-ci n’est ni arrêtée ni certaine au delà de 2021.
« Il n’est pas question d’augmentation indiciaire », donne en exemple Patrick Désiré, secrétaire général de la Cgt Education, interrogé par le Café pédagogique. « On ne discute pas des choses dont on veut discuter ». Pour lui, « il faudrait des discussions directes avec les organisations syndicales mais on n’en prend pas le chemin ».
Comment se passe concrètement le Grenelle ? Un planning des réunions (virtuelles) est publié par le ministère. Pour la Cgt Education, Mickael Marcilloux, secrétaire national, participe à l’atelier revalorisation, une réunion particulièrement importante. L’atelier est présidé par Marie Pierre Luigi, une inspectrice générale accompagnée de l’inspecteur général Guy Waïss. Il comprend , à coté des syndicats, deux enseignantes choisies par le ministère, un chef d’établissement, un inspecteur du 1er degré, le DRH de Schneider, une association, une députée LREM et le secrétaire général d’une académie.
Des débats cadrés
Selon M Marcilloux, les débat sont cadrés par les documents remis par le ministère. « Les membres de l’atelier se sont jetés dessus », dit-il, et la discussion suit les 3 axes du document : les débuts de carrière, le premier degré et les contractuels. « Cette façon de faire est problématique. Par exemple les pistes pour la revalorisation pointées par le ministère sont les heures supplémentaires, les IMP et d’autres indemnités. Autrement dit tout ce qui individualise les carrières », soupire t-il. « C’est exactement comme cela qu’on augmente les inégalités femmes hommes ». Le ministère veut valoriser ceux qui font du travail supplémentaire en faisant porter la revalorisation sur ce travail. Ce qui est une autre façon de ne pas revaloriser.
« Pour négocier réellement une revalorisation la CGT demande un montant et un échéancier. Mais on ne les a pas. On parle dans le vide », dit-il. Pour lui le ministère pousse à l’individualisation des carrières. Par contre l’atelier ne discute pas d’une loi de programmation. « C’est du ressort du ministre ».
Quand les rugbymen définissent le métier enseignant
Encore cet atelier est-il composé d’une majorité de personnes qui connaissent l’éducation. Ce n’est pas le cas de tous, loin de là. « Dans l’atelier « collectifs pédagogiques », on nous a entendu une intervention de Raphaël Ibanez, le sélectionneur de l’équipe de France de rugby », nous a dit Sandrine Charrier, secrétaire nationale du Snes Fsu. « Ses conseils pour l’éducation nationale ne sont pas sérieux ». Une grande partie des interventions seraient faites par des personnes qui ne connaissent rien à l’Education nationale.
Un autre exemple est donné par P Désiré avec le groupe encadrement qui est piloté par le rugbyman Pascal Papé. « Il n’est vraiment pas au fait des questions d’encadrement des établissements ».
Quand la police dessine l’enseignant du 21ème siècle
Ce n’est pas simplement une perte de temps. Ca peut être dangereux, estime M. Marcilloux. Il donne en exemple l’atelier « protection et valeurs de la République » qui a été confié à la responsable de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). « On craint une judiciarisation des problèmes pédagogiques et une criminalisation des élèves à problème ». D’autant que l’atelier travaille à des kits clés en main là où il faudrait une approche personnelle et éducative. « Que fait l’IGPN dans un Grenelle définissant l’enseignant du 21ème siècle ? », demande M Marcilloux. « Cet atelier particulièrement peut apporter des propositions que l’on ne veut pas cautionner ».
Pour lui, en définissant ainsi le Grenelle, « le ministre a les ateliers à sa main ». Sandrine Charrier y voit « une opération de communication ». La CGT a tiré comme conclusion qu’il lui fallait quitter une réunion qui aboutirait à cautionner des décisions qu’elle ne veut pas. La Fsu assure de sa vigilance. « On décide de porter la voix des personnels et de se réserver le droit de partir si les conclusions des ateliers ne prennent pas en compte nos demandes ». Le Grenelle doit durer jusqu’en février 2021.
François Jarraud