L’évaluation des copies est-elle une perte de temps ou un sacerdoce ? C’est la question que pose Claude Lelièvre. Le point de départ de sa réflexion n’est rien moins que la fameuse circulaire de Léon Bourgeois instituant la note sur 20 dans l’enseignement secondaire. Le ministre a-t-il institué la notation ou au contraire en a-t-il relativisé l’importance ? Une fable à méditer..
On ne peut lire l’arrêté du ministre de l’Instruction publique Léon Bourgeois sans un certain étonnement, surtout lorsqu’on sait que cet arrêté du 5 juillet 1890 est celui là même qui institue en son article 21 « la note chiffrée de 0 à 20 » dans l’enseignement secondaire (pour les « compositions », mensuelles et trimestrielles ).
On y trouve en effet le morceau choisi suivant (qui peut encore faire rêver) : « De toutes les manières dont un professeur consciencieux peut perdre son temps et sa peine, la plus évidente n’est-elle pas de passer des heures à relire des copies d’enfants en s’ingéniant à trouver des degrés où il n’y en a point, à mettre en balance, comme s’il s’agissait d’une affaire d’état (c’en une en effet pour les rivaux et quelquefois leurs familles) des mérites qui souvent sont d’ordre différent, et par suite sans commune mesure ? Combien ce temps serait mieux employé en lectures et en travaux personnels par lesquels le professeur renouvellerait sa provision d’idées ; combien même il serait plus utilement donné au repos, source de bonne humeur et de fraîcheur d’esprit !».
En miroir, on laissera la parole au poète Charles Péguy, et à ses rêves à lui :« Honneur à ces vieux professeurs. Je vois dans les journaux qu’on vient de fonder au lycée Henri IV un prix Georges Edet. Un homme comme lui (que nous nommions à Lakanal familièrement et familialement le »père Edet ») se travaillait davantage pour savoir si une copie valait douze un quart ou douze et demi et si un élève devait être classé treizième ou ex aequo avec le quatorzième que nos hommes de gouvernement ne paressent pour faire massacrer la valeur d’un corps d’armée dans une expédition coloniale . De tels hommes raisonnaient plus pour classer une copie que nos gouvernements ne déraisonnent pour déclasser un peuple.
IIs faisaient leur métier […]. Ils ne défendaient pas la République dans les meetings républicains. Ils n’étaient point révolutionnaires à deux mille francs par mois . Ils n’étaient point braves dans les banquets, et intrépides au moment des toasts. Mais de tout leur enseignement, de tout leur exemple, de toute leur âme et de tout leur cœur il sortait une perpétuelle fabrication de cette vertu, credo colendam esse virtutem, qui seule fait la force des Républiques ». (Préface au 2° Cahier de la quinzaine, 6° série (11 octobre 1904), pp. XX-XXI)
Conclusion : il est possible qu’un ministre (même celui qui a institué la notation de 0 à 20…) apparaisse plus raisonnable qu’un poète ou de vieux professeurs.
Claude Lelièvre