La ministre de l’Education Nationale a lancé une nouvelle « Stratégie mathématiques ». Une nouvelle façon d’enseigner les maths qu’on voit de plus en plus dans les classes et de nombreuses initiatives se développent pour rendre les maths plus attrayante. Parmi ces initiatives, celles de Mickaël Launay qui propose des activités ludiques et innovantes sur son site Micmaths. Il livre au Café pédagogique quelques idées pour intéresser les élèves et surtout les faire se poser des questions et réfléchir, parce que finalement, faire des maths, c’est surtout ça.
Depuis quelques années, un mouvement dans la façon d’enseigner les mathématiques apparaît : plus d’activités de recherche et moins d’exercices calculatoire. Derrière ce mouvement ce sont les objectifs même de l’enseignement qui changent. Alors pour vous, quels sont ou quels devraient être les objectifs de l’enseignement des maths à l’école ? Au collège ? Au lycée ?
A quoi ça sert d’apprendre les maths ? C’est la grande question qui revient à chaque fois et il faut bien avouer que pour la plupart des élèves, connaître le théorème de Pythagore, savoir résoudre un système d’équation ou dériver une fonction ne servira jamais à rien. Ou si rarement qu’on se demande s’il est raisonnable d’y consacrer plusieurs heures par semaines de toute sa jeunesse. Si les mathématiques peuvent et doivent à mon avis rester une grande matière scolaire, ce n’est pas tant pour les résultats qu’on y apprend que pour l’apprentissage du raisonnement et de la méthode par lesquels on y arrive.
Des associations comme Math.en.Jeans ont depuis de nombreuses années commencé à organiser des ateliers de recherche dans les collèges et les lycées en faisant venir des chercheurs dans les classes pour proposer des problèmes ouverts aux élèves. Et cela peut commencer très tôt, l’association Science Ouverte propose également ce genre d’atelier dans les écoles et même dès la grande section de maternelle sur des thèmes comme le tri ou la mesure. Mettre les élèves dans une situation de recherche, c’est d’abord leur faire se poser des questions et réfléchir eux-mêmes aux moyens d’y répondre. Dans cette démarche, la nécessité d’avoir du vocabulaire, de savoir faire certains calculs ou de connaître certains résultats apparaît d’elle-même.
Pour les enseignants, cela demande aussi une certaine dose de lâcher prise, car les élèves peuvent nous surprendre et partir dans des directions que nous n’avions pas imaginées. Cela demande également une certaine souplesse et des programmes pas trop chargés pour pouvoir prendre ce temps de « divaguer » sur des choses qui n’étaient pas forcément prévues.
Qu’est ce que les jeux peuvent apporter à l’enseignant. Comment les intégrer dans nos pratiques au quotidien ?
Le jeu permet de donner un attrait immédiat aux questions mathématiques. C’est une sorte de nappage que l’on rajoute par dessus pour donner envie de rentrer dans la discipline et donc d’accepter plus facilement d’avoir aussi à travailler des aspect plus techniques. La notion de jeu est d’ailleurs très large, cela peut aller d’un jeu traditionnel à deux ou plusieurs joueurs (jeu de Hex, jeu de Nim), à un tour de magie à comprendre, en passant par de l’origami, des énigmes ou la construction d’objets étranges (comme les hexaflexagones par exemple). Faire une séance de jeu, est une bonne façon d’aborder un thème mathématique. Par exemple le jeu des allumettes (chaque joueur prend 1, 2 ou 3 allumettes, celui qui prend la dernière a perdu) permet d’aborder les notions de congruence, de stratégie gagnante, de démonstration par récurrence… Et que se passe-t-il si on change un peu les règles (on peut prendre 1, 2 ou 4 allumettes, mais pas 3) ?
Et puis l’aspect ludique, c’est avant tout un état d’esprit. Un cours magistral au tableau peut aussi être ludique. Prenons un cours sur les équations. Une équation c’est une devinette et avant d’entrer dans la théorie, il est possible de lancer des défis aux élèves : « Pouvez vous trouver un nombre qui ne change pas quand on le multiplie par lui-même ? Un nombre qui double quand on lui ajoute 3 ? Un nombre qui augmente de 1 quand on le met au carré ? ». Puis les faire réfléchir à l’envers : « Pouvez vous trouver une équation dont la solution est 7 ? Une équation qui a exactement deux solutions : 2 et -2 ? Une équation qui a pour solution 3 et 7 ? » Utiliser l’histoire des maths peut devenir aussi un bon moyen de donner des motivations : le poème de Tartaglia qui avait écrit sa solution des équations du troisième degré en alexandrins est assez amusant et peut être un point de départ pour dire aux élèves que ce n’est vraiment pas pratique d’écrire les équations en toutes lettres et que le langage algébrique est quand même bien pratique. A partir de maintenant on ne dit plus « Un nombre dont le carré vaut 4 », on écrit « x²=4 ».
Une bonne façon de susciter l’intérêt des élèves est également de poser des questions qui provoquent un débat. Dans un cours sur les polygones, tracez un pentagone étoilé et montrez le point qui se trouve au centre : ce point est-il à l’intérieur ou à l’extérieur ? Est-ce vraiment normal de dire que le nombre 1 n’est pas premier ? Est-ce que compter en base dix est vraiment la meilleure façon de faire ? Sur toutes ces questions, la réponse n’a pas vraiment d’importance. L’important c’est de voir quels sont les arguments pour et contre qui vont être utilisés.
Il n’est pas toujours facile en classe de concilier la nécessité d’intéresser tous les jeunes et la formation de la future « élite » des mathématiques. Est-ce que des activités ludiques peuvent répondre à ces deux versants ? D’autant que ces activités prennent beaucoup du temps et que la question des programmes est toujours présente.
Rendre les maths ludiques, cela ne veut pas dire les rendre plus simples et encore moins faire baisser le niveau. Il est même étonnant de voir comme on peut faire passer des notions complexes par le jeu.
Je me rappelle avoir aborder la notion de fonction en atelier périscolaire avec des enfants de 8 à 10 ans. Un enfant devait choisir une fonction dans sa tête (par exemple celle qui multiplie par 2), puis les autres le questionnaient, « Que rend la fonction si on lui donne 5 ? – Elle rend 10 ! – Et si on lui donne 3 ? – Elle rend 6… » Le but était, pour ceux qui posaient les questions, de deviner comment marche la fonction. Ayant proposé ce jeu comme un test, pour voir ce qui allait en ressortir, j’ai été surpris par l’imagination des enfants qui ont notamment réinventé les fonctions constantes et la fonction identité (entraînant un débat, est-ce que ce sont vraiment des fonctions ?) et découvert la possibilité de valeurs interdites (par la fonction qui met le nombre à l’envers, le 6 donne 9, le 8 donne 8 et le 4 est une valeur interdite).
Pour ce qui est des meilleurs élèves, ils deviennent très rapidement autonomes dans une démarche de recherche. Lorsque j’étais moi même au lycée, il y avait dans mon établissement un club de maths auquel je me rendais toutes les semaines. Le prof qui animait ce club ne m’a jamais appris directement de concept mathématique, mais il m’a posé des énigmes, il m’a conseillé des lectures, il m’a guidé en me montrant des choses qui pouvaient m’intéresser. Aujourd’hui j’ai coutume de dire que le prof auquel je dois le plus est celui qui m’a appris le moins de choses. Cela peut sembler paradoxal, mais ça résume assez bien l’idée que je me fais de l’enseignement des maths dans l’idéal.
Alors bien sûr, je parle de l’idéal, parce que concrètement, oui il y a les programmes, les élèves qui ne sont pas réceptifs pour des tas d’autres raisons extérieures, les tentatives de faire différemment qui ne marchent pas parce que dès qu’on se lance dans quelque chose de nouveau il faut le temps de se rôder, de tester, de se planter, de recommencer sans se décourager… Bref, il y a mes beaux discours et il y a la réalité. Ceci dit, je suis tout de même persuadé que peu à peu l’enseignement des maths va se transformer dans ce sens. De nombreux profs de maths depuis longtemps dans les IREMs, à l’APMEP ou diverses autres associations ont commencé ce chemin. Les maths en dépit de leur relative mauvaise image actuelle ont un formidable potentiel pour devenir une discipline très populaire à l’école comme ailleurs.
Propos recueillis par Laure Etevez