Son site, http://perso.wanadoo.fr/ecole.chabure ressemble assez précisément à ce que chacun d’entre nous aimerait pouvoir montrer fièrement à ses collègues, en leur glissant négligemment « Oui, je travaille un peu avec mes élèves sur le site Internet de l’Ecole ».
Est-ce le dépit de ne pouvoir faire aussi bien dans sa classe? Est-ce le désir de trouver le secret caché ? Patrick Picard, pour le Café, a demandé à Jacques Favergon, insituteur à La Chabure, un presque-encore-village de la banlieue de St Etienne, de s’expliquer…
PP- Présentez-nous votre école…
J’enseigne dans un petit village proche de St Etienne. L’école compte 4 classes dont la maternelle, j’ai 24 élèves dans ma classe de CM1-CM2.
PP- Depuis combien de temps enseignez-vous dans cette école ?
Douze années. Avant, j’ai été titulaire-mobile, et j’ai enseigné en zone rurale
PP- Un site le vôtre, à première vue, ça semble un travail monstrueux…
C’est sur la longueur que ça se joue. Le site s’enrichit petit à petit (j’ai commencé il y a 4 ans). Le site présente le travail des élèves, mais aussi celui des maîtres. Je trouve ça utile de partager ce qu’on fait. En ce qui concerne les élèves, j’ai un cours double, ça présente l’avantage qu’on ne redémarre jamais à zéro. Chaque année, ceux qui étaient là en CM1 continuent en CM2… Ils aident les nouveaux à se mettre en route…
PP- Qui fait quoi, sur le site ? Les élèves, le maître ?
Ça dépend. Les pages sont préparées sous Dreamweaver II à l’école, et je les intègre dans le site au fur et à mesure, en gérant l’arborescence. Par exemple, on vient de finir un travail sur les métiers. Chacun a fait sa page sur un métier, et je rassemble l’architecture.
PP- Pour chaque élève, combien de temps sur un ordinateur par jour ? par semaine ?
Je ne sais pas exactement. Environ une heure par semaine, pas plus. J’ai 5 ordinateurs en réseau pour 24 élèves, des Pentium II qui datent de 4 ou 5 ans. Ce n’est pas du dernier cri. Mais ça ne me pose aucun problème pour les logiciels qu’on utilise. Je ne ferais pas grand chose de plus avec des machines plus puissantes. J’ai une organisation qui est en place autour d’activités de base, que je cherche à rendre simples et économiques pour la vie de la classe… Je développe surtout la communication et le clavardage, ça ne représente pas des ressources énormes…
PP- Le clavardage ?
Le clavardage (plus couramment appelé » chat « ) a lieu environ une demi heure par semaine. Une équipe de trois va se mettre en ligne, sur un thème défini à l’avance et que nous avons préparé en classe (actualité, thème de recherche, jeu…). Nos correspondants de Montréal font la même chose… Une fois que la » discussion » est terminée, l’équipe qui a clavardé rend compte aux autres élèves.
PP- Qu’est-ce que ça change dans la classe, l’utilisation des nouvelles technologies ?
Difficile de savoir ce qui tient aux nouvelles technologies elles-mêmes et ce qui tient à l’organisation des situations d’apprentissage dans la classe. Le fait essentiel est que les » ressources » sont rares : je n’ai pas un ordinateur par élève. Il m’a donc fallu inventer une nouvelle manière de faire, pour tirer profit des ressources sans perdre d’énergie. J’ai développé du travail individuel, du travail en ateliers, un peu par force majeure. Mais ça m’a permis de développer des stratégies pour qu’ils se responsabilisent. Je ne gère pas tout de manière frontale, ils prennent en main leurs apprentissages.
Je n’ai pas toujours beaucoup de recul sur l’origine des effets produits. Un autre paramètre est le cours double : je me donne deux ans pour qu’ils apprennent ce qu’ils ont à apprendre. Je peux dire à un élève : » Si tu ne démarres pas tout de suite, ça n’est pas grave… « . Sinon, c’est sûr que je serais plus inquiet, je me mettrais davantage de pression en me disant qu’il vont aller dans une autre classe l’année suivante…
PP- Votre dernier petit bonheur en classe ?
La séance de visio-conférence de lundi, avec des moyens de fortune (une petite caméra sur le PC) : l’attention que les enfants avaient, leur bonheur de découvrir l’aspect de leurs copains québécois… Un bonheur pédagogique…
PP- Vos principales difficultés dans l’exercice de votre métier ?
Je cours après le temps. C’est toujours difficile à gérer, le nombre de choses qu’il faut faire en classe, les choix délicats dans les situations d’apprentissages, dans les grands équilibres. . Hier, je n’ai pas fait anglais parce qu’on n’avait pas fini les maths. Même si je les considère comme absolument nécessaires, les projets sont mangeurs de temps. On a parfois l’impression que les acquisitions sont longues…. Parfois, je suis tenté de me rassurer avec une bonne vieille leçon de conjugaison ou de grammaire sur le COD. Même en étant persuadé que ça n’est pas ça qui est efficace, on est tenté de se donner des garde-fous.
PP- Et l’évaluation des élèves ?
Une autre source de satisfaction. Je viens de recevoir les évaluations des élèves qui sont partis en 6e. Leur résultat en production de texte sort nettement du reste. C’est leur spécificité. Par contre, je me rends compte qu’il faudrait que je retravaille la géométrie. Jamais fini…
PP- De quoi discutez à la récré avec vos collègues ?
Beaucoup de boulot, des enfants en difficultés. On a à peu près les mêmes visions sur eux. En plus, on a eu les gamins ou on va les avoir… On est forcément concerné par chacun. Mais on fait des conseils de cycle avec une autre école qui ressemble à la nôtre, histoire de décentrer un peu notre point de vue. On fait d’ailleurs aussi se rencontrer les deux écoles autour de défis lecture ou de rencontres USEP. Histoire que nos élèves en voient d’autres. Ça leur fait un bol d’air.
PP- Ce qui vous a fait bouger dans votre histoire professionnelle ?
L’envie de progresser, de ne pas m’encroûter. Oui, une envie de progrès…
PP- Ce qui pourrait faire bouger autour de vous ?
Discuter plus. Du temps pour se réunir en dehors des heures avec élèves. Le temps, on court après…
Patrick Picard