Par François Jarraud
C’est sans doute un tournant dans l’administration Chatel. Dans une lettre adressée aux parents FCPE d’une école de Pantin (93), le 2 mars 2011, Luc Chatel développe l’idée que les mères de famille participant aux sorties scolaires ne doivent pas être voilées. Quelques jours plus tard il annonce qu’il prépare une circulaire à ce sujet. Pour la première fois, il pose une question éthique à ses administrés et en premier chef les enseignants.
« Il me semble nécessaire de rappeler que les parents qui accompagnent des élèves, inscrits dans une école ou un établissement scolaire publics, au cours d’activités ou de sorties scolaires, participent ce faisant à l’action éducative et plus généralement au service public de l’éducation », écrit le ministre. « En faisant acte de candidature, ils sont amenés à participer directement au service public de l’éducation en se plaçant dans une situation comparable à celel des agents publics vis-à-vis des enfants qu’ils encadrent et acceptent dons de se soumettre aux principes fondamentaux de ce service public ». En conclusion le ministre donne raison à la directrice de l’école qui avait écarté d’office une mère musulmane.
Les propos ministériels tranchent avec les pratiques et la jurisprudence qui jusque là considèrent que les parents accompagnateurs restent des personnes privées non astreintes aux obligations des fonctionnaires. Du coté de la Fcpe on remarquait qu’il est « humiliant et discriminatoire de signifier à certains parents qu’ils ne sont pas éligibles à être de bons parents ». Pour M Pryszlak, élu FCPE de l’école, « le ministre ne répond pas directement à la problématique soulevée initialement qui était que la directrice avait choisi d’exclure à priori des parents d’élèves pour leur appartenance religieuse ».
Chatel veut aller plus loin. Le 8 mars, le Snuipp annonce que Luc Chatel prépare une nouvelle circulaire étendant aux parents l’interdiction du port de signes religieux. « Le ministre vient d’annoncer sa volonté de modifier la circulaire de 2004 sur le port de signes religieux à l’école, en l’étendant aux parents d’élèves lors des sorties scolaires », annonce le Snuipp. Le texte de 2004 avait limité aux agents de l’Etat l’interdiction du port des signes religieux.
Pour le Snuipp, « sur le terrain, jusqu’ici, la question de l’accompagnement des sorties scolaires n’a pas soulevé de conflit notable dans les écoles. Le travail des enseignants auprès des familles a permis à la fois de faire respecter les principes de laïcité en évitant tout prosélytisme et de favoriser la participation des familles, partenaires indissociables de la réussite de leurs enfants. Faut-il faire alors d’un cas particulier un problème général ? Est-il nécessaire de revoir dans l’urgence les textes en vigueur ? »
Le Snuipp » entend privilégier le dialogue plutôt que la coercition et regrette que le ministre s’exprime dans un contexte chargé de polémiques politiques, entretenues même au plus haut sommet de l’Etat. La volonté de mener un débat sur la place de l’islam en France doit-elle s’inviter à l’école ? Le SNUipp demande instamment que l’école ne soit pas instrumentalisée dans ce débat… L’école doit garder une mission d’intégration et non de stigmatisation et d’exclusion ». Le syndicat demande que toute modification de la circulaire fasse l’objet de concertation des partenaires de l’école.
Mères voilées : L’Ecole divisée ? La Peep « soutient le projet d’étendre les dispositions (interdiction du voile)à à toutes les personnes participant aux activités organisées dans le cadre scolaire ». « Les parents d’élèves… sont soumis aux même srègles que les autres personnels accompagnateurs. Ils doivent respecter le principe de laïcité et s’abstenir de tout comportement susceptible d’indiquer leur appartenance religieuse ».
Pour l’Unsa Education, « dès lors que les parents interviennent comme auxiliaires du service public dans le cadre d’une mission de service public (accompagnement d’un groupe pour assurer sa sécurité par exemple), ce principe (de laïcité) doit être respecté. Encore faut-il avoir une expression cohérente… S’il était cohérent, le ministre devrait donc cesser ce double jeu qui le conduit à parler haut et fort de laïcité tout en continuant à accorder des cadeaux à l’enseignement privé catholique ».
La lettre de Luc Chatel
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docs[…]
Communiqué Snuipp
http://www.snuipp.fr/Parents-signes-religieux-et-tenue
Chatel interdit aux mères voilées les sorties scolaires
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/03/040320[…]
Communiqué Peep
http://www.peep.asso.fr/art-76-communique-de-presse-du-8-mars-2011.html
Communiqué Unsa
http://www.unsa-education.org/modules.php?name=News&f[…]
Editorial : L’Ecole peut-elle participer à la campagne anti-musulmane du président ?
Luc Chatel avait su épargner à l’Ecole toute participation à la campagne anti-Roms. Le voilà qui l’engage dans l’offensive lancée par Nicolas Sarkozy sur « l’identité chrétienne » de la France. Au risque d’exclure davantage de l’Ecole une population déjà en difficulté avec l’Ecole.
La position de Luc Chatel est-elle légale ? A peine la circulaire d’application de la loi sur la dissimulation du visage est-elle publiée, le 3 mars, au Journal officiel, que Luc Chatel pousse plus loin en interdisant le port du voile aux parents qui encadrent les sorties scolaires. Car il ne s’agit pas dans cette affaire du niqab, déjà interdit dans l’espace public par la loi, mais d’empêcher des mères portant un fichu islamique d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires. Pour Luc Chatel ces mères sont assimilées à des fonctionnaires astreints à ne porter aucun signe religieux. Cette interprétation crée de fait une nouvelle discrimination, d’autant que, dans le cas évoqué, il s’agit d’un tri a priori des parents. Il n’est pas certain qu’elle soit conforme à la loi française. Il est encore moins sur qu’elle respecte la convention européenne des droits de l’homme. Sur ce terrain là la France s’écarte des usages qui ont lieu chez nos voisins qui considèrent généralement la pratique religieuse comme un élément d’intégration dans la société et non comme un obstacle à celle-ci.
Une campagne politique. Le 3 mars, au Puy-en-Velay , le président de la République a évoqué la chrétienté « un magnifique héritage de civilisation » en insistant sur le fait que la laïcité ne lui interdisait pas de dire cela. « L’identité n’est pas une pathologie » a-t-il ajouté. De son coté le président de l’UMP, JF Copé, a lancé une campagne sur l’identité nationale , la laïcité et l’islam. Il annonce pour le 5 avril, au terme d’un débat sur l’islam en France, des propositions de campagne citant en exemple l’interdiction des prêches en arabe dans les mosquées. C’est dans ce contexte que Luc Chatel a pris position. Bon élève de Sarkozy, Luc Chatel par ce courrier ouvre un nouveau front pour cette campagne, dont le caractère anti-musulman est patent, en l’introduisant à l’Ecole.
La mallette des parents est-elle une valise ? « L’implication des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, est un facteur essentiel de réussite scolaire et doit, par conséquent, constituer un objectif prioritaire du système scolaire », professe une circulaire signée par Luc Chatel en juillet 2010. Elle étendait la « Mallette des parents » à de nouveaux collèges estimant que ce dispositif « constitue un levier permettant d’accompagner les parents dans leur rôle et de soutenir leur implication, en rendant plus compréhensibles le sens et les enjeux de la scolarité, le fonctionnement de l’institution scolaire et ses attentes vis-à-vis des parents, membres de la communauté éducative ». C’est reconnaitre l’importance de l’intégration des parents dans l’Ecole pour la réussite scolaire des enfants. La lettre de Luc Chatel, qui n’est pas une circulaire et encore moins un arrêté, remet en question cette politique en incitant les enseignants à faire le tri entre les parents et à mettre à l’écart les mères de famille portant le voile. L’exclusion était le thème central de la politique scolaire prônée par l’UMP lors de son « rendez vous pour la France » de novembre dernier. Le voilà amené à l’Ecole et c’est évidemment en totale contradiction avec une politique scolaire responsable.
Les bons français et les autres… A un an des élections présidentielles, le gouvernement a décidé de faire campagne sur la division et l’exclusion. Quand il était porte-parole du gouvernement, Luc Chatel avait su s’effacer au moment où N Sarkozy jetait les Roms en pâture à l’opinion publique. Il est affligeant pour lui de constater qu’il a pris une nouvelle position. Il est gravissime pour l’Ecole de devenir un relais d’une campagne nauséabonde qui prétend distinguer les bons parents des mauvais et les vrais Français des faux. En ce sens, la décision qu’a pris le même jour Luc Chatel , d’envoyer dans les écoles un exemplaire de la Déclaration des droits de l’Homme, ressemble à un pied de nez.
Circulaire
http://www.education.gouv.fr/cid52640/mene1000704c.html
Rendez-vous UMP
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/UMPLep[…]
Pour les jeunes issus de l’immigration, la discrimination commence à l’Ecole, estime une étude du Céreq
» Des orientations décalées à différents niveaux et des trajectoires instables sur le marché du travail accentuent le sentiment de discrimination exprimé par de nombreux jeunes issus de l’immigration », relèvent Yaël Brinbaum (IREDU) et Christine Guegnard (IREDU) dans une étude publiée par le Céreq. Elle pose indirectement la question de la discrimination positive.
« La prise en compte des cursus des jeunes et de leur expérience scolaire, à travers leur rapport à l’orientation, explique pour une bonne partie les niveaux d’éducation atteints et, en ricochet, les différences d’accès à l’emploi. Compte tenu de leurs origines sociales et de leur niveau scolaire, les jeunes issus de l’immigration n’ont pas toujours le choix aux différents paliers d’orientation, dans le secondaire d’abord, dans le supérieur ensuite. Leurs projets de formation sont ambitieux et les orientations contrariées sont ainsi plus fréquentes. Or une orientation non conforme à leur voeu en fin de troisième de collège agit négativement sur le succès scolaire dans le secondaire et le supérieur, et par la suite sur l’insertion », écrivent les chercheurs. La discrimination à l’embauche vient aggraver celle ressentie à l’orientation.
L’étude
http://www.cereq.fr/index.php/content/download/1243/14968/fil[…]
Apartheid scolaire
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/200[…]
Sur le site du Café
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