Où l’on comprend comment et pourquoi
est mis en place le soutien scolaire
Prérentrée (banlieue Ouest)
septembre 2008
Une semaine avant la rentrée, chaque enseignant s’affaire dans sa classe : la rendre la plus belle possible, idéaliser la venue des petits, rêver à une année de projets, de réussite. Pour accueillir mes nouveaux élèves, j’apprends par cœur leurs prénoms, je prépare leurs cahiers, j’installe ce lieu de vie : je pose sur une table bleue des coquillages, des gros dans lesquels « on entend la mer », des petits agréables à toucher, du sable qui glissera entre leurs mains et mes hippocampes séchés qui les fascineront, je le sais. Ils sont là pour apprendre. Le premier jour est très important.
La veille l’est beaucoup moins. Cette journée, nommée prérentrée, est celle où tous les professeurs de France plus ou moins bronzés, se retrouvent dans une salle exceptionnellement pimpante, propre, rangée. Certains connaissent les lieux, se retrouvent entre collègues comme si aucune ellipse temporelle ne s’était produite. D’autres découvrent fébrilement un univers nouveau. La cérémonie commence par le rituel tour de table. Puis cela s’agite autour des commandes de matériel non encore livrées, des conseils de maîtres à planifier, des services de surveillance dans la cour à assurer, des horaires de sport, des études surveillées à partager… Vivre ensemble n’est pas toujours facile pour ceux qui l’apprennent aux enfants…
Prérentrée (banlieue Est)
Ce jour de la prérentrée 2008 sera différent. Au milieu de la table, le directeur bougon a posé un panonceau en forme de chevalet :
Nous voici mis dans l’ambiance. Il est d’abord abordé la programmation des réunions du samedi matin. Les médias répètent à l’envi qu’il n’y a plus d’école le week-end, mais les enseignants de notre école travailleront un samedi sur deux pour placer les réunions de concertations, formations, conseils des maîtres, et autres conseils de cycle. Ces heures en moins pour les élèves, remplacées par des réunions dont tous ne voient pas l’intérêt, commencent déjà à échauffer les esprits. Pourquoi supprimer deux heures d’école par semaine à tous les élèves, surtout en regard des nouveaux programmes découverts à la va-vite en fin d’année dernière et qui semblent impossibles à tenir ? Pourtant dans cet établissement, comme dans de nombreux autres, les enseignants ont un esprit « bon élève », « obéissant ». Cette mentalité ne les a pas quittés depuis l’école : souvent, ils sont restés sur ses bancs depuis leur enfance. Néanmoins nombre d’entre eux s’indignent. Certains aimaient cette matinée de fin de semaine un peu particulière, qui permettait une respiration avec les élèves et une rencontre avec leurs familles. Lorsque j’avais une classe, c’était le moment du conseil des élèves où chacun pouvait s’exprimer librement, faire ses remarques, félicitations ou plaintes sur le vécu de la semaine écoulée. Un moment crucial pour les enfants. Celui aussi de l’écriture d’une histoire.
Le directeur grognon reste calme. Son acte militant a été de poser ce petit panneau au milieu de la table. Intérieurement, il bouillonne. Comme de nombreux directeurs, il veut juste que la rentrée se passe bien, que tout ronronne, surtout les relations avec les parents. Il égrène donc les desiderata de l’inspection académique sans commentaire. Le “soutien“ fait son entrée dans l’école ! Les heures libérées du samedi matin seront remplacées par l’aide personnalisée pour les élèves en difficulté. L’inspectrice a décidé des horaires, deux séances hebdomadaires, le lundi et le jeudi midi, chacun devra remplir son petit tableau de services à chaque séance. Il les distribue. J’aborde la question de l’articulation de ce travail avec le mien, enseignante spécialisée au sein d’un RASED. Nul ne sait. A nous de l’organiser. Les textes régissant notre intervention auprès des élèves en difficulté scolaire ne sont pas abrogés…
Pendant notre formation de maître spécialisé, il nous a été expliqué que notre travail n’était pas du soutien scolaire. Nous nous intéressons à l’élève dans sa globalité afin de déclencher chez lui une motivation pour les apprentissages, de dynamiser son activité cognitive, de lui donner l’expérience de la réussite. C’est un métier que j’ai découvert et que je trouve formidable. Certains élèves suivis se mettent « à penser» et à réussir. Le bonheur de l’enfant est alors palpable. Cela ressemble à chaque fois à un petit miracle, qui passe par l’affectif, par le ludique, et surtout par la compréhension de « ce qui coince pour un enfant », ses « besoins particuliers ». Cela peut être du domaine de la mémoire, de la représentation mentale, de la logique, etc. Comment cette prise en charge va-t-elle s’articuler avec ces fameuses heures de soutien ? Concerne-t-elle les mêmes élèves ? Comment cela peut-il être expliqué aux parents ? Autant de questions sans réponse qui vont contribuer cette année au chaos. Chaos dans lequel cette réunion s’achève déjà. Demain, tous les élèves seront là. Les petits CP, accompagnés de leurs parents, arriveront une demi-heure plus tard, avec un espoir : réussir à la grande école.
Rentrée (banlieue Ouest)
Bonheur de retrouver les enfants ! Sans eux, une école est une pièce fermée, vidée, au silence pesant et inquiétant. J’ai toujours un peu peur qu’ils ne reviennent plus et, comme les petits bourgeons du printemps, je m’émerveille de les retrouver chaque année.
Cahier-journal du mardi 2 septembre. Classe de CE1. (Extraits)
Tous reconnaissent l’étiquette de leur prénom + nom de famille sauf Mélanie et Paul. Karim très angoissé, parle tout le temps. Penser à le rassurer. Paul n’a pas de cartable et aucune affaire. Rose très en retrait. Ont adoré quand je leur ai lu « Chhtt! » mais Sandy a eu très peur. Jules n’a pas compris de quoi ça parlait, me parle d’un loup alors qu’il n’y en a pas dans l’histoire. Violette ++++. Alice complètement perdue, ne savait plus si elle mangeait à la cantine, à surveiller.
Ce document est un des écrits obligatoires, que les enseignants constituent au cours de l’année, sur lequel ils notent chaque jour ce qu’ils ont proposé aux élèves, les activités menées, les exercices faits ; c’est la mémoire de la classe. Chacun le tient plus ou moins bien, selon les années, la période, le besoin et le sérieux. Il m’est nécessaire d’y écrire certaines réactions de la classe, des élèves. Ces remarques m’aident, parce qu’il n’est pas facile de saisir le fonctionnement de chacun. C’est la beauté de mon métier. Depuis quinze ans, les élèves m’apprennent la complexité de la personne humaine tout comme je leur apporte la richesse, les contradictions, l’exigence, les nuances de notre monde. Ce métier est fait de créations, de réflexions, de doutes et de petites victoires. En revanche, chaque année, je me heurte à un ou plusieurs enfants qui n’arrivent pas à apprendre.
Rentrée (banlieue Est)
Ce soir, après avoir observé en classe et commencé à repérer les élèves dont les yeux regardent ailleurs, ceux dont l’attention ne se fixe pas, ceux qui sont trop excités, trop inhibés ou trop anxieux, après cette découverte de ces nouveaux petits personnages dont les mimiques vont rythmer mes jours, ces « élèves en difficulté » que je reverrai sûrement cette année, un descendant de Jules Ferry va anéantir mes jolies illusions d’instit modèle.
Dialogue entre Marie Drucker et Luc Ferry sur Europe 1 le 2 septembre 2008, soir de la rentrée.
M.Drucker : La suppression des deux heures du samedi matin, est-ce pour vous une bonne mesure?
Luc Ferry : ça dépend de quel point de vue on se place. Si on se place du point de vue des performances des élèves, ce n’est pas forcément une chose formidable. Si on se place du point de vue budgétaire, qui peut paraître ridicule aux yeux de certains enseignants, mais qui ne l’est pas car l’avenir de nos enfants dépend aussi de la dette publique qui pèsera sur eux /…/La question de la dette publique est fondamentale/…/ Derrière la suppression d’heures, même au primaire, il y des suppressions de postes. En supprimant le samedi, on fait des économies…
M.Drucker (voix étonnée) : En supprimant le samedi, on fait des économies ? Comment ?
Luc Ferry : C’est drôle, il faut vraiment être technicien pour le savoir. Sur le passage de 26 à 24 heures , vous diriez c’est dans le primaire, ça ne change pas. Les deux heures de soutien, ça permet de supprimer les RASED. C’est ça l’enjeu de cette réduction. Outre le fait que ça fait économiser, ça fait plaisir aux parents, ça fait plaisir aux élèves, ça fait plaisir aux professeurs. Ça fait plutôt un avantage politique et une réduction des coûts budgétaires.
Le choc est violent, je suis seule, je prononce à voix haute un mot d‘adolescente : « cash », émotion forte et larmes aux yeux. Je viens d’apprendre que les enseignants des RASED sont seuls au monde, que je ne suis pas professeur, que je fais du soutien scolaire, que je suis une irresponsable et que ma présence dans les écoles signifie un poids pour les enfants de demain.
Mercredi 2 septembre (banlieue Ouest)
Le lendemain de la rentrée, un mercredi, est prévu un conseil des maîtres exceptionnel : l’Inspectrice nous demande de mettre en place « l’aide personnalisée ». La circulaire, parue en catimini le 6 août, n’a pu encore donner lieu aux modalités pratiques de ce nouveau dispositif. Quels enfants choisir ? Pourquoi faire ? Quand ? Sous couvert de liberté, c’est à chaque école de mettre en place ces deux heures de soutien hebdomadaire, censées faire croire aux parents d’élèves que l’on s’occupe, enfin, des problèmes de leurs enfants. Nous savons déjà que le Maire de la Ville n’a pas autorisé l’allongement de la pause méridienne, entre la sortie à midi et la rentrée à 13 heures 20, que l’école sera réservée, le mercredi, aux activités périscolaires. Il reste aux enfants le matin avant 8 heures 20, l’heure de cantine ou le soir.
Les quinze enseignants de l’école sont donc réunis autour du directeur, devenu comptable, qui se lance dans un complexe calcul d’heures de travail exigées à la minute près et de nombre d’enfants en nombres décimaux. « Donc, il y aura 3,7 enfants pour 84 heures exigées dans l’année »*. Certains enseignants font l’étude dirigée du soir, qui est rémunérée ; ils ne peuvent pas perdre ce salaire, important pour certains. Faire revenir un enfant après 18 heures semble difficile…Le matin est rapidement exclu, on imagine mal un parent accompagner son enfant à 7 h 45 pour revenir à nouveau pour un frère ou une sœur à 8 h 15. La majorité opte pour l’heure du déjeuner, chaque midi une demi-heure ; quelques uns choisissent de 16 h 15 à 17 h 15 deux fois par semaine. Les heures sont casées, quid de l’intérêt des enfants ? Je sens le terrible roi Minos se pointer lorsqu’il s’agit de désigner les élèves : problèmes langagiers, de comportement, coups de pouce ou travail de fond ? Va-t-on mettre une croix à la craie blanche sur le cahier de ceux qui seront « pris »en soutien ? 24 heures après la rentrée, l’enseignant de l’année ne les connaît guère. Des réputations sont déjà faites, mais ce déterminisme est-il juste ? Malgré les injonctions, il est sagement décidé de procéder à des évaluations rapides (dans le temps et dans la durée) des compétences de tous les élèves pour retenir ceux qui en auraient besoin, du point de vue des apprentissages. Une fois ces évaluations faites, de nouvelles réunions de concertation nous occupent pour constituer les groupes d’élèves ; malgré la dénomination d’aide personnalisée, nous n’avons plus le droit de travailler avec un enfant seul. Chaque maître doit « trouver » des élèves pour « remplir » les déjeuners. J’entends « Ah non, pas lui, il est déjà super pénible ! » « Mais j’peux pas, les parents vont pas être d’accord ». Doit-on obliger un petit qui ne mange pas à la cantine de le faire, pour assister au cours de soutien ? Que faire de celui qui a déjà un suivi orthophonique et psychologique à l’extérieur ? Et de celle qui bénéficie d’une aide effectuée dans l’école par une maîtresse spécialisée (RASED) ? C’est aussi la course pour annoncer aux parents les résultats des évaluations, s’entretenir très vite avec eux des difficultés de leurs enfants, obtenir leurs fameuses signatures qui nous accordent le droit de faire travailler leurs petits en dehors des heures d’école. Tout cela aurait pu passer…
Mais voilà ! Le réfectoire de la cantine est trop petit pour faire manger tous les enfants ensemble : les petits de 6 à 7 ans déjeunent ensemble puis les grands de 8 à 10 ans les suivent. Les heures de soutien mises en place le midi, sans la concertation du responsable de la cantine désorganisent tout cela. Qu’à cela ne tienne ! Tous les enfants en difficulté de 6 à 10 ans seront regroupés et mangeront seuls, rapidement, pour laisser ensuite la place aux autres. La honte m’assaille ce premier jour d’octobre lorsque je rentre dans le réfectoire pour prendre mon plateau. Têtes baissées, privés de leurs copains de classe, les « soutiens », comme ils s’appellent, vident leurs assiettes. Dans cette école des beaux quartiers, vingt élèves de couleur se trouvent regroupés tous les midis pour déjeuner ensemble, ils n’ont pas le même âge, ne s’apprécient pas, leur seul point commun : être en difficulté. Fatoumata est en face de Ziad qu’elle déteste ! Plus de mélange…On reste entre soi ! Leur privilège : énoncer « Soutien, moi », pour entrer les premiers, seuls, devant les autres dans le réfectoire. Je n’y arrive pas, je ne le supporte pas, je n’accepterai pas cela de l’école. On me dit trop sensible. Je persiste. Cette situation dure un mois.
« Ma fille a les petits cours privés, avec sa maîtresse ! C’est vraiment bien que cela existe maintenant ! ». Tout va bien dans le meilleur des mondes. Sait-elle cette maman ce que vit sa fille chaque midi ? Pense-t-elle qu’avant je ne faisais rien pour les élèves ? Croît-elle que ce déjeuner vite avalé, cette demi-heure à la va-comme-je-te-pousse, aidera son enfant à apprendre ? Connaît-elle les nouveaux programmes qui devraient me contraindre à aller beaucoup plus vite que l’an dernier, et à perdre un peu plus son enfant ? Lui raconterai-je l’état de ces deux jumeaux de 7 ans, ne rentrant plus ensemble le midi chez eux, l’un contraint de manger à la cantine, sans comprendre pourquoi son frère, meilleur que lui, déjeune avec maman ? Lui dirais-je tout cela ?
* Chaque enseignant doit effectuer 108h annuelles, en plus des 24h hebdomadaires d’enseignement à tous les élèves . Les réformes Darcos les fixent ainsi : 24h de relations avec les parents ou de travaux en équipes pédagogiques, 60h de soutien aux élèves en difficulté, 6h de conseil d’école, 18h d’animation pédagogique. Ces heures seront comptabilisées et consignées par écrit par chaque enseignant. Je m’imagine compter mes heures de discussion avec les parents !..
Selon un pointage du ministère de l’Éducation, toutes les écoles élémentaires (maternelles et primaires) auraient mis en place l’aide personnalisée. Déjà 1 million d’élèves, soit 19,3 % de l’effectif total, auraient été pris en charge. De source syndicale, on indique que quelques écoles boycotteraient ouvertement le dispositif en ne proposant aucune aide. D’autres au contraire, détourneraient la mesure en la proposant à tous les élèves à tour de rôle.
La plupart des écoles ont opté pour des formules classiques. Pour 42,5 % des élèves, l’aide personnalisée a lieu à la pause de midi. Pour 32,69 % d’entre eux, elle se fait en fin d’après-midi après la classe, et pour 13 % le matin, avant le début des cours. Ces deux heures sont réparties le plus souvent sur quatre jours à raison de 30 minutes par jour. En revanche, le créneau du mercredi matin est resté très marginal. Selon le ministère, il concerne seulement 4,11 % des élèves, dans 1 100 écoles (sur un total de 55 600). Source : Le Monde – date 24/10/2008
Deux moments de la journée scolaire se caractérisent par une vigilance nettement plus faible à tous les âges de l’école primaire:
– à partir de 08h30, heure d’entrée en classe, il faut entre trente et soixante minutes pour que les enfants retrouvent un niveau de vigilance suffisamment élevé pour qu’ils puissent développer une attention, une réceptivité et une disponibilité optimales ;
– la mi-journée (12h30-14h00) se caractérise à tous les âges par une dépression de la vigilance corticale, sans relation avec les entrées alimentaires. Chez les enfants d’école maternelle, c’est le temps de la sieste.
La probabilité est donc élevée que la première heure, la mi-journée et le temps postscolaire (après 16h30, tous les enfants sont fatigués) ne se prêtent pas à des activités qui nécessitent une forte mobilisation de l’attention et des ressources intellectuelles.
Hubert Montagner (Docteur d’état en Psychophysiologie, Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur de Recherche de l’INSERM dans les domaines de la Psychophysiologie, du développement normal et pathologique de l’enfant et de la chronobiologie) « Les rythmes scolaires de l’enfant »
Réunion avec l’Inspectrice (banlieue Est)
Comme elle est drôle cette réunion. Douze septembre 2008, les visages ne portent déjà plus la trace des vacances, ils sont tendus. Notre supérieure hiérarchique accueille tous les membres du RASED de notre circonscription* pour une année « de forte transformation ». Nous ne savons pas ce que ces mots recouvrent, nous ne savons pas si elle même le sait, mais nous entendons « expectative quant à vos postes et quant à vos missions dans l’avenir». Au tableau, notre inspectrice trace comme elle peut un schéma qui récapitule toutes les mesures concernant l’aide aux élèves en difficulté scolaire, en fonction des différents cycles* de l’école élémentaire. Elle se transforme en VRP de l’Éducation nationale pour vendre de nouveaux dispositifs aux noms barbares. Comme elle le ferait devant des parents d’élèves. Des mécanismes qui s’empilent les uns aux autres et se confondent dans une confusion palpable afin de donner l’illusion que ces pauvres élèves en panne sont au cœur de toutes les attentions, de toutes les intentions les plus louables.
Notre inspectrice détaille consciencieusement les PPRE, Programme Personnalisé de Réussite Educative, quatre initiales devenues baguette magique de l’enseignant en butte à la difficulté scolaire et censées résoudre tous les problèmes. Le PPRE est en réalité un document écrit, signé par le maître de la classe et les parents, qui précise un objectif d’apprentissage à atteindre en quelques semaines et les moyens mis en place dans la classe pour y parvenir. Tous les acteurs impliqués ainsi que les aides extérieures sont mentionnées. Les objectifs sont restreints, par exemple : connaître la conjugaison des verbes du premier degré, savoir faire une addition à retenue, reconnaître les lettres de l’alphabet…Dans la réalité, le PPRE est rare, les maîtres ont bien du mal à le mettre en pratique et les écrivent souvent le jour de la visite de leur inspecteur. Puis les oublient…Pauvres Pépés heuREux ! Ils me font penser à l’injonction de cette mère de famille lors d’un rendez-vous avec son fils qui n’arrivait pas à se souvenir des lettres : « Bon dès demain, je compte sur toi, Mathieu, tu vas travailler et y arriver ! ». C’était une jeune femme cadre dynamique, élevant seule son fils. La volonté consciente n’est le plus souvent pas en cause pour ces élèves et les injonctions ne changent rien.
Madame l’Inspectrice poursuit sa démonstration en reliant le PPRE à l’aide individualisée du midi puis au RAN (Stage de Remise à Niveau pendant les vacances scolaires) pour les élèves de CM1 et CM2, tentant en se mordant la langue de trouver une petite place pour le RASED, tandis que se profile déjà à l’horizon l’usine à gaz de l’accompagnement éducatif. Arrêtons-nous sur ce dernier terme que nous découvrons aujourd’hui, comme vous peut-être. Le Ministère a décidé que les élèves des écoles élémentaires de l’éducation prioritaire pourraient rester à l’école gratuitement tous les jours. Il vient donc de mettre en place la suppression du samedi matin, deux heures d’apprentissage menées par des professeurs, pour occuper des élèves le soir, par du personnel municipal (quid de la formation de ces adultes prenant en charge les élèves les plus défavorisés ?). Cet accompagnement éducatif mêlera aide aux devoirs, qui existe déjà (mais qui s’appelle l’étude dirigée, effectuée par des enseignants) et autres activités ludiques, sportives…Un budget pharaonique pour les communes, relayées en partie par l’État. Pourquoi l’État peut-il se permettre de telles dépenses et doit supprimer des postes d’enseignant ?
L’inspectrice soulève un autre facteur de complexité pour l’Éducation nationale : les compétences des élèves se mesurent par l’acquisition du palier 1 ou du palier 2 du socle commun de connaissances*. Or ces paliers ont été institués en 2007 en fonction des anciens programmes de 2002. Et ne peuvent plus être mesurés ainsi suite aux nouveaux programmes de 2008, établis à l’inverse de ce qui a été fait jusqu’à maintenant, sans que l’on sache comment. Notre inspectrice, visiblement exténuée et dépassée par certaines des mesures qu’elle doit défendre, nous avoue qu’elle est en peine pour mettre en cohérence ce socle commun et les nouveaux programmes.
Le coup de grâce tombe à la fin de cette réunion avec la refonte de la formation des maîtres dont nous aurons l’occasion de reparler. En fait de refonte, c’est de disparition dont il s’agit. En ce début d’année, la réforme de notre système éducatif, absolument nécessaire pour être plus près des élèves et mieux enseigner, se solde par un catalogue de mesures incompréhensibles et démagogiques.
J’oscille entre colère et incrédulité. Tout cela me semble impossible, irréel.
/…/En classe, on peut estimer à trois heures trente minutes la durée vraiment utile des activités pédagogiques. C’est-à-dire, la quantité de temps pendant lequel la vigilance et l’attention sélective des enfants sont suffisamment élevés…au Cours Préparatoire et par jour pour que les savoirs et connaissances soient efficacement transmis, et donc pour que chaque élève ait une probabilité élevée de bien comprendre et apprendre. Dans les cours moyens, on peut l’estimer à quatre heures trente minutes./…/
En France, la durée de la journée scolaire est de six heures de temps contraint (cinq heures trente minutes de temps pédagogique et trente minutes de récréation). Elle est ainsi la plus longue du monde.
?Si on se fonde sur les observations filmées tout au long du temps scolaire, aucun enfant de l’école primaire ne peut être vigilant, attentif, réceptif et disponible pendant cinq heures trente de temps pédagogique, même quand elles sont interrompues par des moments de détente.
Hubert Montagner (Docteur d’état en Psychophysiologie, Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur de Recherche de l’INSERM dans les domaines de la Psychophysiologie, du développement normal et pathologique de l’enfant et de la chronobiologie) « Les rythmes scolaires de l’enfant »
Le pire. Réunion syndicale (banlieue Est)
Le pire, c’est qu’au départ, j’étais d’accord. J’ai même failli me faire lyncher pour ça. La preuve… Nous sommes en juin de l’année dernière. Le temps est printanier. Un samedi matin, je me rends à une réunion syndicale après en avoir informé mon inspectrice. Le décret Darcos avec la suppression des deux heures et la mise en place de l’aide personnalisée vient de paraître. Du côté des réseaux (RASED), c‘est l’effervescence. Nous sommes nombreux, nombreuses, devrais- je dire, car l’assemblée est presque exclusivement féminine. Essentiellement des rééducatrices, que l’on appelle maîtres G dans notre jargon et des maîtres spécialisés pour l’aide pédagogique comme moi, dénommés maîtres E. Raconter une assemblée d’instits, c’est décrire des femmes différentes, de tous âges, de toutes couleurs de peau, de toutes origines sociales, quelquefois jolies, le plus souvent simples, peu maquillées, sans bagues en diamant ni ongles rouges vernis. Des cheveux blonds longs qui coulent sur des tee-shirts à boutons nacrés, des couleurs un peu passées, de vieilles besaces en cuir revenues à la mode, des collections de boucles d’oreille indiennes, une assemblée un peu baba cool, un peu Décathlon. Souvent, je les trouve très marquées, ridées avant l’âge, trop maigres ou trop pâles, des cheveux trop rares ou des yeux trop brillants. Les enseignantes spécialisées sont souvent un peu plus âgées, un look plus original parfois. Les rééducatrices surtout, qui ont une activité proche de celle des psychologues. Elles travaillent dans « l’entre-deux » comme elles ont coutume de le dire. Leur travail consiste à s’occuper des élèves qui refusent les apprentissages, l’école. Ceux dont le comportement violent met en péril l’équilibre de toute une classe ou de toute une école. Ceux aussi qui, à l’inverse, sont totalement mutiques, absents. Aujourd’hui, toutes ces professionnelles ont en commun leur air grave : elles ont peur de perdre leur spécialisation, de redevenir les maîtresses qu’elles étaient à l’origine, un métier qu’elles n’ont plus exercé depuis des années…
Je ne comprends pas la raison de leur angoisse, elle me semble démesurée… pour tout dire, un peu paranoïaque. La responsable de tous leurs maux : l’aide personnalisée. Les maîtres de chaque classe apporteront désormais de l’aide aux élèves en difficulté d‘une école. Les professionnels de l’aide, les réseaux, se sentent dépossédés. Je bouillonne intérieurement ! Comment peut-on prétendre vouloir aider les enfants et refuser l’aide personnalisée que la maîtresse de la classe peut apporter ? Lorsque j’avais une classe, j’en rêvais. J’avais même écrit un courrier au maire de ma commune en ce sens. Faire les études surveillées du soir avec ses propres élèves en difficulté et « laisser » les autres aux animateurs. Ce projet me semblait intéressant mais ma directrice l’avait balayé d’un revers de manche. A l’époque, j’avais tenté un sauvetage en lecture pour une petite fille de ma classe, que j’allais chercher après la cantine le plus souvent possible pour bricoler entre midi et deux… sans résultat.
Ainsi, lorsque la représentante syndicale, une brune aux cheveux courts et lunettes bien carrées, nous explique que cette réforme signifie forcément la fin des réseaux d’aide, je m’insurge « pourquoi les maîtres des classes n’auraient-ils pas le droit eux aussi de s’occuper de leurs élèves en difficulté en petit groupe? ». Je ne suis pas loin de penser que ces enseignants ont vraiment un syndrome de persécution. Pourquoi l’aide personnalisée serait-elle liée à la suppression des réseaux dont tout le monde sait qu’ils sont indispensables pour les élèves les plus en souffrance, les plus à la marge ? Ne pouvant répondre à toutes les demandes, ce dispositif aiderait davantage d’enfants. Il faut juste que nous soyons sûres que ce ne sera pas un prétexte à la suppression de postes. Pour l’instant aucun indice ne permet encore de l’affirmer. Je ne peux m’empêcher de dire ce que j’ai sur le cœur mais très vite je m’aperçois de l’hostilité du groupe. Si je défends l‘aide personnalisée, je suis contre elles. Je suis un Judas, un traître. En quittant cette réunion, il fait toujours aussi beau mais personne ne me dit « au revoir».
Cet été là fut assez pourri, plutôt glacial. A son issue, j’ai dû admettre ma naïveté. En recevant ce mail. Quelques semaines après l’interview de Luc Ferry à la radio.
Dépêche AFP le 26/09/08
Postes d’enseignants supprimés en 2009 : 6 000 en primaire,
7 500 dans le secondaire
Le projet de loi de finances 2009 prévoit 13 500 suppressions nettes de postes dans l’enseignement scolaire public et privé, dont 6 000 suppressions de postes d’enseignants dans le primaire et 7 500 dans le secondaire, selon la répartition détaillée vendredi par le ministère.
Ces postes budgétaires ne correspondent cependant pas tous à des postes d’enseignants devant élèves, car la priorité du ministère est d' »employer le plus efficacement possible » les enseignants, notamment en améliorant la gestion des remplacements et par le retour devant élèves des professeurs « mis à disposition » (par exemple dans des associations).
Dans le secondaire, 6 500 suppressions de postes d’enseignants concernent le public et 1 000 le privé.
Concernant les postes administratifs, 500 vont être supprimés dans l’administration centrale de l’Education nationale mais 500 créations sont prévues pour le personnel des futurs établissements publics de l’enseignement primaire (EPEP) qui regrouperont et géreront chacun plusieurs écoles primaires.
Ces EPEP font l’objet d’une proposition de loi, déposée jeudi par trois députés UMP, qui pourrait examinée à partir de janvier au Parlement.
Pour les enseignants, l’évolution de leurs effectifs s’explique en sept points, détaillés lors d’un point de presse par le directeur de cabinet du ministre de l’Education Xavier Darcos.
– Création de 500 postes en primaire pour l’ouverture de 500 classes, compte tendu de la hausse prévisionnelle de 16.000 écoliers à la rentrée 2009.
– Réaffectation au sein du primaire de 3.000 maîtres spécialisés dans la difficulté scolaire (dits maîtres « E » et « G »). Alors qu’ils faisaient de l’aide individuelle ou en petits groupes, ils se verront affecter une classe.
– Enseignants « mis à disposition » : 1 500 vont être remis devant élèves (500 en primaire, 1.000 en secondaire).
– Amélioration de la gestion des remplacements : 3 350 postes supprimés (3.000 dans le secondaire public et 350 dans le privé).
– Compte tenu de la baisse prévue de 22 000 élèves en collèges et lycées à la rentrée 2009, 2.300 postes supprimés (2 000 dans le public, 300 dans le privé).
– Dans les lycées difficiles, 600 postes créés (500 public, 100 privé).
– Suppression de 4 450 postes d’enseignants stagiaires, dont 3.000 en primaire, 1 000 dans le secondaire public et 450 dans le privé.
L’Education nationale emploie plus d’un million d’agents publics soit près de la moitié des agents de l’Etat
Mes collègues n’étaient pas paranoïaques, elles avaient raison.