Que faire après Timss ? Les résultats désastreux des écoliers français dans l’évaluation internationale Timss imposent de revoir l’enseignement des maths au primaire. Professeur à la Haute Ecole de Pédagogie de Lausanne (Suisse), un pays bien classé dans les évaluations internationales, Thierry Dias propose 4 leviers pour l’enseignement des maths dans un petit livre clair et pratique : » Nous sommes tous des mathématiciens. Des clés pour faire aimer les maths à tous vos élèves » (Magnard). Pour lui, nul besoin d’aller à Singapour. Les solutions sont à notre portée…
Enseigner les maths, Thierry Dias a commencé à le faire aux Minguettes, un quartier très populaire de Vénissieux. « Quand on ne sait pas faire son métier, on va le faire là où c’est le plus difficile », remarque-t-il. Après quelques années d’exercices à Givors, dans un autre quartier prioritaire, il intègre les nouveaux IUFM comme formateur avant de continuer sa carrière à la Haute Ecole de Pédagogie de Lausanne.
Les résultats de Timss sont désastreux pour la France qui se retrouve avec le plus mauvais score de toute l’Europe. Comment expliquez vous ces résultats ?
Il y a bien sur plusieurs facteurs. Le premier qui me vient à l’esprit c’est la formation des enseignants. Avant de renaitre avec les Espe, elle a connu des années de destruction avant d’être brutalement supprimée sous Darcos. J’ai connu l’Ecole normale (centres de formation qui ont précédé les IUFM NDLR). Les futurs enseignants y suivaient deux années de formation avec un volume d’heures de cours conséquent sur les fondamentaux. En IUFM, les étudiants n’avaient pas la moitié de heures dispensées en Ecole normale.
Il y a eu une véritable déliquescence graduelle de la formation des futurs enseignants du primaire. En plus on privilégiait l’alternance mais ces heures où les étudiants faisaient des remplacements se faisaient au détriment de leur formation. Pour des étudiants qui ont souvent de grandes lacunes en maths c’était insuffisant.
Ici en Suisse, il y a un vrai investissement dans l’éducation. Les futurs enseignants du premier degré suivent 3 années de formation avec un niveau d’exigence très supérieur. Notamment les notes ne se compensent pas : il faut que les étudiants soient bons partout. On peut déplorer l’absence d’ambition de la politique de formation en France.
Pourquoi cela concerne particulièrement les maths ?
Parce que els professeurs des écoles viennent très rarement de formations universitaires scientifiques. Leur formation mathématique remonte loin en arrière ou même ils ont connu des difficultés en maths. Ils ont connu un enseignement des maths très traditionnel. Les enseignants se revendiquent souvent du constructivisme mais en réalité peu le mettent en pratiques en maths.
Vous revendiquez dans votre livre » Nous sommes tous des mathématiciens » une autre façon d’enseigner les maths ?
Oui je propose de s’appuyer sur 4 clés qui sont le jeu, les rituels, l’investigation et la narration.
Le jeu convient tout à fait pour découvrir une nouvelle notion. C’et un formidable outil d’observation des élèves. On les regarde jouer et on voit ce qu’ils sont capables de faire, qui a des connaissances, qui sait les mettre en action. Plutôt qu’un rappel de notions verbales en début de cours, le jeu va être beaucoup plus efficace.
Et puis, le jeu réconcilie les élèves avec le plaisir des maths. C’est en soi aussi une clé. J’ai vu que les nouveaux programmes français mentionnent le jeu et c’est très bien.
Je crois aussi beaucoup aux rituels. Ils sont indispensables pour faire fonctionner ses connaissances. Longtemps la répétition n’a pas eu bonne presse. Mais je veux la réhabiliter. Une des clés de la réussite en maths c’est prendre le temps de faire fonctionner ce qui a été appris. La régularité du rituel ne lasse pas les élèves. Ce qui pourrait les lasser c’est la durée du rituel qui doit toujours être bref. Si on fait 10 soustractions tous les jours on ne s’entraine pas. Si on en fait une ou deux par demi journée, on apprend.
La difficulté du rituel est ailleurs : c’est la question de la différenciation. Il faut que l’activité rituelle convienne à tous les enfants qui ont des niveaux différents.
Comment faire pour que chaque élève ait son dû ?
Il faut se créer des outils qui pourront être réutilisés ensuite. Mon livre en propose aussi et ma page Facebook donne des exemples de mise en pratiques. Un bon exemple c’est « le nombre du jour ». Tous les jours on fait travailler les élèves autour d’un nombre. Ca peut être dessiner le nombre, donner le nombre moins 10 ou plus 10, ou simplement le nombre d’après. Ca permet de bien différencier.
Les nouveaux programmes mettent l’accent sur la démarche d’investigation et votre livre aussi. Mais vous évoquez la narration. En maths la narration c’est quoi ?
Ca vient d’une réflexion que je mets en oeuvre, avec une équipe de dessinateur et d’auteurs, dans une nouvelle collection chez Magnard. On a constaté que les principes fondamentaux du récit en français ont beaucoup d’aspects en commun avec la résolution de problème en maths. On prend donc appui sur une mise en histoire pour travailler la résolution de problème. Le problème est mis en forme de petite histoire.
Cette approche a deux avantages. Ca permet de faire des liens entre des connaissances en maths. C’est une activité que les élèves ont du mal à faire. Ensuite ça permet aussi d’utiliser les connaissances mathématiques dans un contexte autre que la résolution de problème qui souvent paralyse les élèves.
Après la publication de Timss de nombreux médias ont vanté la méthode de Singapour. Qu’en pensez vous ?
Ce qui plait surtout dans la méthode de Singapour, c’est le mot Singapour. Sur le plan didactique elle n’a rien d’extraordinaire. On met en avant des histoires pour entrer dans les apprentissages mathématiques et c’est très bien. Surtout elle consacre beaucoup de temps à l’entrainement. Du coup on ne laisse peut être pas assez de place à l’investigation et la résolution de problème. Ce qui est bien c’est qu’elle donne toute sa place à l’entrainement et aux exercices.
Quels remèdes peut-on recommander pour sortir de la crise de l’enseignement des maths au primaire ?
La priorité ce serait d’avoir une politique éducative ambitieuse avec une formation des enseignants ambitieuse. Mais on peut recommander des choses immédiatement. Pour les enseignants qui ne sont pas à l’aise en maths, il faut leur dire de ne pas entrer dans les apprentissages avec une tache complexe ou une résolution de problème. Ils doivent expérimenter des façons plus rassurantes comme le jeu.
La tache complexe est plus exigeante. Elle nécessite déjà une bonne gestion de la classe. Quand on propose une résolution de problème elle n’apporte quelque chose qu’aux élèves qui ont réellement résolu le problème. Elle apporte peu aux autres. Or souvent c’est une minorité qui a réussi le problème. Donc je crois qu’il faut entrer par le jeu et les rituels plutôt que de le faire avec des choses plus complexes.
Propos recueillis par François Jarraud
Thierry Dias, Nous sommes tous des mathématiciens. Des clés pour faire aimer les maths à tous vos élèves. Magnard ISBN 978-2-210-50184-3