Blanquer socialiste ? Probablement pas. Mais face aux amendements de la majorité de droite du Sénat, le ministre se positionne à gauche et joue avec ça. Pourtant la loi Blanquer ramène une conception de l’Ecole très droitière. Le 16 mai, le Sénat a adopté la création des EPLEI, c’est à dire le retour des petits lycées, scolarisant les enfants des meilleures familles à part de la maternelle à la terminale. Il pérennise les jardins d’enfants comme une alternative à la maternelle. L’Ecole française était marquée par les inégalités sociales. Au soir du 16 mai elle est divisée entre Ecole du peuple et Ecole des classes privilégiées.
Les EPLEI adoptés
« Je suis halluciné devant les EPLEI et la sélection sociale mise ne place à 3 ans ». Rachid Temal, sénateur PS, ne cache pas son écoeurement devant les nouveaux établissements internationaux (EPLEI) imaginés par la loi Blanquer. Un EPLEI c’est une école primaire (maternelle et élémentaire), un collège et un lycée, tout cela regroupé dans une seule structure dirigée par un chef d’établissement. Il sélectionne ses élèves dès la maternelle sur la maitrise d’une langue étrangère. Et comme le souligne R Témal, à cet âge là seule l’origine sociale fait la différence. L’EPLEI peut aussi recevoir des financements privés. L’EPLEI peut déroger aux règles habituelles de l’éducation nationale et prépare le bac international.
Le sénateur Pierre Ouzoulias (PC) monte lui aussi au créneau. « La réalité du terrain c’est l’exclusion. L’EPLEI existe déjà c’est ce que j’ai vu à Courbevoie. Le lycée attire des familles favorisées qui font monter le prix de l’immobilier. On arrive à l’apartheid social ».
Pour le rapporteur , l’EPLEI est « une chance pour l’école publique ». Le ministre promet qu’il ne sera pas sélectif. Et le gouvernement dépose un amendement qui dit que les EPLEI « peuvent » accueillir des élèves ordinaires non sélectionnés. Mais qui croit qu’ils soient faits pour cela ? La majorité du Sénat est un peu partagée. Elle soutient le projet et adopte les articles donnant vie aux EPLEI. En même temps elle multiplie les amendements, non retenus, pour rendre l’EPLEI plus acceptable.
Avec l’EPLEI l’éducation nationale crée des établissements parallèles aux établissements ordinaires sélectionnant leurs élèves sur, de facto, critère social. Les EPLEI peuvent se multiplier car un EPLEI pourra aussi s’implanter dans un établissement existant pour regrouper les élèves les plus favorisés. Cette structure ségrégative reconstitue ce qu’étaient les petits lycées au tournant du 20eme siècle avec leurs classes enfantines proposées aux enfants de la bourgeoisie.
Les jardins d’enfants pérennisés
La même démarche opère pour les jardins d’enfants. Les jardins d’enfants sont des structures relevant de la petite enfance, payantes, présentes sur Paris, l’Alsace et la Réunion, accueillant environ 10 000 enfants dans un certain entre-soi de 3 à 6 ans. Avec l’instruction obligatoire à 3 ans le gouvernement a demandé la fermeture de l’accueil des 3-6 ans sous 3 ans.
L’idée du maintien des jardins d’enfants a rappelé à de nombreux enseignants de maternelle la tentative sous Darcos de remplacer les maternelles par des jardins d’enfants.
Sur cette question, JM Blanquer se positionne en défenseur de la maternelle. « Au cours des dernières semaine j’ai été accusé de vouloirs supprimer les maternelles et me voici accusé d’être une sorte d’extrémiste de la maternelle », dit-il.
Et ce sont des sénateurs socialistes qui défendent paradoxalement le maintien des jardins d’enfants. F Cartron, LREM, souligne la concurrence avec la maternelle, le déni jeté sur les professeurs de maternelle puisque dans les jardins d’enfants on a du personnel beaucoup moins qualifié. Elle interpelle les sénateurs socialistes : « vous êtes en contradiction et les syndicats enseignants vont apprécier ».
Au final, le Sénat vote le maintien du texte de la commission qui pérennise les jardins d’enfants. Ceux ci , sauf changement lors du compromis final, deviennent une filière parallèle à la maternelle pour des parents favorisés.
Le contrôle de l’instruction en famille
Si jusque là la droite du Sénat s’est unie et a fait sa loi, l’article 5 sur le controle de l’instruction en famille la divise. Les sénateurs doivent choisir entre la défense de la liberté d’enseigner et leur peur d’écoles radicalisées. Un bel exemple de ce débat s’est posé quand il s’est agi de savoir si une enfant controlé négativement à propos de l’instruction en famille peut être scolarisé dans une école hors contrat. Les sénateurs l’ont interdit : ils ont plus peur du radicalisme qu’ils n’aiment la liberté d’enseignement.
Un amendement renforce le controle des établissements hors contrat en permettant de suivre mieux leur évolution. JM Blanquer donne des chiffes sur ces controles. Depuis la rentrée 2018, 153 établissements hors contrat ont été ouverts. Il y a eu 30 oppositions soit 4 fois plus que l’année précédente. Le ministre promet l’inspection de toutes ces écoles d’ici la fin de l’année.
Enfin le ministre fait adopter un amendement qui renvoie au cas d’Echirolles. A Echirolles, JM Blanquer a annoncé la fermeture d’une école « salafiste » (selon lui) qu’il s’est avéré incapable de fermer. Le ministère a alors enjoint aux familles d’inscrire leur enfant ailleurs. Mais là aussi le ministre échoue. Du coup le gouvernement ajoute cet amendement permettant à l’administration d’imposer la scolarisation des élèves d’une école hors contrat ailleurs. Cet amendement Echirolles est adopté par le Sénat.
Les PIAL et les AESH
Un troisième débat attendait les sénateurs. Celui sur l’école inclusive. JM Blanquer a bien tenté d’expliquer que cette partie de la loi avait été pensée bien en amont, en réalité elle est sortie par amendements au dernier moment dans la loi. Le débat porte sur les PIAL et la carrière des AESH. JM Blanquer explique que les PIAL « sont un nouveau paradigme » et qu’il n’est aps question d’économiser des emplois d’AESH. Mais ses services ont déjà expliqué que la mutualisation doit permettre au ministère de prendre la main sur le secteur médical dans la désignation des AESH. L’objectif est de juguler al croissance des emplois d’AESH. Résultat : à la rentrée près de 3000 collèges sont dotés d’un PIAL et gèrent localement un pool d’AESH mutualisés pour les élèves handicapés.
Le projet gouvernemental passe. Le Sénat obtient que les élèves des ULIS soient dorénavant comptabilisés dans les effectifs des écoles et établissements.
Le dernier débat a lieu sur les langues régionales. JM Blanquer donne à entendre que les classes immersives pourraient être supprimées. « On n’a pas entendu cela depuis 1950 » répond un sénateur. Au soir du 16 mai, JM Blanquer apparait à la fois conservateur et, paradoxalement, relativement à gauche. Il reste encore 167 amendements et surtout l’EPSF…
François Jarraud