Par François Jarraud
Twitter en philo ?? François Jourde est l’auteur de manuels (peut-être devrait-on dire de services ?) réellement innovants chez Hatier. C’est aussi l’animateur et le créateur d’outils multimédia qui tendent tous vers un seul but : amener les jeunes à la philosophie et ses exigences.
Ce qui caractérise votre site, c’est l’usage du son et de la video pour enseigner la philosophie. Comment le justifiez vous ?
En fait, c’est surtout en cours que j’utilise l’image et l’audiovisuel, à travers l’analyse de reproductions d’œuvres d’art, d’extraits cinématographiques (sur le modèle de Olivier Pourriol) et télévisuels. Il y a plusieurs justifications à cet usage. Outre le plaisir personnel que j’y trouve (évidemment !), il y a l’intérêt d’exercer la réflexion philosophique sur des objets familiers des élèves (films populaires, — mais aussi sur des films d’auteurs que je leur fait découvrir) et sur des questions d’actualité (émissions de télévision).
Je vois ici un fort levier pédagogique : l’image exerce sur les élèves un pouvoir d’attraction, voire de fascination, et elle permet dès lors de les « accrocher » (j’enseigne uniquement en sections STG, avec un public en relative difficulté scolaire). J’ai d’ailleurs récemment fait des cours « magistraux » à l’aide de diaporamas numériques (powerpoints) de conceptions très visuelles (je m’inspire ici des principes de Garr Reynolds). Je crois que, sans ces supports de qualité, je n’aurai pas pu tenir l’attention des élèves (de ceux-ci en tout cas) de manière si continue…
Comment articulez vous le site et le cours de philo ?
Mes élèves consultent surtout les cahiers de textes en ligne. Ils sont publiés sur des plateformes de blogues, et j’y intègre les documents utilisés et/ou produits en cours : cartes d’idées (mindmaps), diaporamas numériques, documents rédigés en traitement de texte et liens du cours. Ces documents sont produits en interaction avec la classe (ordinateur et vidéoprojecteur, et idéalement un élève au clavier), ou mieux encore par les élèves eux-mêmes lors des séances en salle informatique.
Pour le moment, je n’incite pas les élèves du secondaire à intervenir sur le site (par exemple dans les commentaires des billets). J’aimerai qu’ils travaillent davantage en ligne, mais leur inégal équipement informatique et leur inégal accès au réseau freine sensiblement mes ambitions… et il y a temps d’outils et d’usages à explorer ! La « fracture numérique » est moins présente chez mes étudiants de BTS : je peux ici davantage basculer dans le numérique.
Quant à moi, le site me permet de conserver la mémoire de mon travail, et de le rendre visible au-delà de la classe. Cela génère parfois des interactions avec d’autres personnes.
Une autre caractéristique, c’est l’ouverture, la communication. Par exemple l’utilisation de Skype pour dialoguer avec un expert. Comment cela s’intègre-t-il au cours ?
C’est assez nouveau pour moi et encore peu développé, mais c’est un chantier qui m’enthousiasme. J’ai toujours eu envie d’ouvrir le cours au « monde réel », de le projeter en dehors des quatre murs : ce qui se dit en cours doit permettre de penser le monde concret. A une époque, j’avais fait poser aux élèves des questions à des philosophes vivants (Marcel Conche, Clément Rosset), qui avaient répondu à nos lettres ! J’avais aussi fait intervenir les élèves sur un article philosophique de Wikipedia, ce qui avait permis de réfléchir à la nature de Wikipedia, mais aussi de s’initier aux exigences de la publication (puisque la production des élèves se trouvait réellement publiée, en ligne).
Quant à faire venir un intervenant en cours, c’est lui demander gracieusement beaucoup de son temps, et c’est d’une complication administrative accablante. Avec la VoIP (téléphonie via le web), qui peut même se transformer en visioconférence (par une webcam), tout est simplifié. D’autant que Skype permet aussi d’appeler une ligne classique. La procédure consiste à élaborer les questions avec les élèves (en lien au cours), puis à les leur faire poser à l’intervenant dans le cadre d’un entretien téléphonique (matériel : un ordinateur connecté au web, Skype, un micro pour parler, des haut-parleurs pour écouter).
Quel regard avez vous sur les usages du site ? Qu’en pensent les élèves ? Ont-ils des suages imprévus ? Avez-vous des réactions de parents ?
Les élèves apprécient de pouvoir s’y référer, mais interviennent peu dans les commentaires. Ils me disent utiliser les sélections de liens. Et je sais, par un outil statistique, que les documents sont régulièrement consultés et téléchargés (mais pas nécessairement par les élèves, il est vrai !). Pour l’heure, les parents ne réagissent pas… mais ce n’est pas ce que je cherche.
Nombre de professeurs de philosophie rejettent les tice. Qu’en pensez vous ? Comment expliquez-vous ce rejet qui est plus fort semble-t-il que dans d’autres disciplines ?
Je ne perçois pas si clairement un tel rejet. J’observe cependant chez nombre de collègues une faible culture numérique (« numéracie »), ce qui n’est peut-être qu’une question de génération.
Mais j’entends bien que la compréhension des TIC n’impose pas nécessairement l’utilisation des TICE ! Il est vrai qu’un certain fétichisme technologique (TICE = panacée) peut agacer à bon droit (cette critique peut m’atteindre aussi !). De fait, les TICE apparaissent à certains comme un « machin », et qui plus est un « machin de jeunes » et un « machin des industries culturelles »…
De plus, les pratiques de lecture et d’écriture favorisées par la culture numérique se différencient sensiblement des pratiques classiques. Elles sont notamment plus discontinues (hypertextes), mutltimédiatiques (écrit, oral, visuel), fluides (mouvance perpétuelle du contenu), désorientantes (perte et/ou reconfiguration des hiérarchies culturelles classiques), participatives (aspect conversationnel du réseau) et visuelles (place des images, mais aussi des dispositifs de visualisation de l’information, tels que les nuages de tags…).
Mais si le rejet existe, et s’il est plus fort en philosophie qu’ailleurs, c’est peut-être aussi parce qu’en philosophie on n’a pas encore trouvé — ou diffusé — les utilisations pertinentes des TICE. Toutefois les choses bougent, et pas seulement à mon humble niveau ! Il y a par exemple le projet Discovery.
J’en arrive à Twitter : c’est quoi twitter ? En quoi cela peut il aider l’enseignant de philo ?
Twitter est un service de alliant microblogs et réseaux sociaux. Microblogs, car Twitter permet d’envoyer des messages de 140 signes maximum (contrainte technique des sms). Réseaux sociaux (ou communautés emboîtées), car tout usager de Twitter peut choisir d’en suivre d’autres, et accepter d’être suivis par d’autres.
Mais, pour reprendre une observation du précieux François Guité, il faut dire que « l’usage des technologies des réseaux finit par être déterminé non par les concepteurs, mais par la communauté. » Autrement dit, on ne sait pas encore clairement ce qu’est (ou sera) Twitter !
Tout cela est pour moi très empirique : je navigue à vue (lancé par un enthousiasme technologique mobilisateur, — bien que parfois insuffisamment critique !). Mon expérience de Twitter est récente (elle date de la rentrée scolaire) et j’ai le sentiment d’avoir encore à découvrir et/ou à inventer ici ! Pour l’heure, je l’utilise de trois manières.
1) Personnellement, comme un outil de veille informationnelle (compte Twitter : jourde_prof) : ici, je reçois beaucoup et j’émets peu.
1) Dans le cours de philosophie (compte Twitter : jourde_philo), mon utilisation demeure assez minimale : Twitter ne me sert qu’à générer un flux de courtes notes que je place sur mon site, et qui informent surtout de l’actualité du cours et de quelques liens liés au cours.
2) Je n’utilise pleinement Twitter qu’avec les étudiants de BTS (cours de psychosociologie de la communication ; compte Twitter : jourde_bts). Outre l’usage précédent (générer un fil d’informations), Twitter me sert à susciter des échanges hors et autour du cours proprement dit. Je peux converser avec les étudiants, et les faire converser entre eux. Je peux m’adresser directement à l’un d’entre eux (grâce à la fonction d’envoi de messages directs), mais la conversation reste toujours relativement publique (pour un échange réellement privé, j’utilise bien entendu le courriel).
Ce caractère publique des échanges me permet d’ailleurs de les sensibiliser à la question de l’identité numérique, qui doit être plurielle. Je les sensibilise et les exerce à la nécessité de varier le mode de communication selon l’identité numérique : ils ne peuvent pas s’afficher ni s’exprimer sur le réseau Twitter du cours comme ils le feraient par exemple sur leur réseau social Facebook.
En dehors de cet usage conversationnel, Twitter est selon moi un excellent outil de veille informationnelle, — si l’on sait choisir qui suivre !
Comment cela se passe-t-il avec vos élèves ?
Ils sont assez mobilisés. Cela d’ailleurs me frappe, — ou plutôt me confirme un phénomène bien connu des psychosociologues : l’engagement s’accentue avec le sentiment de liberté ! En effet, je leur ai également demandé de réaliser un blogue d’étudiant (ce projet est en cours). Or, je leur avais dit que si la création du blogue est un exercice imposé, leur participation à Twitter était optionnelle et libre. Résultat : affluence sur Twitter, mais pas sur les blogues…
N’avez vous pas le sentiment de remettre en question la classe, son temps, son groupe ? Est-ce intéressant pour un prof de philo ?
Je trouve que je n’ai jamais assez de temps avec les élèves (même si je suis partisan d’une réduction générale du nombre d’heures de cours !). Et, sans être un véhément révolutionnaire, je ressens souvent comme artificiel le dispositif d’enfermement entre quatre murs que nous impose l’institution scolaire… J’apprécie donc de pouvoir varier l’expérience d’enseignement. Et j’apprécie de pouvoir davantage personnaliser le travail pédagogique, dans la mesure le groupe qu’est une classe rend assez difficile l’aide individualisée. Nouer des relations hors du cours peut débloquer pas mal de choses dans le cours !
Enfin, une communauté numérique peut certainement contribuer, à sa manière, à la qualité de la dynamique de groupe d’une classe.
François Jourde
Entretien F. Jarraud
Le site de F Jourde
http://profjourde.wordpress.com/
Dernières publications :
Livre et clic Philosophie (2004, rééd. 2007) : publication parascolaire alliant un livre à un site (chapitres en hypertextes, exercices interactifs, représentations graphiques interactives animées et commentées en audio).
Philocast (2006) : digest du programme de philosophie en podcasts (fichiers audio téléchargeables).