La formation des professeurs connaît des réformes successives qui ne solutionnent pas les lacunes et dysfonctionnements de celle-ci. Alain Jaillet propose ici un projet disruptif, dont le caractère innovant tient à deux points principaux : l’organisation de Congrès (Congrès des lycées et des Congrès inter-degré des écoles et collèges d’un bassin), dispositifs de remontée des besoins et attentes des acteurs de l’école envers la recherche dans une démarche bottom-up et la mise au centre du bonheur des professionnels (formateurs, et professionnels de l’Ecole) comme des élèves et des parents.
Un renversement complet d’approche
Les plans d’investissements d’avenir (PIA3) sont un moyen de mettre en concurrence les établissements d’enseignement supérieur pour les sortir d’une logique fonctionnelle conservatrice. Nouveauté pour le PIA 3, puisque ce volet concerne également les ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), les INSPE (instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) selon la nouvelle réforme, afin de tenter d’influer sur les pratiques de formation des futurs enseignants.
Cette énième réforme citée se justifie toujours par un problème de formation des enseignants. Cela fait à présent 15 ans, que l’institution sous ses différentes formes ne parvient pas à donner une nouvelle physionomie à l’épure de la formation des enseignants. On peut arguer que les concours, la mastérisation, l’intégration dans l’université, le re-changement de statuts, sont déjà des tentatives d’évolution. Ce n’est pas l’objet, mais il est assez facile à démontrer que dans les faits, peu de choses ont changé, ou plutôt que les situations sont d’une extraordinaire diversité selon les lieux de formation, très certainement parce que les personnels et peut-être les dirigeants n’ont pas tous le même potentiel d’évolution.
Quels dirigeants d’ESPE d’envergure nationale ou internationale peut-on repérer dans ces institutions de formation des enseignants ? A contrario, dans un institut de Physique, il est évident qu’un physicien de haut vol en assurera la responsabilité. Même chose dans n’importe quelle discipline. A contrario, il serait bien étonnant qu’un spécialiste de l’Education par exemple dirige un institut de Mathématiques. C’est tout simplement inimaginable. Pas l’inverse et en creux, on peut l’interpréter comme le déni de valeur d’un champ de recherche qui ne sait se faire reconnaître sur son propre objet de recherche.
Avec le PIA 3, c’est donc un renversement complet d’approche. Explicitement, les futurs INSPE ou regroupements, sont engagés à penser recherche afin d’irriguer de profonds changements dans la formation des enseignants. Et pourquoi pas ?
Evaluer au bonheur
C’est la croisée des chemins pour les recherches qui se nourrissent de l’Ecole comme objet de recherche. Que feront les différentes équipes qui terminent en ce moment leurs dossiers ? On peut considérer qu’il y a en gros trois tendances.
La première, celle des chercheurs installés dans leur reconnaissance qui vont chercher à obtenir des moyens pour expliquer en quoi le système en gros ne fonctionne pas. C’est classique, mais c’est ce que l’on sait le mieux faire en France. Le fait que la multi-factorialité des dysfonctionnements trouble la vision d’éventuelles solutions qui pourraient en découler, est un effet regrettable mais qu’y peut-on ? Les chercheurs sont saufs.
La deuxième, celle des chercheurs qui ont compris qu’il fallait chevaucher la modernité. Peu ou prou, il faut feindre d’oublier que Freinet a existé un jour, et se réinventer inverseur de classe, pédagogue de projets, mais attention pas trop, car la modernité c’est aussi l’incursion des neuro-sciences et il serait bien stupide de prétendre que le cerveau n’a rien à voir dans les actes d’apprentissages.
C’est la troisième tendance, mais le risque c’est que le neuro-scientifique peut glisser vers le neuro-scientologue, lorsqu’il généralise quelques observations dont le but est de comprendre le fonctionnement du cerveau, afin d’en déduire ses 10 conseils de scientifique. Les diverses réponses vont saupoudrer un peu de tout cela, en se réclamant de partenariats avec une institution fortement novatrice et des sujets nouveaux, avec de vrais gens dans des rectorats et écoles qui seront au cœur des dispositifs.
Bref, quelle que soit l’évaluation du sérieux de tous ces dossiers, l’importance du PIA 3 ne va pas résider dans l’amont, mais dans l’aval. Comment, ceux qui seront les heureux et riches lauréats seront-ils évalués ? Sur le travail qu’ils vont faire ? Dans ce cas, tout le monde sera bien évalué, car tout le monde travaille. Et si on osait évaluer les résultats. C’est-à-dire, valider les financements non pas sur ce qui se fait, mais sur les effets tangibles et positifs et… de masse ?
Rechercher pour
Ainsi on pourrait proposer une autre tendance au PIA 3. Le Bonheur. En effet, le problème du système éducatif, ce n’est pas qu’il ne sait pas produire d’excellence, il le sait. Le problème du système éducatif, c’est que les usagers et acteurs, élèves et enseignants n’y sont pas vraiment heureux. Et c’est la clé du problème. Apprendre et enseigner doivent être des activités de plaisirs et de bonheurs. Et c’est à cela que devraient s’atteler les chercheurs. Et pour changer, pour chercher vraiment à s’immerger dans leur sujet, il faudrait oser renverser la preuve du besoin. Terminé l’excuse de la « recherche-action » et de son replâtrage en « recherche avec » pour faire croire que le chercheur s’intéresse à son sujet, il faut basculer dans la « recherche pour ». Et ce serait salutaire pour tous les praticiens enseignants dont l’immense majorité entretient une suspicion, voire nourrit une haine farouche contre toutes les recherches qui se font sur l’Ecole.
L’ensemble des lauréats PIA 3 devrait reposer leurs travaux sur des Congrès de territoire. Chaque collège et les écoles primaires qui lui sont rattachées, parce que c’est en effet la logique qui prévaut et il est un peu simpliste de le nier, chaque territoire avec ses différents lycées, devraient tenir congrès obligatoires deux fois par an. Un ordre du jour simple « définissez les questions dont vous souhaitez que la recherche se saisissent », charge aux chercheurs impliqués de fournir les connaissances existantes ou de proposer des dynamiques de recherches en appui, et le second point « comment mesurer l’impact de ce que la recherche m’apporte ».
On pourra toujours prétendre que c’est aller contre la liberté du chercheur. C’est vrai. Mais en même temps l’Etat, puisqu’il met des financements exceptionnels a le droit pour le Bien Commun et pas seulement de celui des chercheurs, de définir l’objectif qui lui est nécessaire.
Le PIA 3 osera-t-il le bonheur comme projet politique ?
Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils
Directrice du laboratoire BONHEURS
(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)
Université de Cergy-Pontoise