Par François Jarraud
Vendredi 2 décembre, l’Education nationale lance la première « Journée nationale de sensibilisation au handicap ». Une bonne idée, vantée avec force par Luc Chatel. Mais où en est-on réellement dans l’application de la loi de 2005 sur la scolarisation des enfants handicapés ? Qui va réellement célébrer cette Journée ?
« Une journée bidule » ? « Les recteurs, les inspecteurs d’académie et tout l’encadrement se mobilisent pour que dans chaque école, chaque établissement scolaire, un temps soit consacré à ce sujet », affirme le ministère. Vendredi 2 décembre, si l’on en croit la rue de Grenelle, l’éducation nationale collaborera toute entière avec ce nouvel événement. Pour Luc Chatel, qui fêtera cette journée à Chaumont, il s’agit « de changer notre regard collectif sur le handicap, faire connaître les multiples actions au quotidien menées conjointement par la communauté éducative et les associations ». Celles-ci, à coup sûr, attendent cette journée, comme en témoigne Christel Prado, présidente de l’Unapei. « On a tellement milité pour et depuis si longtemps », nous confie-t-elle. Mais le ministère de l’éducation a oublié de l’inviter à Chaumont… Les syndicats de l’éducation nationale doutent fort de la mobilisation des établissements pour cette première Journée. « J’ai le sentiment que sur le terrain de la sensibilisation ce sera très ténu », nous avertit Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa. Le ministère ne donne d’ailleurs pas d’autre exemple que le collège de Chaumont.
Pourtant beaucoup a été fait depuis 2005. Le ministère aligne des chiffres impressionnants. 214 000 jeunes handicapés sont scolarisés, soit 60% de plus qu’en 2005. 146 000 le sont en classe ordinaire. On compte près de 11 000 auxiliaires de vie scolaire (AVS) et 27 000 emplois vie scolaire. Le nombre d’accompagnateurs (AVS) a augmenté. Le ministère a aussi augmenté le nombre de classes primaires spécialisées (CLIS) et ouvert des ULIS dans le secondaire. « En terme de chiffres, il y a de vrais progrès qui ont été faits », nous dit C Chevalier. « La nation s’est mobilisée après 2005, l’Ecole aussi ».
Mais des problèmes demeurent. « C’est justement dans la sensibilisation , dans ce qu’on fait concrètement dans les établissements qu’il y a de réelles difficultés. On a massifié. Maintenant il faudrait personnaliser », continue C. Chevalier. Le ministère a beau mettre en ligne des « guides » pour les enseignants, le premier point noir semble être la formation des enseignants. « Ils sont peu ou pas formés », dit-il. Un sondage réalisé par l’Unapei en 2008 montrait que près de 9 enseignants sur 10 se déclaraient insuffisamment formés. Pour des raisons budgétaires, le ministère n’a pas trouvé de solution viable au problème de l’accompagnement des enfants. « C’est un nouveau métier qui émerge dans les écoles », explique C Chevalier. « Il faut aller vers la pérennisation de ces emplois, et former le personnel à un niveau suffisamment décent pour qu’ils aient une rémunération convenable ». Or les AVS ont dépendu de contrats aidés, souvent donnés sans formation. La formation de 60 heures qui est prévue actuellement semble insuffisante à C. Chevalier. « Il y a aussi l’incohérence du ministère qui affaiblit les Rased. Ils traitent certes de la difficulté scolaire mais celle-ci accompagne souvent le handicap ».
En froid avec les associations, Luc CHatel fait miroiter de réels progrès en espérant occulter les limites des politiques suivies depuis 2005. « Ca s’appelle préparer une campagne électorale présidentielle », nous souffle C Chevalier. Il reste à porter la sensibilisation dans les classes.
Communiqué ministériel
http://www.education.gouv.fr/cid58610/journee-nationale-de-se[…]
Des ressources pour la journée
http://www.eduscol.education.fr/cid58564/journee-de-sensibilisati[…]
Les guides destinés aux enseignants
http://www.eduscol.education.fr/cid48512/guides-pou[…]
Christel Prado (Unapei) : « Faire tomber les peurs »
L’Unapei est une des principales associations de parents d’enfants handicapés avec plus de 60 000 familles membres… et une présidente énergique. Christel Prado fait le point pour sur l’investissement de l’éducation nationale dans la scolarisation de ces enfants. Satisfaite de cette première journée de sensibilisation, elle dénonce le manque de moyens et d’entrain dans l’éducation nationale et les crispations sur le terrain.
Etes-vous satisfaite de cette journée de sensibilisation ?
On a tellement milité pour et depuis longtemps pour ! La loi de 2005 précise que les programmes scolaires doivent prendre en compte la sensibilisation à) la différence qu’est el handicap. Or jusqu’à ce jour rien n’a été fait. Pour moi cette journée est un premier pas. Elle doit devenir systématique.
Vous allez participer à la journée ?
M. Chatel ne m’a pas invitée mais ça ne m’étonne pas… On a anticipé sur la journée en réalisant un DVD (édition Playbac) envoyé aux IUFM. On travaille depuis longtemps sur la sensibilisation. Que le ministère s’en empare on est ravi car c’est la clé pour préparer une meilleure inclusion des personnes handicapées dans la société. On a intérêt à travailler ensemble entre éducation nationale, parents et milieu médical. Mais, si dans les projets d’établissement des Institut Médicaux Educatif (IME) il y a un volet sur la scolarisation des jeunes, il n’y a toujours pas dans les projets d’école un chapitre sur l’accueil de l’élève handicapé. Pourtant en parler permettrait de faire tomber les peurs. C’est ce que peut faire aussi la journée de sensibilisation.
Dans vos publications vous dites que l’accueil des enfants handicapés est un « fardeau » pour l’éducation nationale. N’est ce pas un peu fort ?
Quand les moyens ne sont pas au rendez-vous ça peut être un fardeau. L’éducation nationale est-elle bien outillée ? Une enquête que nous avons réalisé montre que les enseignants ne sont pas formés à accueillir ces enfants. Et puis il y a la difficulté pour les enseignants de savoir s’ils pourront remplir leur mission avec des enfants différents.
Pourtant le ministère publie des chiffres convaincants en terme d’enfants scolarisés et d’auxiliaires de vie scolaire. Il promet qu’ils seront aussi plus qualifiés. Etes-vous satisfaite ?
Ce qui m’a satisfait c’est quand le ministère le 8 juin a dit qu’il allait interrompre le recours à des emplois aidés pour l’accompagnement individualisé des élèves handicapés. Ca m’a paru pertinent. Car ces personnes sont en courte durée donc sans formation et ce sont des personnes déjà fragiles. On a obtenu qu’on revienne au premier modèle : le statut d’assistant d’éducation avec une formation donnée par les associations. Mais le manque d’anticipation m’agace : chaque année les AVS sont avec les enfants avant leur formation ! C’est mauvais pour tout le monde. J’espère que le ministère m’entendra sur un point choquant : dans le profil des AVS il n’y avait pas de compétence sur la relation avec la famille et pour moi c’est un manque cruel.
Il y a un nombre d’AVS suffisant ?
Par rapport aux demandes, non. Mais cela tient aussi au manque de places en IME, en Sessad (service d’aide à domicile) qui se répercute sur les AVS. On déplace ainsi les pénuries en cascade. Officiellement en 2008 il y avait 13 000 enfants sans solution éducative. Aujourd’hui on nous dit qu’ils sont 10 000, d’autres disent 6 000. Personnellement je vois tellement de parents dans des situations désastreuses que je crois en ce chiffre de 13 000.
Comment améliorer l’accueil des enfants dans les écoles et établissements ?
On a constaté que les enseignants sont prêts à accueillir les enfants mais se disent pas assez formés. Avec la masterisation, c’est pire. Je propose c’est que les enseignants en formation initiale puissent aller 1 ou 2 jours rencontrer les enseignants spécialisés et les enfants en IME pour faire tomber les peurs. Ca ne coutera rien.
Est-ce que ça suffit de faire tomber les peurs ?
C’est déjà 50% du travail de fait. Ca permet la relation. Après il faut rassurer l’enseignants sur sa mission. Lui demande-t-on que l’enfant handicapé fasse le même parcours que les autres ? Cela ça dépendra du parcours de scolarisation de l’enfant. Il ne faut pas mettre les enseignants en échec sur les objectifs à atteindre.
La conseillère de Luc Chatel travaille sur des classes de L.P. accueillant des élèves handicapés. Il y a donc une réflexion qui va dans le bon sens. Mais il faut voir si les moyens seront là. Pour nous un autre enjeu c’est la scolarité après 16 ans. On déplore que pour les élèves handicapés la scolarisation ne soit plus obligatoire après 16 ans. On demande qu’on y réfléchisse car ces enfants ont une maturité à un rythme différent.
A-t-on progressé sur les enseignants référents et les PPS (parcours personnalisé de scolarisation) ?
On est dans une logique de filière. Donc les enseignants référents sont souvent absents pour les enfants en IME. Pour les PPS bien souvent ils sont vides ce sont de simples emplois du temps. Ce n’est pas ce qu’on en attend. Si on veut garantir une bonne scolarisation de l’enfant il faut qu’il y ait une pluridisciplinarité inscrite dans le PPS. On veut que le PPS prenne en compte les problématiques de l’enfant, qu’il définisse les objectifs de la scolarisation. Qu’il dise ce qu’il va faire en classe et ne soit pas un simple emploi du temps. Et on veut qu’il soit revu plus souvent. Cela met les enseignants et les élèves en difficulté.
Enfin ce qui est vraiment scandaleux c’est que quand on n’a pas d’AVS on ne va pas à l’école. Aujourd’hui on a trop souvent cette crispation sur le terrain. Je comprends les difficultés que connaissent les enseignants avec les restrictions de moyens. Mais les enfants ne doivent pas en faire les frais. On m’a dit aussi qu’on supprime des postes d’enseignants spécialisés du coté des Rased. Je ne vois pas la logique avec l’idée de faciliter la scolarisation des enfants handicapés.
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