Les acteurs de l’éducation retiendront leur souffle le 13 juin au moment où la commission mixte paritaire examinera la loi Blanquer. Sortie en deux versions nettement différentes de l’Assemblée et du Sénat, la loi devrait pourtant devenir définitive le 13 juin. D’après les indiscrétions recueillies par le Café pédagogique, la commission devrait trouver un compromis sur le texte de la loi. A cet article de tenter d’en définir les termes.
Un parcours plein de surprises
La loi Blanquer sera allée de surprise en surprise tout au long de son parcours , de son examen à l’Assemblée en février à son adoption au Sénat en mai. La première surprise a été la découverte dans l’étude d’impact de la finalité de l’article 1 qui paraissait si anodin. Puis lors de l’examen à l’Assemblée la surenchère nationaliste sur l’équipement « patriotique » des salles de classe et la sortie via un amendement de l’école publique des savoirs fondamentaux (EPSF). Enfin au Sénat, les élus ont ajouté pas moins de 28 articles. La loi a servi de plateforme pour mettre en application les rapports sénatoriaux, notamment celui de J Grosperrin. Ils ont aussi recalé certains articles dont celui créant les EPSF. Il est vrai que de février à mai, une très forte mobilisation des enseignants et des maires contre les EPSF et ce qu’ils signifient comme rupture pour les écoles est passée par là.
Ainsi le texte venu de l’Assemblée et adopté par la majorité LREM a été totalement réécrit par la majorité sénatoriale, associant Les Républicains et des centristes. A l’issue du vote au Sénat, le 21 mai, 200 amendements sénatoriaux ont largement modifié le texte. Comment concilier les deux textes ?
La réunion de la CMP du 13 juin
C’est tout le travail de la Commission mixte paritaire qui se réunit le 13 juin. On y retrouve les ténors qui ont porté la loi. Pour l’Assemblée nationale, Bruno Studer, président de la commission de l’éducation (LREM), F Chevrier et AC Lang (LREM), rapporteures, A Freschi (LREM), N Essayan (Modem) , F Reiss et M Minot (LR) le premier auteur de plusieurs rapports sur l’éducation. Parmi les sénateurs, M Brisson (LR), rapporteur, J Grosperrin (LR), qui a apporté les principaux amendements au texte, C Morin Desailly (centriste) présidente de la commission de l’éducation du Sénat, L. Darcos (LR), M Blondin et MP Monier (PS), A Karam (LREM). A ces 14 membres titulaires s’ajoutent 14 suppléants dont certains ont joué un rôle important dans la fabrication de la loi : F Laborde (RDSE), R Juanico (PS), C Brulin (PC), C Rilhac (LREM), S Rubin (LFI), par exemple.
Une analyse rapide de la commission mixte paritaire montre que le sort de la loi va se jouer entre Républicains et LREM. On pouvait imaginer une vraie bataille des sénateurs LR contre la majorité après les annonces présidentielles sur la réforme du Sénat. On pouvait imaginer que la majorité sénatoriale refuse tout compromis sur la loi Blanquer comme il vient de le faire à propos de la loi sur Notre Dame. Après tout on trouve dans la loi Blanquer la même règle dérogatoire aux marchés publics qui a nourri l’opposition du Sénat à la loi sur Notre Dame. Résultat : en l’absence de compromis en commission mixte paritaire, la loi doit repasser devant les deux assemblées, ce qui va prendre du temps. Pour la loi Blanquer, un tel scénario repousserait l’application de la loi à la rentrée 2020 au lieu de la rentrée 2019.
Les bases d’un compromis
Mais la victoire de la majorité aux européennes pèse sur ce débat. Les indiscrétions que nous avons recueillies nous dessinent un autre scénario pour la journée du 13 juin, celui du compromis. Le rapporteur LR Max Brisson, inspecteur général, et JM Blanquer auraient défini un accord. Tous les termes n’en sont pas connus. Mais on peut en dessiner les grands traits.
Le principe de l’obligation scolaire à 3 ans, c’est à dire du versement de 100 à 150 millions à l’enseignement privé par les communes, celles ci étant compensées par l’Etat, est acquis. Rappelons que c’est pur cadeau : les 27 000 enfants de 3 ans non encore scolarisés ne le seront pas plus demain et encore moins dans le privé. Environ 10 000 sont accueillis en jardin d’enfant et le compromis pourrait porter sur la pérennisation de ces jardins avec interdiction d’en ouvrir de nouveaux. Environ 7000 enfants sont en Guyane et à Mayotte où il n’y aura ni batiments ni enseignants pour les accueillir avant longtemps. Les autres relèvent souvent de l’éducation spécialisée. Comme la compensation par l’Etat va mettre du temps (probablement 2 ans), la mesure va probablement impacter le budget des écoles publiques au moment où le privé pourra améliorer sa concurrence avec le public en baissant ses tarifs grace à cet apport inattendu d’argent public.
Les EPSF ont été supprimés par le Sénat. Ils ne reviendront pas, nous disent nos sources. La mobilisation enseignante a fait reculer les élus mais aussi le ministre qui a reconnu devant le Sénat que le moment n’était pas encore venu.
L’article 1 , qui a aussi mobilisé les enseignants, sera maintenu avec tout ce que ce maintien va entrainer pour les enseignants. La jurisprudence sur « l’exemplarité » des enseignants va avoir force de loi.
La question de l’avenir du Cnesco pour maintenir une évaluation indépendante de l’Ecole a réuni des élus de tous bords, des Républicains aux communistes. JM Blanquer devrait avoir satisfaction. On mesurera probablement dans quelques années à quel point cela va changer radicalement l’avenir de l’Ecole. Sans le Cnesco, il n’y aura plus de débat argumenté , associant chercheurs et praticiens, sur l’Ecole, plus d’information nuancée et fiable de ce niveau sur les questions éducatives.
La création des EPLEI, ces établissements d’élite à recrutement socialement favorisé, sera actée. Le gouvernement va pouvoir reconstituer les petits lycées et une scolarisation totalement à part pour les plus favorisés comme cela existait sous la IIIème République.
Les amendements les plus extrêmes portés par la majorité du Sénat , la suspension des allocations familiales pour les parents d’élèves absents, l’interdiction du voile pour les accompagnatrices, ne devraient pas être repris dans le texte de la loi. Ce devrait être le cas aussi pour le pouvoir hiérarchique donné aux directeurs ou l’affectation sur contrat de mission.
Des points encore en débat
Restent le terrain des concessions. L’annualisation du temps de travail des enseignants, grâce aux expérimentations, devrait passer. La formation continue des enseignants obligatoire sur le temps des congés pourrait bien aussi être actée. JM BLanquer a donné un avis défavorable au Sénat mais ses services ont préparé le décret d’application.
Voilà ce que pourrait être le compromis du 13 juin. Mais tout dépendra aussi des enseignants. Leur mobilisation a fait reculer le ministre sur les EPSF. Elle peut encore avoir un impact sur le texte de loi. Un syndicat national, le Snuipp , a déposé un préavis de grève pour le 13 juin. Des régionales de plusieurs autres syndicats ont fait de même. Les stylos rouges ont aussi écrit aux élus pour rappeler leur refus de la loi Blanquer. L’adoption d’une loi Blanquer qui prendrait à rebrousse poils les enseignants pourrait bien accroitre la mobilisation contre la politique éducative et les réformes.
F Jarraud