Et si, plutôt que d’enfermer en classe, l’Ecole ouvrait des horizons ? Au collège Daniel Argote à Orthez, Marie Soulié invite ses élèves de 6ème à un voyage pédagogique à travers le programme de français. La progression annuelle est transformée en « simulation globale ». L’année est conçue comme un « voyage autour du monde » pour « découvrir des époques, des lieux, des cultures », pour aborder à chaque étape un nouveau genre et un nouveau thème. Les élèves se sont inventé un personnage membre de l’équipage : à chaque escale, de nouvelles missions, et tout au long de l’année un journal de bord à écrire. Capitaine au long cours de l’enseignement du français à l’heure numérique, Marie Soulié a présenté ce beau projet et reçu in prix du public au Forum des Enseignants Innovants 2019.
Qu’est-ce que la « simulation globale » ?
Une simulation globale est une pratique très fréquemment utilisée en français langue étrangère (FLE). Son concepteur Francis Debyser, du Bureau d’Etudes des Langues et des Cultures (BELC), qui initia le principe en 1986 la définit ainsi: « Une simulation globale est un protocole ou un scénario cadre qui permet à un groupe d’apprenants (…) de créer un univers de référence, un immeuble, un village, une île, un cirque, de l’animer de personnages en interaction, et d’y simuler toutes les fonctions du langage que ce cadre, qui est à la fois un lieu thème de référence et un univers de discours, est susceptible de requérir. »
En quoi consiste votre projet de « simulation globale » en 6ème ?
Ma simulation globale s’inspire du protocole de Francis Debyser, mais j’ai dû opérer quelques ajustements afin de répondre aux exigences du programme de 6ème. J’ai commencé par fixer le cadre de départ : un voyage d’une année scolaire sur un bateau. J’ai accueilli les élèves dès la première heure par une invitation au voyage. J’avais prévu une bande annonce présentant l’année scolaire. Lors des premières séances, les élèves ont construit leur personnage: ils lui ont donné un rôle sur le bateau (maître coq, vigie, quartier- maître….), un nom, un caractère et une apparence physique. Ce personnage virtuel accompagnera le jeune élève tout au long de son aventure, il tiendra son journal de bord à chaque escale (= chaque séance). Mais contrairement à ce que préconise Debyser, c’est également moi qui propose les changements de situations, les rebondissements dans l’aventure. Par exemple, des imprévus viendront agiter l’équipage : ces imprévus seront bien évidemment des prétextes pour déclencher une production orale ou écrite. Par exemple, pour l’anniversaire du capitaine, les matelots prépareront un pechakucha poétique.
Comment mettez-vous en œuvre votre démarche de classe inversée à l’intérieur de ce projet ?
La démarche est toujours la même : une capsule de mise en bouche la veille afin de mettre les élèves en éveil, une phase d’échanges qui précède toujours la mise en activité. Une phase de construction durant laquelle les élèves organisent ce qu’ils ont découvert, et enfin une mise en commun. La trace écrite sera déposée sur Pronote (logiciel de vie scolaire en collège) afin qu’elle soit recopiée à la maison. Un chef d’œuvre sera produit un peu plus tard afin de vérifier la compréhension.
Pouvez-vous donner un exemple de mise en activité lors d’une escale ?
Voici un exemple de mise en activité lors du premier voyage « Voyage dans l’île aux monstres ». Mission pour cette escale : « Sur l’île aux monstres, tu as trouvé un œuf énorme Tu l’as caché sur le bateau, mais aujourd’hui c’est le grand jour : l’éclosion. Et si tu nous présentais ton nouveau monstre ? » Les élèves ont comme matériel un dictaphone et la fabrique à monstre « Fabricabrac ». Consignes : nommer le monstre, le décrire physiquement, raconter ce qu’il est capable de faire, dire ce qui fait peur chez lui en utilisant le vocabulaire de la peur abordé à l’escale précédente.
L’élève s’invente un personnage qui tient tout le long de l’année son journal de bord : comment en pratique ce journal est-il tenu ? Quel en est le contenu ? Quels vous en semblent les intérêts ?
Le carnet de Bord est rédigé sur le cahier personnel, il n’est pas systématique mais est rempli au minimum une fois par semaine. L’élève fait parler son personnage (récit à la première personne) qui nomme les notions vues dans les différentes escales. Il photographie ce carnet et me l’envoie, ce qui me permet de vérifier la compréhension. Je me suis rendue compte que le détachement par l’avatar et le recours à la fiction libèrent l’écriture, et du coup ce procédé est plus efficace qu’un résumé de cours.
Vous avez créé une application pour accompagner la progression des élèves : pouvez-vous nous la présenter ?
J’ai surtout réalisé cette application afin de regrouper toutes les ressources et donner une plus grande visibilité aux parents. J’y dépose les activités et les productions des élèves. Il s’agit en fait du carnet de bord de la classe. Je l’ai réalisée avec Glide (plateforme de messagerie instantanée) grâce aux conseils de mes amis twitter @melfenaert @sebfranc3459 et @Tiiiix
Vous proposez aussi aux élèves des marque-pages pour rendre compte de leurs lectures cursives : de quoi s’agit-il ?
C’est vraiment une idée toute simple : un marque page qui peut être rempli tout au long de la lecture. Cela évite l’oubli et permet à l’enseignant de suivre les lectures cursives.
Vous avez déjà fait un joli bout du voyage pédagogique : quel bilan en tirez-vous : pour les élèves ? Pour l’enseignante ?
C’est une expérience que je découvre en partie avec les élèves. En étant à leurs côtés, je ressens leur application à se projeter dans les défis successifs, leur implication dans la construction de l’histoire de leur propre avatar qui leur ressemble beaucoup, leur désir d’arriver au bout de l’aventure ! Ce bout de chemin avec eux me conforte dans l’idée que l’activité est force d’apprentissage. Enfin, je redécouvre le plaisir de constater que l’école ne s’arrête pas à la salle de classe, elle mobilise non seulement les élèves, leurs familles…voire les jeunes d’autres classes qui ne sont pas mes élèves. L’usage du numérique propose ici une réelle plus value aux stratégies pédagogiques proposées.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Marque-pages pour rendre compte d’une lecture cursive