Emmanuel Macron et Pap Ndiaye se rendront à Marseille le 2 juin pour une visite sur le thème de l’éducation. La première sortie publique de Pap Ndiaye sera très symbolique. Elle se fera avec E. Macron et pour appliquer une politique voulue par l’Élysée et mise en œuvre par son prédécesseur. Emblème du macronisme, le projet « Marseille en grand » en marque aussi les limites. Sur le terrain il a dû accepter de nombreux accommodements. Sur le plan des idées, ce n’est qu’une résurgence d’un vieux projet conservateur. La « refondation » de l’École annoncée par E Macron est un voyage dans le passé…
Une « refondation » libérale
Après les déceptions de la politique des dédoublements, Emmanuel Macron a annoncé le 2 septembre à Marseille une transformation libérale de l’école. « Il faut qu’on ait des directeurs d’école à qui on permet d’avoir un peu plus d’encadrement. Il faut que ces directeurs d’école ils puissent choisir l’équipe pédagogique… On doit permettre peut-être d’avoir des aides en plus des enseignants en plus, d’être doté de moyens, d’adapter les rythmes scolaires pour les enfants, de penser le temps sportif différemment grâce aux infrastructures qu’on veut aussi mettre en place, de penser le temps culturel à côté de l’école différemment et de permettre de le faire, et… de pouvoir d’abord choisir les enseignants qui y sont, être sûr qu’ils sont pleinement motivés, qu’ils adhèrent au projet », avait dit E Macron le 2 septembre. Il ajoutait que dans ces 50 écoles « on pourra adapter, repenser les projets d’apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours, les façons d’enseigner, et qu’on puisse commencer dès la rentrée 2022-2023. Et évaluer ensuite ces résultats et, s’ils sont concluants, les généraliser ».
Ce projet revient lors de son discours pour l’élection présidentielle le 17 mars. « Je veux que les directeurs aient la possibilité de récuser des profils et participent à la décision », dit E Macron. « Il ajoute : « Cela permettra de luter contre l’absentéisme. Si un directeur veut porter un projet pédagogique, il est légitime qu’il ait une équipe qui adhère à ce projet. Donc je veux lui donner plus de liberté ».
Une expérimentation bien engagée
Si E Macron revient à Marseille le 2 juin c’est que, depuis septembre, le projet a démarré. Après des moments de flottement où les propos du ministre de l’éducation et ceux du préfet en charge du projet à Marseille n’étaient pas totalement concordants, le projet des 50 écoles est maintenant porté par 58 écoles marseillaises. A tel point que Jean Castex, venu signer l’accord avec le maire de Marseille le 14 décembre, se félicitait. « Nous assumons qu’il faut expérimenter des chemins nouveaux, l’autonomie des établissements, les responsabilités confiées aux directeurs plus importantes… Nous allons donc essayer d’aller plus loin et c’est avec une grande satisfaction, je vous le dis, que je constate que dans 58 écoles de Marseille, des enseignants, des équipes pédagogiques ont fait le choix de s’engager dans ce projet pédagogique innovant, expérimental que le chef de l’État a appelé ici à Marseille ».
Il y a en fait deux projets scolaires associant l’État et la ville de Marseille. Au départ les deux devaient se rejoindre. Mais ce n’est plus le cas. Il y a un programme de rénovation ou reconstruction de 174 écoles. Les travaux seront faits par une société associant l’État et la Ville. L’État apporte 400 millions à cet effort exceptionnel, résultat d’une gestion municipale très déficiente pendant les années Gaudin.
Et puis il y a le projet éducatif. A l’origine les écoles faisant partie du projet « Marseille en grand » devaient aussi être rénovées. Mais ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui. L’État est aux commandes de ce projet auquel il consacre 2.5 millions. Chaque école participant au projet dispose de 40 000 € pour financer son projet pédagogique.
Un succès et des accommodements
Si, en septembre, une quarantaine d’écoles avait fait savoir qu’elles refuseraient d’entrer dans « Marseille en grand » et si une pétition avait eu un certain succès, ce mouvement s’est vite arrêté. Des écoles ont d’autant plus sauté sur l’occasion de bénéficier de la manne présidentielle que la gestion municipale précédente les a privées de tout. Aujourd’hui dans les 58 écoles retenues toutes ne font pas partie de l’éducation prioritaire, contrairement à ce qui était prévu au départ. Toutes ne font pas non plus partie des écoles à réhabiliter.
Mais ce succès relatif est dû aussi aux compromis qu’a dû accepter l’équipe présidentielle. S’il est probable que l’idée du directeur choisissant ses professeurs pour constituer une équipe autour d ‘un projet soit encore agitée le 2 juin, la réalité est bien différente.
D’abord parce que les 58 écoles ont gardé les directeurs et enseignants qui étaient déjà en poste, à l’exception d’enseignants qui ont voulu quitter le projet. Le directeur fait donc généralement avec son équipe.
Le directeur ne choisit pas « ses » enseignants. Sur ce point le ministère a dû reculer. JM Blanquer voulait transformer les postes en postes à profil. Finalement ce sont des postes « à exigence particulière ». Les candidats au poste passent devant une commission composée de deux inspecteurs, d’un professeur de l’école et du directeur qui émettent un avis favorable ou défavorable. Le choix se fait ensuite en tenant compte du barème.
Des projets pédagogiques recyclés
L’inspection académique a publié une trentaine de fiches de postes qui présentent les projets et les exigences du recrutement. On trouve ainsi plusieurs projets de promotion de la santé, à peu près identiques d’une école à l’autre. Une autre école essaie un comité de pilotage avec trois pôles : « relations avec les familles », « santé soins », et « collectif enseignants ». Plusieurs projets renvoient aux arts comme élément pour le développement cognitif des élèves. On a des projets développement durable ou encore laboratoires de maths ou encore des projets portant sur la relation à la famille.
« Beaucoup de projets présentés dans le dispositif « Marseille en grand » existaient déjà avant », explique Virginie Akliouat, secrétaire départementale du Snuipp Fsu 13. En fait de projet « innovant », les équipes ont recyclé leur projet d’école quitte à abuser du mot « innovant » dans la fiche de poste. Très peu de fiches de postes exigent des compétences particulières pour les enseignants prétendant à un poste. Finalement, la vitrine éducative du président ressemble beaucoup à ce qui existait avant sauf sur le plan budgétaire.
« La rénovation du bâti était attendue », nous dit V Akliouat. « Et côté expérimentation les collègues voient l’apport financier d’un bon œil. Ils auront les moyens de faire leur travail correctement. Mais d’autres enseignants, hors expérimentation, trouvent scandaleux de donner plus à certaines écoles qu’à d’autres ». Parfois le même groupe scolaire est divisé entre une école élémentaire qui perçoit la manne présidentielle et une maternelle qui n’a rien…
On a là la limite de l’expérimentation. « Macron ne mettra pas 40 000€ dans toutes les écoles de France », dit V Akliouat. « L’affectation ne doit pas être liée à des financements de projets. Rien ne justifie qu’il faille avoir des compétences particulières pour travailler dans telle école alors que l’on a tous le même concours ».
Une idéologie recyclée
L’idéologie qui sous tend cette nouvelle politique éducative vient de loin. En 2007, G de Robien avait lancé le projet des EPEP, établissements publics de l’enseignement primaire. Projet qui avorta rapidement. JM Blanquer l’a relancé dans ses livres en 2014 et 2016 et il avait annoncé dans le Nouvel Obs les pouvoirs renforcés des directeurs d’école en 2017. En 2018 le projet officiel « Cap 22 » relance l’idée. En 2018 il échoue à inclure cela dans la loi Blanquer. C’est finalement la crise sanitaire qui permet au ministre d’aller au bout de ce projet avec la loi Rilhac. Elle donne une « autorité fonctionnelle » aux directeurs d’école dont le contenu sera précisé dans des décrets pas encore publiés.
« On a vu les prémisses de la loi Rilhac dans l’expérimentation « Marseille en grand », nous dit V Akliouat. « On voit les directeurs associés au recrutement. Des HSE versées pour payer des heures de réunion. Un budget à gérer pour les écoles. Mais cela va créer des tensions et isoler les directeurs d’école ».
C’est ce vieux projet que le nouveau ministre vient porter avec le président de la République le 2 juin. Avec cette première sortie officielle où le ministre appuie un vieux projet libéral, le président et le nouveau ministre prennent le risque de marquer une vieille continuité idéologique plutôt qu’une « refondation » de l’École.
François Jarraud