« Escale », c’est un temps de pause instauré au Collège Rep+ Les Pyramides d’Evry (91) pour les élèves en voie de décrochage. Mais c’est en réalité bien plus que cela. C’est un projet qui fait intervenir plus d’une cinquantaine d’adultes du Collège qui travaillent tous dans le même sens, pour leurs élèves, pour le climat scolaire de l’établissement, pour mettre chacun en situation de réussite scolaire… Ce projet a été présenté au 9ème Forum des enseignants innovants par Charlotte Dubois, coordonnatrice du dispositif Escale, qui répond à nos questions.
Comment êtes-vous parvenus à ce projet ?
Ce projet est né il y a 4 ans. La création est venue d’un ensemble de circonstances. A l’époque, on avait une collègue, Julie Commun, qui participait aux classes « SAS ». Les collèges fonctionnaient en réseau et chaque collège donnait un peu de sa DGH pour accueillir 1 semaine voir plus des élèves qui posaient de grosses difficultés. L’idée était de les accueillir, de les faire travailler sur des ateliers bien précis (ils voyaient des psychologues etc.).
Le problème, c’est que ces classes n’ont pas forcément eu l’effet escompté. Ce qui posait vraiment problème, c’est qu’aller en classe SAS, c’était sortir de son collège pour aller dans cet accueil, pour y revenir ensuite. Au lieu de raccrocher l’élève, on le décrochait pour ensuite essayer de le raccrocher…
Quelle a été votre réflexion alors ?
Ces classes ont été supprimées. Ma collègue qui faisait ce dispositif trouvait cependant qu’il y avait des points positifs : offrir un temps plus individualisé à l’élève, le remotiver pour travailler ses vraies difficultés, travailler sur de la mise en place d’objectifs. Ma collègue a donc imaginé un espace d’accueil dans notre établissement, ce qui fait que les élèves resteraient avec nous, ils seraient reçus par leurs professeurs, toujours dans la dynamique de rester en lien avec le collège.
On a été suivi dans la DHG grâce à un « poste d’appui » (18 heures). Ces heures peuvent être utilisées pour réaliser des projets spécifiques dans les établissements. Cette année là, la campagne contre le décrochage scolaire battait son plein, toutes ces circonstances ont fait que notre dispositif escale s’est créé avec un groupe d’enseignants.
Décrivez-nous Escale…
C’est un dispositif d’accueil des élèves qui va durer 2 semaines. Pendant ce temps, on va proposer aux élèves de faire une pause, de travailler sur leurs difficultés, sur la mise en place d’objectifs pour que ça aille mieux. Dans les ateliers, on va les guider vers de la confiance en soi, envers l’école, envers les adultes. On va essayer de les mettre en situation de réussite pour leur faire comprendre qu’ils ont tous un potentiel en eux dont ils ne soupçonnent pas tout le temps et dont ils peuvent exploiter pour réussir leur scolarité.
L’élève a donc un emploi du temps aménagé où il va être en « escale » sur des demi-journées, le reste du temps il sera en cours avec le reste de sa classe. C’est dans ce cadre que nous essayons de corriger le défaut principal des classes SAS puisque l’élève reste au collège avec nous et sur la moitié de sa journée il est avec sa classe.
Comment percevoir les signes préoccupants chez les élèves ?
J’envoie régulièrement des mails à des collègues pour qu’ils nous fassent remonter les informations et à écrire les raisons qui font que ces élèves peuvent être mis dans le dispositif. On cible deux types de profils d’élèves différents, les élèves visibles (en décalage avec les attentes du savoir travailler ensemble) et les décrocheurs invisibles (ils respectent les codes, mais ils sont en vraie difficulté, sans le faire savoir).
Chaque vendredi par quinzaine on se réunit avec les collègues d’escale pour faire le point sur la session actuelle et pour imaginer la session suivante à partir des noms qui ont été proposés. La plupart du temps un collègue est enseignant d’un élève désigné. Mais si ça n’est pas le cas, je vais chercher des informations auprès des professeurs principaux et des CPE.
Après on va essayer de hiérarchiser, c’est-à-dire pour quels élèves il est le plus urgent de les mettre dans le dispositif. On va aussi essayer de créer des sessions en cherchant une alchimie entre les élèves, avec des dynamiques positives et d’autres qu’on ne souhaite pas reproduire dans Escale. On essaye donc de former des groupes qu’on suppose bien fonctionner entre eux.
Comment arriver à trouver cette alchimie ?
Tout d’abord on essaye de ne pas mettre les élèves d’une même classe dans la même session parce qu’on s’est rendu compte que certains avaient tendance à reproduire la même dynamique qu’ils ont dans la classe. On accepte 6 élèves au maximum pour vraiment leur apporter une aide, un accompagnement individualisé. Pour les groupes constitués d’élèves « invisibles », l’idée est de former des groupes avec lesquels les élèves ne se connaissent pas nécessairement. Au contraire pour les décrocheurs « visibles », on essaye de ne faire que des groupes de 3 élèves. En effet, on s’est rendu compte qu’à partir de 4 élèves, ça peut assez aisément aller vers une dynamique de distraction, ce qui n’est pas possible à 3. Ici, l’aide est d’autant plus individualisée, ils ont vraiment moins d’espace pour se distraire, et les résultats dans ce cadre là sont vraiment vraiment très positifs.
Comment les élèves vivent cette mise à l’écart ?
C’est un point qui a beaucoup progressé depuis la mise en place du dispositif. Effectivement au tout début, il y avait une stigmatisation de ces élèves au sens où ils étaient sortis de leur classe pour aller dans quelque chose qu’ils ne connaissaient pas. Mais cette première année s’est finalement bien passée. Alors qu’au début on pouvait entendre des remarques d’élève du genre « c’est quoi escale », « il va en escale », on s’est rendu compte que très rapidement les élèves sont venus nous voir et nous demander ce qu’il faut faire pour aller en Escale. La nouveauté fait interroger les élèves, certains peuvent avoir des représentations négatives, mais ceux qui connaissent le dispositif l’ont apprécié.
De façon générale, les élèves ou les familles expriment le besoin d’intégrer le dispositif. Escale commence vraiment à faire partie de l’établissement, il est aussi bien connu à l’extérieur par les familles. Cette année, on est dans le cas où lorsqu’on a proposé aux familles faire escale pour leur enfant, les familles nous ont dit : « pas de problème, le grand frère est passé il y a deux ans ». On n’avait pas à justifier, on avait l’aval de la famille, ce qui est assez intéressant pour nous.
Malgré tout, si ce dispositif est vraiment intégré dans la culture de l’établissement, certains élèves nous font comprendre de temps en temps qu’ils ne souhaitent pas être intégrés au dispositif. Certain par exemple n’aiment pas l’idée d’être séparé de ses copains, même sur des demi-journées.
Comment évaluez-vous votre dispositif ?
Nous nous réunissons tous les vendredis par quinzaine. Tout d’abord notre premier critère, c’est notre ressenti qui se fait savoir en conseil de classe, quand les parents sont reçus par les professeurs principaux, quand les professeurs reçoivent à nouveau les élèves en emploi du temps normal. Généralement, nous avons un ressenti d’apaisement du climat scolaire. On est dans un établissement qui est classé REP+, il nous arrive d’avoir une ambiance très « dynamique ». On remarque qu’il y a moins d’incivilités. On ne peut pas le chiffrer ni le comparer en prenant en considération que le dispositif n’existe pas. C’est pour cela qu’on est sur du ressenti, en terme d’ambiance. On a aussi un relationnel professeur-élève qui évolue depuis 2 ans en développant énormément le tutorat.
C’est-à-dire ?
Chaque élève après « Escale » se voit proposer un tuteur qui se propose de suivre l’élève, de le rencontrer sous forme d’entretien pour l’aider à atteindre ses objectifs, à les maintenir ou à affronter les nouvelles difficultés qui se présentent. Ce tutorat est généralisé dans l’établissement, il y a environ 25 enseignants volontaires et bénévoles qui se proposent d’être tuteur. Ce système de tutorat nous permet d’avoir un relationnel qui évolue entre les enseignants et les élèves. Le professeur n’est plus là simplement pour dispenser sa matière (l’image qu’ont les élèves), les élèves ne sont plus là uniquement pour ingurgiter les savoirs. On essaye de changer les schémas que les uns et les autres peuvent avoir d’eux-mêmes. On essaye de travailler autrement en se percevant autrement. Ce relationnel a l’air donc plus apaisé, il y plus de dialogue.
En ce qui concerne les chiffres, Escale a beaucoup évolué depuis ces 3 dernières années. Au début, on était une dizaine d’enseignants et de personnels de direction intéressés pour créer ce dispositif. Aujourd’hui, il y a 13 animateurs d’atelier, je m’occupe pour ma part de coordonner le dispositif. La direction nous suit également. Ils s’occupent de la communication du dispositif auprès des familles. La direction m’aide aussi pour des questions de logistique, les emploi du temps de Pronote notamment. Le secrétariat m’aide pour les dossiers à monter pour l’élève (documentation, autorisations de sorties etc.). Le gestionnaire aide également pour financer l’atelier cuisine (on a besoin se sortie d’argent tous les 15 jours). Finalement, les 5 personnels de direction et d’administration participent au dispositif, tout comme les 3 CPE qui s’occupent de la communication entre l’équipe pédagogique, l’élève et les familles. Il a 25 tuteurs et une quarantaine de professeurs qui font remonter les noms des élèves qui pourraient participer à Escale.
On est donc une cinquantaine d’adultes qui participent à hauteur de ce qu’ils peuvent faire.
Pour reprendre votre question, notre évaluation est très axée sur du ressenti, qui est reconnu par l’ensemble de l’équipe et justement l’ensemble de l’équipe éducative s’est mobilisée au fur-et-à-mesure et participe au dispositif.
C’est donc un projet qui évolue sans cesse ?
En effet, chaque année, certains ateliers sont maintenus, d’autres évoluent et de nouveaux apparaissent. De même certains collègues laissent leur place à d’autres qui souhaitent devenir animateur d’atelier. Cette année par exemple, la collègue d’Ulis a intégré escale et co-anime un atelier stop-motion avec la collègue de français. Les animatrices de l’atelier cuisine réfléchissent à la production d’un livre de recettes à partir des productions des élèves. Dans la mesure où nous proposons de la pédagogie de projet et de détour, escale est comme une boîte à idées qui permet à ceux qui le souhaitent d’y proposer des choses. Ainsi on a une équipe qui tourne et qui s’empare du dispositif.
Combien avez-vous d’élèves qui participent au dispositif ?
Cela évolue un peu puisque nous faisons également des sessions exclusivement réservées aux élèves de 3ème. Certains sont en grande difficulté, entre autre pour leur rapport de stage écrit et leur oral. Ces sessions spéciales ne visent pas le raccrochage mais visent plutôt un soutien. Nous faisons aussi des sessions particulières pour les élèves de 3ème UPE2A (élèves allophones) et qui doivent rendre un rapport écrit en langue française. Pour résumer, 210 élèves ont participé au dispositif en 3 ans, ce qui fait environ 70 élèves par an, soit 10% des élèves du Collège.
Comment faire dans le cas d’élèves pour qui le dispositif s’est révélé être un échec ?
Effectivement Escale peut avoir des effets sur une longue période, mais aussi sur une courte durée. Ca peut aussi faire effet plus tard. Le tutorat est vraiment la bonne solution pour nous, parfois de courte durée, mais aussi parfois sur une période longue. J’ai personnellement des élèves que je suis depuis 3 ans, à leur demande.
La réforme des collège a-t-elle freiné, favorisé la continuité d’Escale ?
Nous n’avons pas vu de vrai changement. A chaque DHG, le Chef d’établissement met de côté un certain nombre d’heures pour escale, et ce, de façon tout à fait transparente. Notre Chef d’établissement est convaincu du bienfait de ce dispositif, ce qui est un soutien important pour nous. En effet, cette année le collège n’a pas bénéficié des 18H du poste d’appui, mais les heures ont tout de même été attribuées. Notre collège REP+ bénéficie de moyens qui nous permettent à la fois de maintenir Escale mais aussi de poursuivre les projets des autres collègues de l’établissement. Cependant, le jour où nous aurons une dotation moins importante ou un changement de direction, on pourrait voir Escale disparaître entre le mois de juin et septembre. C’est un risque que nous craignons beaucoup. C’est une des raisons d’ailleurs qui nous a poussé à participer au Forum des Enseignants Innovants pour à la fois exporter le dispositif, mais également avoir une reconnaissance. Et on est particulièrement satisfaits puisque nous avons reçus un prix cette année.
Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut