L’élève qui travaille avec son smartphone personnel modifie-t-il son rapport aux savoirs, aux apprentissages, à l’établissement scolaire ? Comment concrètement mettre en place au collège un dispositif de BYOD (« Bring Your Own Device » : « apporte ton propre matériel ») ou PAP (« Prenez vos Appareils Personnels ») ? Comment même modifier l’espace-classe pour que l’élève y soit plus actif et plus autonome ? Autant de questions essentielles auxquelles se confrontent Brice Sicart et David Cohen, professeurs d’arts plastiques dans l’académie de Nice. Retour sur leurs expériences et leurs projets, présentés au Forum des Enseignants Innovants 2016.
Vous permettez à vos élèves d’utiliser en cours d’arts plastiques leurs outils numériques personnels : pour quels usages exactement ? avec quelles applications ?
L’expérimentation « smartphone » a été lancée il y a deux ans. Soutenue par nos chefs d’établissements, notre IA-IPR Mme J. Rouch, la Dane et la Cardie de notre académie, ces usages visent à remédier au non-déploiement massif d’équipements numériques dans nos établissements, ainsi qu’à la faisabilité d’intégration d’une utilisation pédagogique encadrée d’un outil personnel n’appartenant pas à la sphère scolaire. Les salles d’arts plastiques sont dotées d’une dizaine de tablettes depuis 2011 achetées sur fonds propres. Après avoir expérimenté cet outil, nous voulions transposer les pratiques déjà ciblées (retouche photo, montage vidéo, lecteur QR codes et prise de notes) aux équipements individuels des élèves. Une des difficultés a été de trouver des applications gratuites, équivalentes, pour chacun des trois systèmes (iOS, Android et Windows). Les pratiques ciblées sont adaptées aux attendus des programmes de notre discipline mais sont transposables aux autres disciplines.
L’usage des smartphones est officiellement interdit au collège : avez-vous dû faire face à des comportements inadaptés ? comment parvenez-vous à surmonter les potentielles dérives qui risqueraient d’effrayer certains ?
Nous avons mis en place un protocole : information des parents, vote en conseil d’administration d’un avenant au règlement intérieur, charte d’usage, liste des applications, et surtout, ce qui est le plus chronophage, connexion des smartphones au réseau pédagogique sécurisé (émis en wifi, proxys différents par modèles). Sur deux collèges et un lycée (section arts plastiques), soit à peu près 1000 élèves, peu de cas de débordements sont à noter (5 écarts mineurs). Le rythme des séquences (55mn / semaine) et la structure même des séances, couplés à une confiance (qui n’exclut pas une surveillance accrue et une posture enseignante repensée), ont pour conséquence une responsabilisation des élèves, ceux-ci utilisant leurs smartphones à des fins de productions pédagogiques plutôt qu’à des activités proscrites.
Le dispositif peut a priori apparaitre compliqué sur le plan technique : comment vous en sortez-vous pour gérer l’inégalité d’équipement, la diversité du matériel, la connexion internet, la récupération des travaux … ?
Le problème de la connexion sécurisée a été simple à régler (avec le soutien de la DANE), mais assez long à mettre en place. Après un an et un trimestre d’usage, il reste important d’accompagner les élèves vers plus d’autonomie quant aux problématiques de connexion au réseau pédagogique sécurisé (un affichage est prévu en classe à cet effet). Certains cherchent d’autres applications. Nous nous appuyons sur ces échanges réflexifs pour enrichir la liste des applications utiles (toujours gratuites dans un souci d’égalité républicaine). Il est à noter qu’une des prérogatives de départ était de fournir des tablettes aux élèves non pourvus de smartphones (après enquête, ils sont entre 5% et 10% selon les établissements et les niveaux). La question de la récupération des productions est sensible : nous avons opté pour un micro-serveur kanex (qui permet l’échange de données). Nous utilisons aussi régulièrement nos ENT et leurs groupes de travail.
En quoi le fait pour un élève de travailler avec son outil personnel transforme-t-il, voire améliore -t-il, son rapport à l’Ecole et au savoir ?
Le climat scolaire est apaisé, car fondé sur la confiance : la bienveillance est nécessaire afin de favoriser un rapport enseignant / élève renouvelé. L’atmosphère de travail est sereine car balisée (techniquement, réglementairement et pédagogiquement). La possibilité de produire en classe et hors les murs, de garder dans son smartphone les cours (QR codes) et les productions, de les videoprojeter en direct (systèmes AirPlay et Miracast) rend les cours plus dynamiques et l’élève plus impliqué car acteur de ses apprentissages. Il peut montrer, regarder, être questionné, directement depuis son appareil, sans échange de mails ou autres manipulations chronophages.
Vous lancez aussi un projet de refonte de l’espace classe intitulé « Classelab » : de quoi s’agit-il ? quels sont ici les objectifs ?
Le projet Classelab suit la logique de tout ce qui a été engagé depuis 2009 (évaluation par compétences, tablettes, smartphones). Il vise à repenser l’environnement de l’espace classe en le rendant plus modulaire. Nous avons changé le mobilier (achats avec l’appui et la bienveillance de nos chefs d’établissements, où fabriqué par nos soins) : espaces de production (plastiques et numériques), espaces d’échanges collaboratifs (plus confortables et adaptés à ces pratiques), espace vidéo (fond vert, tablettes et applications de montage). Un espace et un mobilier auxquels l’élève n’est plus « soumis », mais au contraire un espace qu’il choisit d’adapter aux pratiques pédagogiques engagées. Nous construisons ces espaces au fur et à mesure, et notre réflexion se trouve appuyée par nos échanges avec le dispositif européen Future Classroom Lab et ses ambassadeurs (comme Xavier Garnier, rencontré lors de rencontres et forums, ce qui permet d’échanger, de confronter, et ainsi d’avancer plus vite dans nos réflexions).
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut