« Jamais dans l’histoire contemporaine de l’école (depuis 1940), de telles pratiques n’ont été observées. » Pour Pierre Frackowiak les poursuites lancées contre les « désobéisseurs » sont sans précédent. » Il serait temps que le ministère se prononce sur ces dérives autoritaristes du système, reprenne le dialogue et la réflexion sur la pédagogie et sur les politiques éducatives globales ».
Alain Refalo, professeur d’école « désobéisseur », est convoqué le 9 juillet, c’est-à-dire pendant les vacances, à l’Inspection Académique de Haute-Garonne, pour comparaître devant un conseil de discipline, avec les motifs ci-après :
– Refus d’obéissance
– Manquement au devoir de réserve
– Incitation à la désobéissance collective
– Attaque publique contre un fonctionnaire de l’Education Nationale
Apparemment, il ne sera pas emmené manu militari de son lieu de vacances au lieu de comparution, il pourra s’y rendre sans escorte ni menottes, mais la seule lecture des motifs fait froid dans le dos et évoque naturellement l’image d’un tribunal militaire. L’Education Nationale se confondrait-elle avec l’Armée ?
Cette mesure est choquante à bien des égards et le nouveau ministre s’honorerait en rappelant à ses cadres que l’Education Nationale est le lieu privilégié de l’intelligence, de l’ouverture d’esprit, de la pensée divergente, de la démocratie et de son apprentissage, de la liberté pédagogique inscrite dans la loi.
Cette convocation est d’autant plus choquante que :
• Alors qu’il a effectué l’intégralité de son service devant les élèves, Alain Refalo a déjà été sanctionné cette année de 14 jours de retraits de salaire et d’un refus de promotion au grand choix cette année pour avoir mis en place un atelier théâtre sur le temps de l’aide personnalisée avec l’accord des parents d’élèves.
• Le nombre d’enseignants désobéisseurs qui n’appliquent pas le modèle unique supposé de l’administration sans le dire et donc sans être sanctionné est considérable. D’une part, parce que dans certains lieux et niveaux, l’organisation de l’aide personnalisée n’a pas de sens sauf à vouloir stigmatiser à tout prix des enfants dans le seul but de justifier les instructions ou les ordres. D’autre part, parce que le choix des pratiques pédagogiques relève de la responsabilité des enseignants : on peut concevoir que le soutien puisse se faire plus efficacement dans des groupes hétérogènes. Il est important de noter que dans beaucoup de classes, le soutien individualisé se réduit à des doses supplémentaires de bled et d’opérations sans que les enseignants ne soient inquiétés
• Jamais dans l’histoire contemporaine de l’école (depuis 1940), de telles pratiques n’ont été observées. Lorsque le ministère a lancé le tiers temps pédagogique qui constituait à l’époque, en 1969/70, une véritable réforme de l’école, personne n’a jamais pensé sanctionner ceux qui ne l’appliquaient pas, ne faisaient pas l’éducation physique ou les activités d’éveil, continuaient à faire des leçons de choses et du b-a ba, consacraient 90% du temps scolaire au français et aux maths et une grande partie de ce temps à des exercices d’application, d’entraînement, de mémorisation et de contrôle. Pas une seule sanction. Lorsque le ministère a mis en place une nouvelle loi d’orientation, celle de 1989, qui instituait le projet d’école, les cycles, des programmes en termes de compétences et plus en termes de sommaires de manuels, le livret scolaire, aucun enseignant n’a été sanctionné. Personne ne l’avait envisagé. Le nombre de désobéisseurs a pourtant été considérable, même chez des cadres conservateurs qui prônaient la superposition des pratiques nouvelles (le livret scolaire), pour la forme, aux pratiques anciennes (notes, compositions, classements). Même ceux qui affichaient leur désaccord ou leur scepticisme n’ont pas été rappelés à l’ordre. On savait que l’autoritarisme est complètement contreproductif en matière d’éducation.
On peut légitimement s’interroger sur la position du ministre sur ces pratiques autoritaristes nouvelles. Si elles étaient généralisées, imposées, il est probable que la prochaine étape de la militarisation de l’éducation concernerait logiquement le niveau supérieur, les inspecteurs, dont la rémunération serait amputée selon le pourcentage des écoles de leur circonscription qui n’auraient pas appliqué la pensée et les modèles uniques, qui ne seraient pas investis dans l’organisation de bonnes évaluations, qui n’auraient pas renseigné la base élèves, etc. Ainsi ceux-là même qui poursuivent aujourd’hui, parfois avec un zèle curieux, les enseignants pratiquant une autre pédagogie, seraient alors poursuivis et sanctionnés, en attendant que les inspecteurs d’académie eux-mêmes soient limogés au vu de résultats insuffisants.
Il serait temps que le ministère se prononce sur ces dérives autoritaristes du système, reprenne le dialogue et la réflexion sur la pédagogie et sur les politiques éducatives globales qui permettent de concevoir le soutien dans de meilleures conditions sans stigmatiser les élèves, rappelle que l’Education Nationale n’est ni l’Armée, ni la Police, qu’elle est un lieu d’épanouissement, d’émancipation, de liberté, si possible de bonheur pour les maîtres et les élèves, que ses cadres ne sont pas des adjudants de service ou des contremaîtres, mais des accompagnateurs des efforts de ses acteurs pour améliorer la réussite scolaire et construire une école pour notre temps.
Il serait temps que le ministère s’interroge et engage une réelle concertation sur les conditions d’une réelle mobilisation de ses personnels en faisant le pari de l’intelligence collective et de la confiance.
Pierre Frackowiak
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