Implanté au cœur d’un quartier urbain en rénovation de Perpignan, le Lycée polyvalent Jean Lurçat cherche à enrichir le parcours de ses élèves, non seulement par une offre de formation diversifiée, mais aussi par une politique éducative soucieuse de l’épanouissement personnel des élèves externes et internes. Leur bien-être est une priorité partagée, appuyée sur une démarche de communication non violente qui décline empathie, écoute et bienveillance. Rencontre avec Carole Poulain, CPE dans cet établissement.
De quelle définition du bonheur partez-vous dans votre pratique éducative ? Comment envisagez-vous alors votre posture éducative de CPE ?
Je partirais volontiers d’une citation de Marshall Rosenberg, le fondateur de la communication non violente (CNV) : « Dans la vie, il faut choisir entre avoir raison ou être heureux. » Je crois en effet qu’il ne se passe pas une journée sans que je la propose à un.e élève. Il s’agit alors de l’accompagner pour faire « un pas de côté », lui proposer de se libérer de ses croyances et carcans (au sens d’habitudes culturelles), pour lui permettre d’éclore à soi.
La pratique professionnelle des CPE s’inscrit dans une double logique d’accompagnement : centrée sur l’élève, tout en n’excluant jamais l’approche centrée sur la personne. Je dirai même qu’une véritable action éducative impose de laisser une place à la personne de l’élève en le considérant comme sujet, avec une identité, une histoire consciente et inconsciente, une certaine relation au savoir, un certain vécu de l’école. Ce regard me demande d’être, non plus dans une posture haute, mais « à côté » de l’élève. Il s’agit donc bien, en creux, de travailler la notion de bien -être. Offrir aux élèves la possibilité de mieux se connaître, de mieux comprendre ce qui peut faire obstacle aux apprentissages, leur donner les leviers pour agir et devenir auteurs de leur parcours scolaire. C’est au cœur de cette logique que la question de l’écoute prend toute sa place, être à leur côté pour les aider à mettre en mots les difficultés qui les traversent.
Avec les élèves, comment vous y prenez-vous pour les apaiser ?
Cela ne va pas toujours de soi pour eux et bouscule parfois les représentations liées à mon champ attendu ou supposé d’intervention. Pourtant, une relation éducative respectant la personne et la parole de l’élève ne s’oppose pas à l’idée de cadre. Bien au contraire, la prise en compte de la parole de l’adolescent lui permet d’autant plus de comprendre et d’assumer le monde qui l’entoure.
L’idée de détour est essentielle et j’en mesure chaque jour les bénéfices, quand, à l’aune d’un entretien, un élève comprend soudain qu’il est le meilleur compagnon qu’il puisse être à lui même. Il perçoit alors le champ du possible pour devenir l’auteur de sa vie. Il peut alors comprendre qu’il a la main sur ses pensées, ses émotions et ses possibilités d’actions. Cela a l’air de peu de choses, mais le droit au bonheur s’inscrit dans cette triple certitude. Ce travail de détricotage est long et s’inscrit dans le cadre d’entretiens fixés avec les jeunes et parfois les familles. Nous construisons ensemble les possibilités de se projeter. Cette capacité est essentielle car lorsqu’un individu envisage qu’il y a du possible, qu’il est en mesure de le ressentir, il est alors capable de faire un pas vers le « changement ». Travailler sur ce concept de changement ouvre des possibilités et apaise la personne. Il s’agit également de les amener peu à peu à se défaire du regard des autres, leur permettre d’apprendre à s’évaluer sans que le curseur soit donné par les autres. A l’heure des réseaux sociaux ce travail est compliqué mais ils ressentent tous la nécessité de se défaire de cette notion de comparaison qui les abîme tant quand elle ne les stimule pas. Il faut donc inventer des lieux pour créer les conditions de cette expression singulière.
Quels sont ces lieux ?
Tous ces lieux sont pensés en amont à travers le prisme de la communication non violente(CNV). Sachant que celui-ci dépasse le simple cadre de la relation mais s’inscrit dans une visée plus englobante et systémique : apprendre à prendre soin de soi, prendre soin de l’autre et prendre soin de la relation.
Ces espaces se répartissent en plusieurs catégories.
– Des espaces d’écoute : véritables sas où le jeune dépose son mal à être. Leur situation personnelle étant souvent compliquée, l’élève doit pouvoir l’exprimer pour ensuite pouvoir se recentrer sur la dimension scolaire. Ce sont des espaces où l’on accueille la parole dans le cadre d’entretiens de reformulations. Ce type d’entretien permet une posture empathique, sans jugement, sans projection, sans conseil. L’élève peut alors ressentir que nous l’avons rejoint, condition nécessaire pour qu’il accueille alors ses émotions. Ce temps de reconnaissance et d’écoute de ses émotions est un préalable pour tout travail réflexif.
– Des espaces de paroles collectives où l’on travaille la confiance en soi: apprendre à se connaître pour mobiliser la confiance en soi, puis l’estime de soi. Ce sont des ateliers co-construits avec les personnels de santé, les professeurs documentalistes et les PsyEN, qui sont pensés à partir d’une progression. Nous avons l’an dernier élaboré, dans le cadre d’une convention entre l’ARS et les deux rectorats d’Occitanie, un projet portant sur les compétences psychosociales. Cela nous a permis d’ouvrir la porte à une véritable formation assumée par des psychologues et des éducateurs.
– Un lieu d’écoute des élèves par les élèves qui a vécu un an. Un petit groupe d’élèves avait été formé par une formatrice CNV ( 4 1/2 journées) et ils avaient créé un lieu pour accueillir la parole de leur pairs. Les élèves qui ont bénéficié de cette formation sont partis du lycée avec un bagage certain.
-Des espaces de remédiations : Stimuler la pensée et réconcilier les jeunes avec les situations d’apprentissage. Ce sont des modules qui s’adressent à un individu ou à un groupe et qui permettent de les outiller à partir des connaissances. Il s’agit de développer chez les élèves des capacités d’analyse et de réflexion leur permettant de prendre conscience de leur processus d’apprentissages afin de pouvoir les mobiliser à bon escient.
– Un espace de confrontation cognitive : l’atelier débat. En installant un espace de discussion et d’échanges, avec un collègue professeur de philosophie, nous encourageons la réflexion et la curiosité. On dote nos élèves d’outils pour sortir de la confusion, on surfe sur leur propos pour les éveiller au plaisir de la connaissance. Plaisir qui participe évidemment à leur bien-être.
Beaucoup de nos thématiques interrogent directement la notion de bonheur. Se dessine un autre modèle de bonheur. Un modèle qui ne soit pas celui d’une vie conditionnée « je suis heureux quand j’obtiens cette chose…..quand il se passe tel événement ». Des élèves en viennent à exprimer l’idée que ce bonheur conditionné ne peut pas durer car il dépend de l’extérieur. Tout cela fait débat, tout cela construit l’autonomie…
Vous avez ainsi créé au lycée un dispositif de communication non-violente ?
Selon les lieux et les moments, je travaille avec des collègues enseignants, psy-EN, personnels de santé. L’an dernier, comme je l’ai dit, avec des collègues nous avons réussi à monter une formation établissement autour d’un projet que nous avons nommé : « l’écologie relationnelle au cœur de nos pratiques », l’expression étant empruntée à Jacques Salomé. De nombreux professeurs y ont participé. Nous mesurions alors l’urgence de faire vivre de nouveaux « gestes » éducatifs et de les éprouver en interrogeant notre posture professionnelle, tout en ayant des temps réflexifs d’analyse de pratiques. Nous avons déjà eu deux jours de formation. Nous sommes au balbutiements du projet.
Propos recueillis par Jean-Pierre Véran
Membre professionnel Laboratoire BONHEURS CY Cergy Paris Université