Alain Senée est élu dans le Cher du SNUipp, le premier syndicat du primaire, et directeur d’une petite école à Thauvenay, qui forme un RPI (regroupement pédagogique intercommunal) avec les écoles des villages de Ménétréol-sous-Sancerre et de Saint Bouize. Il explique comment cette rentrée particulière marquant le retour des élèves après l’assassinat de Samuel Paty, le professeur d’histoire-géo exécuté par un terroriste islamiste à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), sera vécue dans des écoles rurales comme la sienne.
Un dispositif trop rigide
« J’ai consulté mes collègues des écoles alentours. Ils disent tous :« On est horrifiés mais on est à mille lieux de ce que vivent les collègues qui enseignent dans des collèges comme celui de Samuel Paty ». C’est difficile de transférer un contexte. A la campagne comme à la ville, les gens ressentent de la même façon cet attentat comme un acte odieux, l’humain est touché au plus profond. Mais chez nous, le contexte lié à la religion n’existe pratiquement pas.
Lundi matin, dans nos écoles, cela va se passer surtout en fonction de ce dont les élèves auront besoin. Vont-ils se questionner ? Vont-ils relater l’horreur qui s’est passé ? Chacun fera en fonction de la situation qui se présente. C’est de la pédagogie que l’on va faire. Et pour cela, il faut que l’on soit libre. Le dispositif ministériel pour la rentrée annoncé vendredi, qui ne reprend plus celui négocié avec les syndicats, est un cadre à l’opposé du sujet que l’on traite, la liberté. Il est d’une rigidité totale pour tous les niveaux alors que ce dont nous avons besoin, c’est bien de liberté pédagogique.
Du mépris
Les collègues ont appris la remise à plat du dispositif préparé depuis plusieurs jours par un simple mail. Cela a été pris clairement comme du mépris à l’égard des professeurs et aussi des collectivités locales qui s’étaient engagées à nos côtés pour que l’hommage à Samuel Paty puisse se dérouler au mieux, en prévoyant l’accueil des enfants à 10 heures. Il y avait déjà eu des modifications de transport scolaire.
Lorsque les collègues ont découvert le mail dans leur boîte, ils pensaient que c’était juste un point avant la rentrée. Mais ils ont vu que la rentrée à 10 heures avait disparu… Alors qu’ils sont en vacances, il étaient sur le pont depuis 48 heures. Ils ont dû renvoyer un mail aux parents pour leur annoncer que l’on revenait à l’heure habituelle. Les maires ont dû revenir sur leur organisation. Vraiment, quel mépris !
Dans la vidéo envoyée par le ministre, on ne parle que des conditions sanitaires. On était en droit d’avoir une vraie explication de ces changements. En fait, le ministre aurait dû venir à un 20 heures à la télé pour expliquer ces changements, pour s’excuser auprès des enseignants et des collectivités locales mais aussi auprès de la famille de Samuel Paty car l’hommage n’est pas à la hauteur de ce que nous souhaitions.
S’adapter en fonction des élèves
Nous sommes toujours très ennuyés avec ce ministre qui fixe des règles à suivre. La minute de silence en primaire et même en maternelle ? Il y a bien sûr un hommage à rendre à Samuel Paty. Mais on ne peut pas imposer à un moment x ou y une minute de silence. On peut peut-être marquer cet hommage autrement, l’aborder autrement… Nous avions observé une minute de silence pour Charlie après les attentats de 2015. C’est encore un attentat perpétué contre la liberté d’expression, mais cette fois, la dimension est différente puisqu’elle touche l’école.
Nous allons partir de ce que les enfants auront compris ou pas et enclencher un dialogue afin que les élèves puissent comprendre le contexte des événements. C’est notre rôle. Les collègues sont intelligents, ils vont s’adapter en fonction de leur public et du niveau de chacun. Qu’ils nous fassent confiance, enfin ! »
Recueilli par Véronique Soulé
Dans le village de Thauvenay (18), une rentrée très anxiogène