« Pendant longtemps l’orientation a été le parent pauvre du système éducatif… L’éducation à l’orientation cesse d’être la tâche exclusive des professionnels de l’orientation pour devenir la mission de l’ensemble de la communauté éducative ». Cet extrait du rapport Charvet, enfin publié, marque l’ambition de ce rapport. Mais dans l’immédiat ce qu’attendent les professionnels c’est déjà de savoir ce qu’ils vont devenir, pour les personnels des CIO et des directions régionales de l’Onisep (Dronisep). Et dans les établissements comment vont être utilisées les heures dédiées à l’orientation. Sur ces questions le rapport apporte des réponses précises. Avec une réserve : aucune préconisation n’est chiffrée. Peut-on changer l’orientation sans budget ?
L’avenir de l’Onisep
C’est un rapport très complet, un peu technocratique, que Pascal Charvet publie le 26 juin. Pascal Charvet, inspecteur général, connait bien l’orientation pour avoir été directeur de l’Onisep, une institution frappée de plein fouet par la loi sur l’avenir professionnel. Sa mission consiste justement à dessiner le nouveau paysage de l’orientation, depuis que la loi Avenir professionnel a confié l’orientation aux régions.
Dans les semaines à venir va se jouer l’avenir de l’Onisep, ses directions régionales (Dronisep) et des CIO. Les personnels ne savent toujours pas ce qu’ils vont devenir. P Charvet déclare « qu’il est temps que les choses soient dites clairement au personnel. On ne peut pas le laisser dans l’ignorance des intentions du ministre »
S’agissant de l’Onisep, l’Onisep va garder 95 emplois à temps complet travaillant à la centrale (Lognes) et régionalement. « Ils sont affectés dans l’antenne régionale académique de l’Onisep, qui est dirigée par le chef du SAIO, et ils exercent sous l’autorité fonctionnelle du recteur de la région académique. Dans l’antenne régionale, ces personnels sont chargés notamment d’alimenter et d’actualiser les bases de données nationales de formation initiale et continue mais aussi de travailler avec les régions à l’élaboration de la documentation de portée régionale sur les enseignements et les professions. Ils sont chargés ainsi de mettre à la disposition des centres chargés de l’information et de l’orientation les moyens de documentation et d’information nécessaires à leur action. Ils participent aux études initiées par l’Onisep, notamment pour l’analyse des fonctions et l’évolution des qualifications professionnelles », affirme le rapport. Evidemment ça fait beaucoup de travail pour peu d’agents. P Charvet imagine de les renforcer avec les IEN IO.
Pour les personnels des Dronisep (en dehors des 95), environ 155 personnes, on va leur proposer soit un détachement auprès des régions, soit une affectation dans les services du Men et dans les EPLE. « Il faut qu’ils soient accompagnés personnellement », déclare P CHarvet. « Ils seront entendus ».
L’Onisep est recadré dans ses missions avec le CIDJ. « la production de l’information sur les métiers et les formations pourrait relever de la seule mission de l’Onisep dont c’est le coeur de cible. Le CIDJ offrirait la disponibilité de ces ressources à son public au même titre que celles relatives à ses autres champs de compétences. Les contenus des sites internet du CIDJ et de l’Onisep devraient être retravaillés en ce sens. L’optimisation des ressources documentaires et numériques se traduirait par le transfert d’une partie de l’activité documentaire et éditoriale du CIDJ à l’Onisep », écrit P CHarvet. « Le CIDJ doit recentrer ses actions sur ce qui est davantage le coeur de ses missions et là où il excelle : la mobilité, en particulier à l’international, et son offre de formation sur la vie quotidienne (logement, emploi, informations juridiques, santé, loisirs, culture, engagement, stages, jobs d’été, vie de la voie professionnelle, etc.). Il doit faire bénéficier l’Onisep des informations afférentes ». L’Onisep renforcerait son controle sur le Céreq. Surtout P CHarvet veut faire de l’ONisep la tête pensante de la didactique de l’orientation. « L’Onisep a un rôle déterminant à jouer dans ce nouveau paysage recomposé, certes en tant qu’opérateur de l’information à l’orientation, mais de plus en plus comme créateur de services pour la pédagogie de l’orientation à destination des lycées et des collèges, et ce en lien avec les régions ».
Celui des Psy-En et CIO
La loi a aussi mis en danger les personnels des CIO. Il est acquis qu’un CIO au moins restera dans chaque département. « Les psy-EN sont affectés dans les antennes du CIO départemental implantées dans les BiblIO-Lab des établissements « têtes de réseau » (ces antennes sont dotées d’un code UAI qui permet l’affectation des psy-En) », imagine le rapport. « Ils sont placés sous l’autorité fonctionnelle du chef d’établissement « tête de réseau » et sous l’autorité hiérarchique du recteur et du directeur de CIO (conformément au statut existant). Ils interviennent au profit des établissements du réseau dans le cadre d’un programme d’actions concerté entre le chef d’établissement « tête de réseau », le chef d’établissement d’intervention et le directeur de CIO, et en lien avec l’IEN-IO. Dans ce contexte, une nouvelle carte cible d’environ 150 CIO, auxquels viendraient s’ajouter les « équipes têtes de réseaux », pourrait être fixée à horizon de trois ans ». P Charvet insiste sur le maintien d’un collectif d e travail des psy-en, une revendication qui semble avoir été entendue. « L’action de ces personnels doit être réinvestie auprès des chefs d’établissement, d’une part au niveau de la collectivité scolaire, dans la déclinaison des actions d’information et d’orientation destinées aux élèves, d’autre part au niveau individuel, par l’apport d’un éclairage et d’un soutien personnalisés. Elle doit pouvoir se réinvestir aussi dans les actions de formation des équipes éducatives auxquelles les psy-EN participent du fait de leur expertise légitime », estime t-il.
Des référents dans les établissements
Quels changements pour l’orientation dans les établissements ? Le problème posé par la loi Avenir professionnel c’est de faire entrer les régions avec leur vision locale de ce que doit être l’orientation dans les établissements où on craint à la fois l’adéquationisme et l’entrée des entreprises.
P Charvet pense avoir trouvé la solution en nommant un « référent orientation » dans chaque établissement. Ce référent orientation serait un enseignant ou CPE ayant passé une certification complémentaire pour les enseignants ou une habilitation pour les CPE. C’est ce référent qui ferait l’interface avec la région, les entreprises locales et les associations susceptibles d’intervenir sur les heures dévolues à l’orientation. P Charvet insistant sur le développement d’une didactique de l’orientation.
Les séquences sur l’orientation
Ces interventions auront lieu sur les heures inscrites dans la réforme du lycée (54 heures ) et dans la grille des collèges (36h). Les interventions seront « construites par la région et les équipes éducatives. A coté d’un travail en atelier, il y aura des entretiens individuels des élèves avec le professeur référent, ou un psy en ou des tuteurs fournis par des associations partenaires.
« Un scénario type », explique P Charvet, « c’est la connaissance de soi, celle des métiers, des visites, des stages pour une vision incarnée des métiers ». P CHarvet aimerait que les professeurs documentalistes soient étroitement associé au travail d’orientation. Il rêve de Biblio-Lab dans les établissements en lieu et place des CDI. « Le BiblIO-Lab est le centre de l’accompagnement à l’orientation dans l’établissement, en lien avec le CIO, les SCUIO-IP et la région. Il est aussi l’espace commun de collaboration entre psy-EN, professeurs et éducateurs impliqués dans l’accompagnement à l’orientation. »
Ainsi l’enseignement d’orientation associerait dans chaque établissement le référent, les professeurs principaux , le personnel des régions et des partenaires associatifs ou économiques. Les séquences seraient préparées en commun , sans qu’on sache bien comment matériellement cela serait possible.
On retrouve dans ce descriptif des recommandations du Cnesco lors de la conférence de consensus de novembre 2018. Le Cnesco recommandait « des programmes sur la connaissance de soi… déployés en trois temps : dans les collèges d’éducation prioritaire, dans un premier temps ; dans l’ensemble des collèges, dans un deuxième temps ; dans l’ensemble des écoles primaires, à moyen terme ». Par contre la recommandation visant à donner une dimension sociale à l’orientation pour rassurer les jeunes et leur famille su rleur légitimité à faire des études supérieures n’est pas reprise.
Les Cordées de la réussite généralisées
Le rapport donne une grande importance au tutorat des élèves. P Charvet veut que les « cordées de la réussite » soient généralisées dans les établissements. Ce dispositif n’a pourtant jamais fait preuve d’une évaluation réelle. Les Cordées avaient déjà été mises en valeur dans les Parcours d’excellence déjà plus ou moins oubliés.
Si l’efficacité des Cordées reste à établir, on a eu par contre une évaluation des dispositifs d’aide proposés aux élèves des internats d’excellence. P Rayou a pu montrer, dans Aux frontières de l’école, que ces dispositifs, qui ressemblent à ce que veut mettre en place le ministère, ont échoué et ont finalement été désertés par les élèves. Il ne suffit pas d’offrir des visites de musée pour transmettre la culture bourgeoise. Il ne suffit pas d’une aide en dehors de la classe pour résoudre les difficultés des élèves. Ce n’est pas parce que les élèves travailleront plus, qu’ils auront un encadrement plus attentif, que les difficultés, souvent anciennes, s’envoleront.
Une autre idée fonde ce dispositif : l’idée que ce qui empêche les élèves de réussir c’est l’autocensure des familles. Deux études récentes, un rapport de l’Inspection et une étude de la Depp, ont montré que cette autocensure existe. Mais là aussi il ne suffit pas de la gommer pour que la réussite arrive. On aimerait croire qu’il suffise de promouvoir l’information sur les filières sélectives et de donner un coup de pouce ministériel pour que la sélection sociale des élites s’atténue. Malheureusement c’est plus compliqué comme l’ont montré Sylvain Broccolichi et Rémi Sinthon, dans un article paru dans le numéro 175 de la Revue française de pédagogie.
De nouveaux rapports Etat régions
Avec ces recommandations, P Charvet arrive a dessiner les rapports entre Etat et régions dans la nouvelle orientation. Il croit dans la levée rapide de deux tabous qui plombent l’orientation selon lui : la lecture hiérarchique des voies d’orientation, qui mettent le professionnel en bas, et l’information sur la réalité du marché du travail. En attaquant ces tabous, selon P CHarvet, on devrait avoir une orientation qui s’adapte à la réalité économique et qui permette d’éviter la montée du chômage.
P Charvet a beau jeu de dénoncer la concentration sur quelques filières des affectations en professionnel aux dépens de branches dynamiques. Mais actuellement encore l’affectation des élèves ne respecte souvent pas leur choix. Changer cela impose des moyens pour créer des postes dans de nouvelles branches. Or d’argent il n’est jamais question dans le rapport, pas plus pour estimer le coût des référents que développer ces branches.
François Jarraud