Jean-Louis Auduc est agrégé d’histoire. Il a été directeur des études à l’IUFM de Créteil, où il a notamment mis en place des modules de formation aux relations parents-enseignants. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le système éducatif et sur laïcité en milieu scolaire.
Entre les parents et l’école, quels sont les points de tension récurrents qui justifient la publication de votre livre ?
Il y a aujourd’hui beaucoup de « points chauds » entre les familles et l’école, notamment dans les domaines de l’évaluation, de l’orientation et des sanctions disciplinaires. Plus globalement, beaucoup de parents aujourd’hui ne comprennent plus le sens, les missions d’une école qui ne ressemblent pas à celle qu’ils ont pu connaître, ce qui laisse le champ libre à tous les démagogues pour « casser » le service public de l’éducation nationale.
Depuis trois décennies, le rôle des parents s’est développé dans les établissements… Pourtant nombre d’élus de parents d’élèves ont l’impression de servir de potiches … Comment expliquer cette impression ?
Il y a effectivement des discours sur le rôle et la place des parents dans les établissements scolaires, mais concrètement, il n’y a pas dans les instances existantes, comme disait un syndicaliste, de « grain à moudre » pour que leurs représentants puissent concrètement montrer à quoi ils servent. De plus, pour prendre un exemple, le mot « parent d’élève », leur place dans l’école, le collège ou le lycée, n’est à aucun moment évoquée dans les programmes d’éducation civique et morale où l’on évoque l’école, la construction de l’autonomie du jeune, ce qui n’est pas dans le cas dans les programmes similaires d’autres pays européens.
Votre livre évoque le réseau de connivences qui existait autrefois autour de l’école… Les relations entre l’école et les familles étaient idylliques au temps jadis ?
La situation était bien loin d’être idyllique, il y a quarante ans, mais les parents dans leur majorité comprenaient les missions de l’école. Les associations de parents d’élèves étaient puissantes (plus de 2 millions d’adhérents contre 600 000 aujourd’hui pour les deux principales fédérations du public), et l’aspiration aux poursuites d’études pour tous les enfants étaient fortes…
Cette situation a été détruite, faute d’avoir inclus les familles dans une démarche de co-construction des réformes successives de l’éducation. On peut dire que pour les familles les plus éloignées de l’école, celles qui sont restées au bord du chemin de la massification, la nature de l’école, d’un lieu de promesses est devenue un lieu de menaces.
Vous notez l’existence d’un « délit d’initiés »… Est-ce à dire que certains parents sont mieux traités que d’autres par l’école ?
A l’inverse des parents restés au bord du chemin, les parents qui maîtrisent les mutations de l’école, le choix des options (plus on optionnalise, plus on ségrégue) sont aujourd’hui à l’aise.
Faire rentrer toutes les familles dans l’école, c’est empêcher que cela perdure. J’aime bien citer Didier Eribon qui dans son livre « Retour à Reims » pointe bien ce délit d’initiés : « Un enfant des classes populaires, même quand il est très bon élève, a toutes les chances d’emprunter les mauvais chemins (…) et de se retrouver toujours à l’écart et en dessous des voies d’excellence (…) en s’émerveillant d’avoir accès à ce qu’évitent soigneusement ceux qui savent. En fait, on croit accéder à ce dont on était auparavant exclu, alors que quand on y accède, ces positions ont perdu la place et la valeur qu’elles avaient dans un état antérieur du système. »
Vos travaux vous amènent à recommander à l’école « d’informer clairement » les parents… Vous avez un exemple d’information absconse en direction des parents ?
L’école ne sait pas vulgariser sa fonction, ses missions, ses programmes. Quand on veut informer les parents sur les nouveaux programmes de 2016, on le fait en évoquant les programmes précédents, alors que pour les parents scolarisés en France, il faudrait faire référence aux programmes d’il y a vingt-cinq ou trente ans pour leur expliquer le pourquoi des modifications.
Que dire du « livret scolaire numérique », si ce n’est que si l’on veut empêcher tout parent n’ayant pas Bac + x (et encore !!) de comprendre où en est leur enfant, on ne ferait pas mieux, sauf si l’on veut affaiblir le service public !
Que dire des sigles des formations technologiques (STMG, STI2D, ST2S) si ce n’est qu’ils n’ont pas pour vocation de montrer aux familles les contenus et les débouchés possibles de ses filières !
Vous citez Régis Debray qui critique la notion même de « parents d’élèves » car les parents ont des enfants et seule l’école a des élèves. Pouvez-vous préciser en quoi cette remarque est lourde de conséquence ?
Dans notre monde de surexposition à des informations via les réseaux sociaux, il est fondamental de ne pas découper le jeune « en tranche de salami » et de faire qu’il y ait cohérence éducative entre les divers acteurs de la formation d’un jeune.
Aujourd’hui, ce n’est pas seulement dans l’école que peuvent s’acquérir des savoirs et des compétences, mais aussi dans des activités sportives, socioculturelles, avec différents associations… La co-construction d’un projet pour le jeune, la co-éducation sont des enjeux importants si on ne veut pas que le jeune se trouve livrer à de mauvais gourous ou de mauvais bergers …
Vous écrivez : « Parents, élèves et enseignants peuvent et doivent construire, ensemble, une école plus rassurante et bienveillante pour tous… » . Si l’on vous prend pour un doux dingue … Vous vous fâchez ou vous défendez votre idée ?
Il faut toujours avoir un horizon, une vision à long terme pour avancer. Je suis persuadé que si l’école dans toutes ses composantes et les familles n’agissent pas ensemble, on laissera beaucoup d’entre elles désemparées, déboussolées et que cela peut être très grave pour l’avenir d’une démocratisation nécessaire de notre système éducatif.
Rassurer en les insérant pleinement dans l’école les familles, toutes les familles sur les potentialités de leurs enfants, c’est éviter que certaines, parmi le premières visées, ne trouvent normales, de retirer dès 13/14 ans leur enfant du système scolaire…
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Jean Louis Auduc, Familles – école. Construire une confiance réciproque. Editions Canopé, 2016. ISBN : 978-2-240-04279-8