Onze syndicats (Snes Fsu, Snuep Fsu, Snetap Fsu, Cgt, Cgt agricole, Sud éducation, Sud territoires, Snalc, Sundep, Cgc) et 3 mouvements (Stylos rouges, Cnt, Chaine des bahuts) appellent à la grève les 1ers jours du bac (17 juin) et du brevet (27 juin). Un appel qu’on n’avait pas entendu depuis 16 ans. Qu’est ce qui motive cette décision et quel impact peut-elle avoir ?
Un appel professionnel
« Devant le mal-être croissant des personnels, paupérisés et toujours en proie à l’austérité salariale, mis devant de graves difficultés professionnelles, le Ministre n’a jusque-là répondu que par le refus de toute discussion. Pire, des collègues faisant part de leurs critiques ont été victimes de rappels à l’ordre et de mesures d’intimidation ; les pressions et les méthodes de gestion autoritaires se développent ». L’appel des syndicats évoque la politique générale du ministère y compris les suppressions de postes dans le second degré.
Mais ce sont aussi les réformes des lycées (général, technologique et professionnel) qui motivent le mouvement. « Les inégalités d’implantation des enseignements de spécialité et des options de la réforme du lycée, les difficultés d’emploi du temps, tant pour les enseignants que pour les élèves, le rythme effréné des évaluations et un baccalauréat à valeur locale ; les familles de métiers et la promotion du tout apprentissage en voie professionnelle ; jusqu’aux incidents récents qui ont marqué Parcoursup ; les sureffectifs des classes et les suppressions de postes en collège : tout concourt à accroître les inégalités », disent les signataires.
Le précédent de 2003
Si l’on oublie l’enseignement agricole qui a lancé plusieurs grèves des examens récemment, il faut remonter à 2003 pour un appel aussi large à la grève des examens. En 2003, J Chirac est président de la République. Son ministre Luc Ferry lance des réformes : annonce de nouveaux programmes au primaire, IDD, TPE, décentralisation avec la transmission des personnels médicaux, sociaux et Atoss aux collectivités locales. Finalement seuls les Atoss seront transférés. De janvier à juin pas moins de 11 jours de grève ont lieu dans l’éducation nationale. Il y a des mouvements forts : occupation de rectorats et aussi jets du livre que le ministre avait envoyé à chaque enseignant. Mais la grande question qui intéresse les enseignants comme les autres salariés c’est la réforme des retraites augmentant les années de cotisation. Au final la grève est posée pour le premier jour du bac. Mais elle échoue : malgré quelques incidents locaux, les enseignants sont venus surveiller les épreuves.
Les différences avec 2003
La situation de 2019 est nettement différente de celle de 2003. Comme en 2003 on a connu une montée tout au long de l’année de journées d’action et de grèves. Il y a eu des manifestations sur deux samedis , des blocages de rectorat, des « nuit des écoles ». L’action s’est aussi portée sur les réseaux sociaux avec le #pasdevagues suivi du mouvement des stylos rouges, un nouveau venu qui a su résister à l’utilisation par le ministre et s’est finalement converti à la grève.
Une première différence avec 2003 c’est que le mouvement ne porte que sur des questions professionnelles. Il n’y a pas, comme en 2003, une question générale (les retraites en 2003) qui vient parasiter la journée de grève. C’est bien d’un mouvement enseignant qu’il s’agit.
La seconde différence c’est que la coupure avec le ministre atteint en 2019 des sommets. Selon le baromètre Unsa, un sondage qui fait référence avec près de 30 000 réponses, seulement 6% des enseignants approuvent la politique éducative du ministre. On atteint un plancher jamais atteint. Pire encore : pour la première fois les cadres désapprouvent aussi majoritairement la politique du ministre. Seulement 6% des directeurs d’école soutiennent l’action ministérielle. Si 50% des IEN le font aussi c’est 31% de moins qu’en 2018. Chez les IPR seulement 32% sont pour l’action ministérielle (-17% en un an). Chez les personnels de direction seulement 42 sont favorables à la politique menée. Jamais le fossé n’a été aussi grand entre le ministre et les personnels de l’Education.
Enfin le troisième point tient à JM BLanquer lui même. En 2003 des négociations avaient lieu avec les syndicats jusqu’au bout. Par exemple c’est en juin que Luc Ferry annonce que les médecins scolaires et les personnels sociaux ne seront pas décentralisés. En 2019 le ministre a choisi une attitude opposée. Non seulement il ne dialogue pas avec les syndicats mais il fait des annonces qui sonnent comme un défi. « Je prends très clairement l’engagement qu’aucune épreuve du bac ne sera annulée » , dit il sur Europe 1 le 31 mai. Il précise : « le dialogue social est nécessairement dans la durée. J e ne travaille pas sous la pression encore moins avec un quelconque chantage ».
Pour autant la grève sera-t-elle fortement suivie ? Deux faits penchent dans l’autre sens. D’abord le fait que c’est un mouvement qu’il sera difficile de rendre populaire. La peep a déjà fait savoir qu’elle proposerait des parents pour surveiller les examens. Des sondages ne manqueront probablement pas de publier des chiffres négatifs pour la grève. Surtout, les enseignants sont attachés à la réussite de leurs élèves qui est devenu à vrai dire le seul moteur professionnel. Mettre en péril un examen, même pour une journée, pose une question d’éthique professionnelle. Les enseignants vont être pris entre leur colère et l’amour du métier.
François Jarraud