Un projet de loi sans vision et sans grand enjeu, trop précipité et souffrant cruellement d’un manque de concertation : les sénateurs, que le pouvoir macronien avait snobés durant les deux premières années du quinquennat, ne se sont pas gênés pour faire la leçon au ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer. Présentant le 2 mai dernier à la presse le texte du projet de loi Pour une école de la confiance adopté par la commission de l’éducation, de la culture et de la communication, Max Brisson, le rapporteur Les Républicains, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, a porté un jugement plutôt sévère, soulignant à plusieurs reprises combien le texte aurait été meilleur s’il avait été précédé d’une concertation avec les élus des territoires… Au total, la commission du Sénat a adopté 141 amendements, supprimant le très controversé article sur les établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux (EPSF) et en ajoutant d’autres, notamment sur une gestion plus managériale des ressources humaines.
D’emblée, le rapporteur Max Brisson a donné l’ambiance de la conférence de presse où, derrière les tons aimables, lui-même et la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly (Union centriste), ne semblaient pas mécontents de remonter les bretelles du ministre de l’Éducation.
» Nous avons ressenti beaucoup de défiance lors des très nombreuses auditions, une défiance largement dûe à une méthode un peu cavalière » (du ministre). Enfonçant le clou,le rapporteur a ensuite repris ce dont s’était félicitée la présidente en introduction : » Le Sénat a plus consulté, sur ce texte, que le gouvernement et l’Assemblée nationale réunis… »
Enfin, pour ceux qui n’auraient pas compris, Max Brisson a résumé : » Il a manqué de la consultation, du dialogue, de la pédagogie et finalement de la considération à l’égard des territoires, des élus, des enseignants, des parents. (…) Les personnes auditonnées nous disaient : » Au moins vous, vous nous avez reçus, entendus. «
Le projet de loi lui-même a été jugé secondaire, voire insignifiant. » Un texte qui n’est pas d’une importance significative « , a estimé élégamment Catherine Morin-Desailly, le comparant à deux textes autrement plus marquants selon elle, la loi Fillon de 2005 qui a créé le socle de compétences et la loi de Refondation de 2013 de Vincent Peillon » qui a mis un coup de projecteur sur le primaire « . Max Brisson a tourné ça autrement, parlant d' » un texte dont on a du mal à voir la vision « .
Comme un cheveu sur la soupe
Soucieuse de parfaire ce projet de loi bien imparfait, la commission sénatoriale a supprimé, à l’unanimité, le très controversé article 6 quater, sur la création d’établissements publics des savoirs fondamentaux (les EPSF regroupant un collège et une ou plusieurs écoles sous la direction du principal du collège et d’adjoints).
» Quatorze amendements, venant de divers groupes, le demandaient, a expliqué Max Brisson, c’était un texte mal rédigé, mal expliqué, voire nullement, qui a généré beaucoup d’inquiétudes des enseignants, des parents…. » » Un article arrivé comme un cheveu sur la soupe, a renchéri Catherine Morin-Desailly, une mesure technocratique non travaillée avec les élus et qui les inquiète grandement. «
La commission a jugé l’article » inacceptable en l’état « , laissant la porte ouverte à des amendements en séance, lors de l’examen du projet de loi du 14 au 16 mai. Le rapporteur a cité trois conditions à un retour éventuel de ces établissements : » que l’initiative appartienne aux élus, que la communauté éducative soit consultée, enfin que le rôle des directeurs soit précisé. «
Jardins d’enfants pérennisés
Sur les mesures présentées comme phares de la loi Blanquer, les sénateurs n’ont pas montré d’enthousiasme particulier. Ils saluent l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à trois ans mais, notent-ils, le ministre ne fait que suivre l’évolution puisque plus de 97% des enfants fréquentent déjà la maternelle.
La commission sénatoriale a toutefois pris position sur deux questions induites, importantes. Elle a inscrit la pérennisation des jardins d’enfants privés – supprimés dans le projet de loi transmis par l’Assemblée -, qui accueille 8 000 enfants sur les 26 000 non scolarisés en maternelle et en âge de l’être. » Cela fonctionne bien, pourquoi les supprimer alors qu’ils jouent un rôle en Alsace, à Paris, à la La réunion « , a plaidé Max Brisson.
Les sénateurs ont par ailleurs prévu une » pleine compensation » par l’État des dépenses que la scolarisation à trois ans va représenter pour les collectivités locales qui devront contribuer au financement des maternelles privées sous contrat. Pour celles qui le faisaient déjà, l’État n’avait rien prévu, ce qu’ils jugent injuste. Une mesure qui aura un coût non négligeable pour les finances publiques.
Sur une autre mesure phare, l’obligation de formation de 16 à 18 ans, la commission regrette le flou qui l’entoure.
Positions libérales
Dans leurs amendements, les sénateurs, dominés par une majorité de droite et du centre, ont aussi marqué leurs positions libérales sur l’école. Ils approuvent ainsi l’article 1 du projet de loi, qui fait craindre une reprise en mains et des sanctions à l’encontre des enseignants trop critiques. » À cause du terme exemplarité, a expliqué Max Brisson, car l’exemplarité nourrit le respect dû à l’autorité du professeur. »
Autorité, autonomie, gestion dynamique des ressources humaines… Reprenant les grands thèmes de la droite, la commission a regretté que dans le projet de loi, l’Etat n’ait pas cherché à relancer son rôle d’employeur.
Dans leurs amendements, les sénateurs défendent un statut pour les directeurs d’école, ce qui est réclamé par la plupart des syndicats. Mais ils vont plus loin et leur attribuent une autorité hiérarchique. » Cela ne remet pas en cause la liberté pédagogique « , a assuré Max Brisson, apparemment conscient que le sujet est sensible.
Articles qui fâchent
Parmi les autres articles qui feront réagir, la commission a introduit le principe d’un » avis systématique du chef d’établissement sur les décisions d’affectation dans son établissement « . Ce qui renvoie à une vision manageriale de l’école, très contestée. Au titre des expérimentations, elle envisage aussi de déroger aux obligations hebdomadaires des enseignants.
Pour faire venir des professeurs chevronnés dans des établissements difficiles, en banlieue ou dans des zones rurales défavorisées, la commission invente un » contrat de mission » par lequel l’enseignant expérimenté s’engage à y exercer un certain temps. En retour, il serait assuré d’avoir le poste qu’il souhaite.
Tous deux anciens professeurs, Max Brisson et Catherine Morin-Desailly assurent que cela ne veut surtout pas dire que l’on touche » au système de points qui régit les carrières dans l’éducation nationale. »
Enfin, la commission propose que la formation initiale soit prolongée par des modules complémentaires durant les trois premières années d’exercice. Elle introduit aussi l’obligation d’une formation continue, » hors du temps d’enseignement et, le cas échéant, indemnisée « . Ce qui risque d’être accueilli fraîchement… .
Petite revanche
A plusieurs reprises, le rapporteur et la présidente de la commission se sont posés en défenseurs des territoires et des écoles rurales, trop souvent oubliés des politiques. Sous-entendant que Jean-Michel Blanquer, fin connaisseur des arcanes de l’éducation nationale, ne sentait pas le terrain. Avec la crise des gilets jaunes et le retour des territoires, les sénateurs semblent ainsi tenir leur petite revanche face au ministre techno.
Le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée pour l’adoption de cette loi, le Sénat, une fois son texte définiti voté, devra chercher à s’entendre avec l’Assemblée nationale sur un texte commun. Selon Max Brisson et Catherine Morin-Desailly, des compromis sont tout à fait possibles. Comme quoi on peut, en même temps, savourer sa petite revanche et se montrer accommodant.
Véronique Soulé