Il est difficile voire impossible, quand on enseigne, de ne pas s’inspirer, consciemment ou pas, du travail des autres. Le groupe d’élève confronté à son travail de TPE n’échappe pas à cette difficulté, tout comme l’enseignant qui prépare ses cours. Car nous n’inventons pas vraiment beaucoup, mais nous « recyclons » de nombreuses informations et savoirs collectés ici ou là. Et cela est normal. Et pourtant la lutte contre le plagiat est une activité récurrente. Est-ce que copier-coller, s’inspirer, reprendre des idées perçues ici où là c’est plagier ? Ou alors, est-ce que plagier c’est avoir l’intention de reprendre les travaux des autres en vue d’un profit ou à défaut une économie ? Enfin le simple copier-coller, est-ce du plagiat ? A l’heure où nous avons pu détecter des reprises habiles de textes préexistants mais difficilement détectables par l’analyse des simples similarités de forme, il faut se questionner sur le fond.
Comment rendre inintéressant le plagiat
Sur un certain nombre de sujets, il est difficile de ne pas s’appuyer sur le travail des autres. C’est d’ailleurs ce que l’on demande d’expliciter au chercheur qui publiant son travail le situe, le plus souvent, dans le paysage des autres travaux sur le sujet. Le droit de citation permet d’ailleurs de rendre visible ces emprunts. Pour peu qu’on prenne la peine de situer ces citations dans le cadre du travail et de la pensée de l’auteur initial, cela est même une vertu que de reconnaître ces quelques emprunts. Car les connaissances nouvelles ne sont pas aussi nombreuses que cela… Il suffit d’analyser le long et patient travail d’accumulation de données, d’informations, d’observations de certains pour se rendre compte de la difficulté.
De « la main à la pâte » au Travaux personnels encadrés et autres travaux des élèves, la question de la production de documents appelle tout de suite celle du copier-coller, voire du plagiat. Peut-on réinventer la science et ses découvertes à 10 ans ou à 18 ans ? Probablement non, mais avec certitude on peut l’interroger, en particulier par la mise en œuvre de ses méthodes. Quand on met des élèves en situation d’expérimentation scientifique, comme les grands, on les met surtout devant la démarche scientifique. Celle-ci impose de se questionner, de mettre en place un dispositif pour étudier la question, de recueillir des données (obtenues) et de les analyser pour enfin en rendre compte.
Celui qui copie ou plagie va s’économiser beaucoup de temps mais s’aliéner beaucoup de compétences. En effet il ne saura rien de la démarche… Dans un système qui ne valorise que le produit fini, la rentabilité de ce genre d’attitude est claire (à condition de ne pas être mis en cause pour cela). Dans un système qui s’oriente au moins autant sur la démarche que sur le produit, alors on peut arriver à un équilibre et rendre inintéressant toute forme de plagiat. Plus largement, les formes de l’évaluation et les idées qui les sous-tendent peuvent avoir un effet provocateur ou tout au moins inciter à la copie, au plagiat.
Le plagiat, un dopage ?
Le processus est-il plus important que le produit ? Il n’y a pas de produit sans processus. Les spécialistes de la contrefaçon le savent bien : économiser de la recherche et développement est le nerf de la guerre, tant qu’on n’est pas réprimé. Dans l’enseignement et l’apprentissage, négliger le processus peut avoir des conséquences mais elles sont parfois moins significatives que celles qui consistent à n’accorder de l’importance qu’au seul produit.
Si l’enseignant oublie le processus et sur valorise le produit, on peut penser que l’élève en fera autant. Malheureusement, l’évaluation de ce qui est en amont du résultat est souvent bien difficile à mener. Il suffit d’étudier ce qui se passe autour des livrets de compétences et du socle commun pour s’en rendre compte. Évaluer une compétence, et en particulier l’évaluer en train de se faire, c’est compliqué. Acquise, en cours d’acquisition, non acquise : cela a peu de sens, surtout quand on observe qu’une compétence observée comme maîtrisée à un instant t peut ne plus l’être à l’instant t2. De plus nombre d’enseignants discutent de la finesse des indicateurs de compétences quand ce n’est pas tout simplement de leur intérêt. Finalement avec une note sur un produit, au moins, tout le monde comprend !!! Mais comprend quoi ? rien en réalité d’autre que le refus par l’enseignant de valider une « performance ». Rien ne sert ici de reprendre le refrain de la docimologie… et pourtant.
Revenons alors à l’intérêt du plagiat, de la copie pour l’élève. Dans un univers de concurrence, certains ne rechignent pas à dire « tous les moyens sont bons ». L’analyse des dérives de certains sportifs, face au dopage, montre que nous sommes tous très vulnérables… Une étude récente sur la pharmacopée des alpinistes amateurs qui tentent de gravir le Mont Blanc a révélé l’ampleur du problème : plutôt que de renoncer à la performance, je préfère me doper. Une telle attitude mentale est évidemment à rapprocher de ces enseignants, étudiants, chercheurs, qui copient, collent, plagient, trafiquent les observations, pour obtenir un résultat. Car au-delà de la psychologie, il s’agit aussi d’une question, a minima d’éthique, mais surtout d’honnêteté. Le plagiat est aux travaux intellectuels ce que le dopage est aux activités sportives !
Eduquer les éducateurs ?
Le plagiat est évidemment associé au terme d’intention. A la différence du simple copier-coller, qui est surtout une naïveté, le plagiat nécessite une organisation, une conception qui en plus (naïveté exceptée) suppose une bonne technique. Cet étudiant, ou encore ce professeur, qui ont simplement copier en grande partie un texte préexistant, pour passer une porte, un recrutement, un examen, sont surtout des ignorants qui s’ignorent. Quand il y a véritablement réécriture, emprunt, modification partielle, en vue de rendre compliqué la détection de la copie, alors on a affaire à ce que l’on peut qualifier de tentative d’escroquerie. Encore faut-il que cela soit détecté !
C’est pourquoi, si l’on veut être plus efficace la lutte contre ces pratiques, il faut refuser les travaux rendus en dernière minute, sans possibilité de les voir en train de se construire. Avant même d’avoir à condamner, il faut montrer au plus vite notre vigilance. Malheureusement, certains enseignants eux-mêmes considèrent que ce n’est pas si grave que cela…Ils deviennent alors complices et donc à la base de nouvelles injustices dont certaines peuvent, bien sûr, avoir d’importantes conséquences…. Avant même d’éduquer les autres, les jeunes, il faut que les adultes soient conscients de leurs propres pratiques…
Bruno Devauchelle