Au moment où l’on s’apprête à remplir APB (Application Post Bac) dans les lycées, se pose, à nouveau, la question du choix des filières, des formations et même des métiers. S’engager dans des études, c’est un investissement et un engagement qui peut faire peur. Devant la diversité de l’offre et surtout son opacité, malgré des tentatives de normalisation (via APB et autre réforme LMD), il reste très difficile de faire des choix d’orientation. Entre les logiciels qui gèrent l’orientation, les logiciels d’aide à l’orientation, et les services web qui proposent des ressources pour l’orientation, publiques (ONISEP) ou privées… nous sommes devant « un marché de l’angoisse » dont la rentabilité potentielle peut donner des idées. A cette diversité s’ajoute un élément d’incertitude qui concerne le devenir des métiers. Or, il est un argument qu’il faut dénoncer : celui des nouveaux métiers qui ne seraient pas connus et dont on ne peut prédire les filières. Ils seraient nombreux… rien n’est moins certain.
De nouveaux métiers, vraiment ?
Certes il y a des métiers nouveaux qui apparaissent et d’anciens qui disparaissent, mais ils sont peu nombreux en regard de ceux qui perdurent. Une analyse un peu avancée permet de constater que ces changements sont liés à des choix technologiques fondés, le plus souvent, sur des savoirs nouveaux, la plupart du temps issus de travaux scientifiques. Si l’on regarde l’histoire des savoirs et des inventions, on s’aperçoit que ces dernières s’inscrivent dans une dynamique historique et qu’elles ne surviennent pas brusquement. En réalité, une analyse de l’histoire des métiers montre qu’il y a plus d’évolutions à l’intérieur des métiers eux-mêmes. Faut-il parler de nouveau métier quand une activité manuelle s’automatise ou utilise des moyens numériques. Ainsi le passage à la commande numérique dans la mécanique fait certes changer les compétences nécessaires pour travailler dans ce domaine, mais y a-t-il pour autant un nouveau métier ? Les moyens informatiques et numériques ont modifié nombre d’activités. Ils ont fait évoluer de l’intérieur les compétences indispensables pour les réaliser. L’agriculteur, le comptable, l’hôtelier, pour prendre trois domaines différents, ont tous vu ces évolutions. Pour autant leurs métiers existent encore. Même si l’approche par compétences dans le monde professionnelle tente encore aujourd’hui de s’imposer, elle reste encore peu intégrée dans le monde scolaire et même dans le monde du travail. Aussi filières, diplômes, notes, métiers restent des éléments clés pour s’orienter.
L’algorithme bouc-émissaire
Elèves et parents d’élèves sont influencés par ces discours et tentent d’y voir clair. Au-delà des déterminismes sociaux, il y a la volonté de ne pas se tromper. Or devant un logiciel comme APB, pour l’élève comme pour le parent il peut y avoir une inquiétude de la boite noire. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été demandé de publier les algorithmes. Cependant les algorithmes, qui sont d’abord la « mécanisation » d’une procédure, relèvent de l’intention humaine. Il y a plusieurs années, dans le cas d’Affelnet, (orientation fin de troisième) on avait pu apercevoir la complexité du problème. L’académie de Bordeaux, expérimentatrice, avait publié un document technique (PAM) qui expliquait l’amont de l’algorithme : la liste et la hiérarchie des données à entrer pour que l’algorithme puisse ensuite faire l’affectation. Chaque formation était décrite et était mise en correspondance avec 8 domaines de compétences. Le choix de la formation exprimé par l’élève, les parents, les enseignants se trouvait pondéré par cette grille des compétences et ainsi l’algorithme pouvait proposer une décision selon les informations déclarées. Car un algorithme ne fonctionne correctement et de manière égalitaire que si les données entrées sont correctes et si les résultats sont correctement analysés.
On se rappelle les salles des professeurs au moment de remplir le livret scolaire des élèves en vue de l’orientation (avant APB). On se souvient de ces enseignants déclarant orienter leurs appréciations selon des critères plus ou moins explicités : amplifiant ou minorant telle ou telle caractéristique de l’élève, l’enseignant entendait peser sur le choix des « recruteurs ». Dans le même temps, quand l’établissement d’accueil était devant 250 dossiers pour 25 places, on opérait le travail inverse. Certains établissements étaient même déconsidérés s’ils « gonflaient » trop les résultats de leurs élèves. Il fallait trier, l’algorithme implicite et humain fonctionnait, parfois de manière conflictuelle au sein des commissions d’admission des établissements.
Qu’apporte-donc la mise en place de logiciels « officiels » qui mécanisent l’orientation ? Probablement un peu de clarification. D’une part presque toutes les formations peuvent être proposées « à égalité ». D’autre part l’harmonisation des offres et des procédures de demande évitent des biais nombreux liés aux aléas aussi bien de la vie des familles (disponibilité, compréhension, relationnel, etc.…) que de celles des établissements (recrutement par tri ou par décantation dans certains cas…). Cependant l’inquiétude exprimée face aux algorithmes aurait mérité de la part du ministère une autre forme de réponse et de communication. En se centrant sur les algorithmes, on a renforcé un imaginaire (théorie du complot) alors qu’en réalité, le problème est ailleurs (le plus souvent humain). De plus on tente de faire croire que l’informatique décide à notre place. C’est déculpabilisant pour tout le monde, mais c’est déresponsabilisant. Car la vraie responsabilité de l’orientation est en amont d’abord, lorsque le livret scolaire se remplit, et en aval lorsque les recruteurs complètent le tri du logiciel… parfois même quand la rentrée est passée. Les logiciels de gestion des notes ou des compétences ne résolvent pas le problème de l’évaluation…. Les logiciels de gestion de l’orientation ne résolvent pas les angoisses des jeunes et de leurs familles. L’informatique, en l’occurrence les algorithmes font de bons boucs émissaires. Il serait temps que face à l’angoisse des uns et des autres, on impose davantage d’explicitation aussi bien du fonctionnement logiciel que du fonctionnement humain associé.
Logiciels privés et capacité à évoluer
La multiplication des logiciels et services « privés » d’assistance à l’orientation est liée à cette angoisse. Des officines privées, des entreprises, des fondations, des associations diverses peuvent être tentées de proposer des solutions « clés en main ». Jugeant les propositions de l’ONISEP ou des Conseillers d’Orientation insuffisantes, des familles vont chercher ailleurs des réponses à leurs questionnement. Est-ce pour autant que ces produits vont les aider. Oui si, comme le font certains astrologues, il se contentent de renvoyer en miroir le désir profond des demandeurs après avoir réussi à le faire exprimer. Non si l’on en croit les jeunes et leurs parents qui face à des réponses toutes faites (parfois par des logiciels profileurs) se sentent de nouveau bien seuls face aux choix. Certains de ces services sont présentés comme devant être accompagnés par les enseignants ou les COP des établissements. Le dialogue que permettent ces services est destiné à faire prendre conscience au jeune qu’un choix d’orientation, ce n’est pas que le choix d’un métier ou d’une filière d’étude, mais plutôt un choix qui engage la vie future.
Quant aux métiers d’avenir ou aux compétences qui ne sont pas encore déployées, il faut aussi relativiser. Il y a bien des évolutions réelles, mais elles restent à préciser. Bien plus que l’apprendre à apprendre, c’est la capacité d’adaptation basée sur celle d’apprentissage expérientiel qu’il faut développer. Mais cela suppose que l’entrée dans une activité professionnelle soit l’occasion de transformer ses modes d’apprendre et non pas de considérer que l’on n’a plus besoin d’apprendre… Cela semble évident, mais la réalité montre que la différence de trajectoire professionnelle entre plusieurs personnes tient en grande partie à cette capacité à évoluer dans les nouveaux contextes professionnels, les nouvelles compétences, bien plus que vers de supposés nouveaux métiers.
Bruno Devauchelle