Ce n’est pas l’OCDE que la FSU est allée chercher pour faire face au programme éducatif des candidats de droite mais les Français eux-mêmes. A l’occasion du colloque « Pour la réussite de tous les élèves » qui s’est tenu à Paris les 6 et 7 décembre, la première organisation syndicale de l’enseignement a dévoilé un sondage d’opinion qui montre que les Français sont conscients qu’il faut continuer à investir dans l’École. Ils sont aussi mécontents de leur École et considèrent qu’elle décline. A la veille des élections, la Fsu invite les enseignants à relever le défi de la réussite et à préparer la résistance.
Pour l’observateur qui sort des présentations bien huilées de l’Ocde, puisque l’évènement se tient au moment même de la parution de Pisa, un colloque de la Fsu a un petit côté suranné. Les interventions très remarquées des experts (JP Delahaye, N Mons, S Bonnery, B Falaize) alternent avec les déclarations fleuves des différents syndicats, style années 1950…
Des Français critiques envers l’École…
Mais face à Pisa et ses mauvaises nouvelles, la Fsu dresse un double barrage assez efficace. D’abord avec la publication d’un sondage d’opinion qui montre que les Français sont lucides sur les difficultés de l’École mais pas prêts à jeter le bébé avec l’eau du bain. Ensuite en alimentant la réflexion de ses militants sur les difficultés de l’École et en les invitant au changement. Double effort un peu tardif mais qui montre que la fédération prépare la résistance.
Reposant sur la consultation d’un millier de français majeurs, le sondage Harris porte sur les exigences des Français, leur jugement sévère sur l’École et les moyens à mettre en œuvre pour y remédier.
Les exigences des Français c’est très clairement que l’École doit donner les mêmes chances de réussite à tous les élèves (77%). Cela vient avant la transmission des connaissances et des valeurs. C’est le premier objectif qu’ils fixent à l’éducation et ils savent que l’École ne l’atteint pas. Bien avant la publication de Pisa, les Français mettent l’accent sur le vrai point faible de l’École. S’ils mettent en avant les valeurs de discipline et d’autorité, concrètement ils demandent une école solidaire et c’est une bonne nouvelle.
Le mécontentement envers l’École est pourtant massif. 77% des Français estiment que l’École fonctionne mal. 67% estiment que la situation s’est dégradée sur la décennie, c’est dire que la refondation et les réforme n’ont pas convaincu.
Mais qui veulent davantage de moyens
Comment faire pour redresser l’École ? Les Français demandent davantage d’enseignants. 85% pensent que réduire le nombre d’élèves par classe est efficace pour faire réussir tous les élèves. 75% jugent que c’est « augmenter le nombre d’enseignants », ce qui confirme le premier vœu. 90% jugent le travail en petit effectif favorable à la réussite. En seconde position, ils privilégient des mesures pour l’insertion professionnelle comme l’apprentissage et davantage aider les élèves dans leur orientation. Les Français sont aussi convaincus à 73% que davantage d’autonomie donnée aux établissements serait efficace. 65% pensent qu’il faut augmenter la mixité sociale.
C’est un mixte continuité et rupture que demandent les Français. L’École que veulent les Français serait donc à la fois plus autoritaire et manageriale mais dotée aussi de davantage de moyens. Surtout ils gardent l’objectif social de réussite de tous les élèves.
Quelle pédagogie pour la réussite de tous ?
Second rempart, la Fsu manifeste son ouverture aux discours des experts en invitant des spécialistes qui peuvent être assez éloignés du discours de la fédération. Jean Paul Delahaye, ancien directeur de l’enseignement scolaire, a été vivement applaudi le 6 décembre quand il a évoqué la dureté de l’École envers les pauvres. Nathalie Mons a pu présenter les analyse du Cnesco.
Le 7 décembre Stéphane Bonnery est intervenu sur la démocratisation scolaire. Il a montré comment les inégalités se déplacent dans le système éducatif au fur et à mesure de la démocratisation du collège puis du lycée. Mais l’essentiel de son propos a été de montrer le décalage entre une école qui accueille majoritairement des enfants de milieu populaire, contrairement à ce que beaucoup pensent, et les exigences d’une École faite pour les enfants des milieux privilégiés.
Il a fait une démonstration brillante sur l’implicite des manuels scolaires et l’écart croissant entre les attentes de l’École et la culture des familles. Pour lui, « le modèle de l’élève des manuels est celui qui a des connivences avec l’école ». Il montre comment les manuels sont préparés à occuper certains élèves avec des tâches de bas niveau et à laisser travailler les autres sur des réalisations de haut niveau. Autrement dit, les manuels participeraient à une guerre scolaire creusant les inégalités.
Il invite donc à « penser son cours en pensant à quel modèle d’élève on s’adresse » tout en ne renonçant pas aux exigences. Il critique ainsi la question de la différenciation qui mène souvent à donner des objectifs différents aux élèves.
Laïcité et réussite
Benoît Falaize a mené une intervention rapide mais brillante sur la laïcité à l’École. Derrière la question de la laïcité, il y a celle de l’islam considéré comme incompatible avec la démocratie et pour certains avec l’vcole. Il a montré comment l’École avait participé à la construction d’un identitaire religieux pour les enfants issus de l’immigration.
Que faire ? Porter réellement les valeurs de l’École et de la République. Être vraiment tolérant et fraternel. Une double exigence qui ne va pas de soi tant les stéréotypes et la culture de l’École vont contre. Peut-on parler de fraternité entre l’enseignant et sa hiérarchie ? Reconnaît-on réellement les convictions religieuses dans l’École ?
L’appel à résister de la Fsu
Il revenait à Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, de conclure le colloque en lançant une sorte d’appel à la résistance. « Pour maintenir une même ambition pour toutes et tous, il faut se doter des moyens et donner les outils aux enseignants », dit-elle. « Il faut donc centrer les efforts sur les conditions de scolarisation, dont la question des effectifs qui n’est pas un faux sujet, la pédagogie, avoir une grande vigilance et poursuivre les débats sur ce qui est et doit être enseigné, développer un plan ambitieux de formation initiale et continue des enseignants et de tous les personnels, développer la recherche… N’en déplaise aux pourfendeurs de la dépense publique, il faut poursuivre les efforts budgétaires engagés (postes, crédits), tout simplement parce que l’Éducation n’est pas un coût pour la société mais un investissement pour aujourd’hui et pour demain ».
« Nous sommes à l’opposé des propositions de certains candidats qui, en toute méconnaissance de la réalité du terrain, proposent encore d’augmenter le temps de travail », continue-t-elle. « L’heure n’est donc ni au bricolage ni au renoncement. Elle est à l’engagement total pour l’éducation et la formation ».
Une volonté qui devra passer par une union syndicale plus large qui ne va pas être simple à construire.
François Jarraud