« Ce qui rebute les enseignants à changer est parce qu’ils ne savent pas par où commencer. La solution est simple. Il faut sortir de l’isolement. » Neuf pédagogues du Québec diffusent un Manifeste pour une pédagogie renouvelée, active et contemporaine. Ils sont issus du monde de l’enseignement et leur expertise est leur expérience de terrain dans des pratiques novatrices. L’instigateur de cette initiative est Marc-André Girard, directeur du Collège Beaubois à Pierrefonds au Québec et auteur de nombreuses publications en sciences de l’éducation. Récemment il a publié « Le changement en milieu scolaire québécois » aux Éditions Reynald Goulet.
Comment définissez-vous une pédagogie active renouvelée et contemporaine ? Il y aurait donc une vieille pédagogie active obsolète et démodée ?
Je ne suis pas certain d’aimer le terme démodé. Et il ne faut pas répondre à cette question par son extrême. Le contraire d’actif, renouvelé et contemporain n’est pas, dans ce cas-ci, obsolète et démodé car il y a des choses qui sont traditionnelles en éducation et qui ne seront jamais démodées ou obsolètes. Ce que le Manifeste propose, entre autres, c’est de varier les approches pédagogiques et de s’inspirer de ce que la modernité propose comme outils. Il propose également de cesser de percevoir la classe comme une entité homogène en plaçant la différenciation pédagogique au centre de l’acte d’enseigner. Enfin, le Manifeste redéfinit le rapport entre le savoir et la compétence en resituant ce qui, au Québec, est devenu un rapport et une opposition… comme si les deux termes n’étaient pas complémentaires !
Un manifeste par nature est une sorte de « coup de gueule ». Il fait part d’une indignation… Contre quoi êtes-vous en colère ?
Nous ne sommes pas en colère ! Nous sommes des leaders dans nos milieux et nous essayons de raisonner nos collègues tout simplement. Ce n’est pas une indignation non plus mais une sensibilisation à la réalité. Il semble y avoir, dans le milieu scolaire occidental, une opposition entre ce qui est prôné et vécu dans l’école et dans la société. Tout ne vibre pas au même diapason !
Les auteurs du manifeste déplorent que la pédagogie traditionnelle se contente de la passivité des élèves. En quoi l’introduction du numérique en classe peut-elle impliquer les élèves dans leurs apprentissages ?
Le numérique apporte de nouveaux outils qui ouvrent de nouvelles portes et permettent la naissance de nouvelles approches et stratégies pédagogiques. Ces outils sont transformatifs et redéfinissent la profession enseignante. Nous sommes d’avis que ces outils assortis d’une nouvelle approche pédagogique permettent à l’élève d’être plus actifs dans leur propre démarche d’apprentissage. Également, la pédagogie traditionnelle fait de l’enseignant l’unique dépositaire de la connaissance et l’approche directive en fait le canal principal de diffusion de l’information. Pour nous l’enseignant est plus que cela : c’est un guide, un stratège et le plus grand spécialiste des élèves qu’il a sous sa main. La technologie permet, pour nous, la redéfinition du lien humain maitre-élève. C’est la naissance d’un nouvel humanisme ! Je vous invite à lire ceci.
Le manifeste souhaite que les enseignants proposent aux élèves des activités qui ont du sens et qui restent en contact étroit avec la réalité. Comment mettre en place cette idée dans une classe, par exemple, en tant que professeur d’histoire dans un collège ?
On dit souvent de l’histoire que c’est la façon d’expliquer le présent avec le passé. C’est l’occasion de mettre cette maxime à contribution. Or, souvent, ce lien passé-présent est souvent fait par l’enseignant-raconteur. Or, l’histoire n’a pas à être racontée exclusivement. Elle peut être vécue. Ces liens peuvent être faits par les élèves directement. L’histoire, c’est un espace historiographique où les débats ont leur place. Dans la mesure du possible, l’élève doit pouvoir sortir sur le terrain pour voir de ses yeux l’architecture, gouter de la nourriture, échanger dans d’autres langues que la sienne, etc. Mais la réalité scolaire fait que ces sorties ne peuvent pas être trop fréquentes et c’est là que la technologie entre en ligne de compte avec des cartes virtuelles, la réalité vituelle, padlet, Thinglink et j’en passe.
Le manifeste met en relief un exemple de processus pédagogique créatif, actif, motivant et ancré dans la réalité avec l’exploitation à des fins pédagogiques du Web 2.0 … Les auteurs écrivent : Par les échanges et la rétroaction qui s’ensuivent, un espace de motivation intrinsèque se construit, lequel génère des apprentissages signifiants et un sentiment d’accomplissement… En toute amitié, (juste pour taquiner l’enseignant que vous êtes)… pourriez-vous faire preuve de pédagogie et traduire cette phrase pour le béotien que je suis ?
Vous avez déjà entendu parler de l’effet enseignant ? Le chercheur John Hattie explique l’importance que l’enseignant a par rapport à la qualité de l’apprentissage des élèves. Pour les auteurs du Manifeste, lorsque l’enseignant passe son temps à transmettre des savoirs via de sempiternels exposés magistraux, il perd deux occasions fantastiques de jouer un rôle prépondérant dans la démarche d’apprentissage de ses élèves. Dans un premier temps, il n’est pas près de ses élèves pour témoigner de leurs apprentissages et ensuite, il ne peut leur offrir de rétroaction dans le processus.
Pour nous, il y a une différence entre l’enseignant qui échange avec le plus d’élèves possibles dans une période de classe et celui qui interagit avec un groupe. Enfin, la rétroaction que nous offrons à nos élèves, bien souvent, est lors de l’évaluation sommative. Comment permettons-nous à l’élève d’évoluer et de prendre connaissance de ses erreurs pour y palier par la suite ? L’apprentissage n’est-il pas la succession de petites erreurs ça et là ? Donc, comment éduquer l’élève et espérer qu’il développe une estime de soi et une motivation quand tout lui est extérieur ? Il est anormal que les enseignants soient plus actifs que leurs élèves en classe. Si nous voulons des élèves autonomes et impliqués, il faut leur donner l’occasion de le faire !
Le Manifeste relativise le rôle des nouvelles technologies dans l’enseignement et exprime des réserves sur l’élève butineur numérique. Le butinage ce n’est pas une liberté favorable au développement de l’autonomie des élèves ?
Je pense que vous avez mal lu ! Bien au contraire, le Manifeste propose de disloquer le monopole de la connaissance de l’enseignant pour décloisonner la classe et permettre aux élèves d’utiliser leurs appareils numériques pour rechercher les informations. C’est ça le butinage numérique et cela offre également un nouveau pouvoir à l’élève qui, contrairement à ce que plusieurs pensent, ne vient pas menacer celui de l’enseignant. C’est l’émancipation de l’élève et l’affranchissement de son lien de dépendance envers l’enseignant pour l’acquisition des connaissances relatives au cours. L’enseignant, entre autres, éduque l’élève à la critique, à l’éthique de travail, le défie à se questionner. Il initie la pensée métacognitive et ouvre des espaces de discussion et de collaboration.
Vous êtes partisan d’une pédagogie collaborative dans une communauté d’apprentissage élargie … Quelle définition les auteurs du manifeste donnent-ils à cette façon d’enseigner ?
Nous travaillons à abattre les silos en éducations. Il n’y a plus de murs aux classes d’aujourd’hui et les cloisons n’existent plus. C’est ça le 21e siècle. L’isolement devient un choix et non une obligation. La communauté d’apprentissage existe en présentiel, mais aussi en virtuel. Par exemple, en arts plastiques, un élève peut afficher différentes étapes inhérentes à la création d’une œuvre et permettre à ses compagnons d’offrir une rétroaction pour lui permettre de bonifier son travail. Cette communauté permet d’orienter l’élève via ses pairs. C’est l’apprentissage par les pairs. N’est-ce pas rassurant de pouvoir compter sur ses compagnons pour de l’aide et de la rétroaction ? Eté cette communauté ne se limite aucunement aux élèves. Peuvent-ils créer des partenariats au sein de la communauté et avoir accès à une banque de spécialistes et de professionnels de toute sorte ? La démarche pédagogique se voit bonifiée.
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Vous aimez la liberté des élèves, la latitude que leur laisse une pédagogie bien comprise… Mais cette latitude n’est-elle pas une aggravation de la charge de travail de l’enseignant ?
C’est toujours l’élève qui devrait travailler plus que l’enseignant. Souvent, la surcharge de travail pour l’enseignant est occasionnée par deux facteurs. Le premier lorsqu’il décide de tout changer alors qu’il pourrait certainement n’apporter que quelques ajustements à ce qu’il fait déjà. La forte majorité des enseignants sont compétents et bienveillants. Ils n’ont pas besoin de tout jeter par la fenêtre. Ensuite, la surcharge est causée par celui qui hésite et craint de changer certaines facettes de son approche. Il en vient à en ajouter au lieu de modifier et il se retrouve dans un dédale de tâches lourdes et longues à mener à terme. L’approche des petits pas est toujours à privilégier et le changement ne doit pas se faire immédiatement de façon intransigeante.
Vous aimeriez vous poser une question que je n’ai pas posée ?…
Ce serait plutôt un commentaire. Ce qui rebute les enseignants à changer est parce qu’ils ne savent pas par où commencer. La solution est simple. Il faut sortir de l’isolement. Les médias sociaux regorgent d’idées et d’expériences de leurs confrères dans toute la francophonie. Twitter est un outil très puissant d’ailleurs. Également, il existe une pléthore de congrès ou de colloques partout qui mettent en valeur des enseignants qui ont développé un créneau pédagogique exportable et adaptable. La communauté d’apprentissage et de partage n’est pas que l’apanage de l’élève. Elle devrait même être celui de l’enseignant en premier !
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Le Manifeste est accessible sur le site www.pedagogieactive.com