Par Gilles Moindrot
L’enquête internationale PIRLS a mis en évidence des résultats décevants pour l’école française. Quel regard un syndicat, tel que le Snuipp-Fsu, peut porter sur ces résultats ? Quelles perspectives l’enquête y voit-il pour l’école élémentaire ? Nous avons demandé à Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp, de réagir à cette enquête. De sa lecture très attentive, il tire arguments pour interroger l’Ecole sur ses difficultés.
Les évaluations PIRLS ( Programme international de recherche en lecture scolaire) s’adressent aux élèves de CM1. Elles classent la France en 27ème position des 41 pays étudiés, sachant que la Finlande, par exemple n’y participe pas alors qu’on pourrait lui prédire un « bon » classement (voir PISA), ou que le Canada est représenté avant la France par 5 de ses provinces.
Ce classement n’est donc pas particulièrement significatif mais il exprime quand même que le système scolaire français n’est pas parmi les plus efficaces concernant ces évaluations de lecture. La Russie, Hong-Kong, Singapour, le Luxembourg et 3 provinces du Canada occupent les 7 premières places.
Depuis 2001, les résultats des élèves français se sont légèrement dégradés, bien que l’écart statistique ne soit pas réellement significatif.
De l’ensemble des documents statistiques présentés dans PIRLS se dégagent les particularités de chaque pays, mais on ne peut pas tirer de conclusions a priori de chaque item.
Par exemple, l’enquête insiste sur l’importance de la scolarisation pré-élémentaire, pourtant il n’y a pas de lien automatique entre la position de la France sur ce sujet et ses résultats. Autre exemple, les enseignants français utilisent plus que les autres des textes longs…
Comme en 2001, les exercices des évaluations étaient centrés, à part égale, sur deux objectifs de la lecture, l’ « exposition » à la littérature, la recherche et l’utilisation d’informations. Les écarts entre les scores de ces 2 aspects ne donnent pas d’indication sur les résultats d’un pays, la France ayant de meilleurs résultats sur la partie « informations ».
Les items avaient pour but de mesurer quatre processus de compréhension en lecture :
* prélever des informations explicites
* faire des inférences directes
* interpréter et assimiler des idées et des informations
* examiner et évaluer le contenu, la langue et les éléments textuels
Les élèves français ont de meilleurs résultats sur les 2 premiers items.
Quatre points de référence ont été déterminés, « faible, intermédiaire, élevé, avancé ». 96 % des élèves français atteignent au moins le palier faible, ce qui marque un des seuls légers progrès réalisés depuis 2001. 76% d’entre eux atteignent le palier intermédiaire, 35% le palier élevé, 5% le palier avancé.
A titre de comparaison, les chiffres de la Russie sont respectivement : 98%, 90%, 61% et 19%.
Sur la majorité des données, la France ne se caractérise pas par des différences importantes par rapport aux autres, que ce soit concernant la taille des classes, les résultats des filles et des garçons (partout supérieurs pour les filles), le temps d’enseignement de la lecture…
Sur un certain nombre de points, la situation française est plutôt favorisée, l’accès aux BCD et bibliothèques, la place de la lecture dans la famille, l’équipement informatique et l’accès des écoles à internet, le nombre d’élèves parlant à la maison la langue d’enseignement.
A l’opposé un certain nombre de données montrent des différences significatives et placent la France en (très) mauvaise position :
* Si la lecture bénéficie d’une image plus positive qu’ailleurs, la perception qu’ont les élèves français de leurs capacités de lecteur est catastrophique : ils estiment que lire leur est difficile, qu’ils ont des difficultés de compréhension, que les autres élèves de la classe lisent mieux et plus vite.
* Plus qu’ailleurs, l’enseignement se pratique en classe entière.
* Les élèves bénéficient bien moins qu’ailleurs de remédiations, et peuvent bien moins bénéficier de l’aide d’un spécialiste dans l’école.
* Si le niveau d’études des enseignants est plus élevé, la place de la pédagogie de la lecture dans leur formation est bien plus faible qu’ailleurs.
* L’ enseignement est assuré en France par un pourcentage inférieur d’enseignants diplômés (enseignement fait par des PE2 et des listes complémentaires).
* Les manuels de lecture sont beaucoup moins utilisés en France, au profit de la littérature de jeunesse, d’extraits de textes et de supports divers.
* Si plus qu’ailleurs, les élèves français sont confrontés à des textes longs et des vrais livres, le travail sur la lecture informative est moins important. Les stratégies de décodage, comme l’anticipation, la généralisation, la déduction d’inférences et la description de la structure des textes sont moins enseignées qu’ailleurs.
* Bien plus qu’ailleurs les élèves lisent à haute voix pour la classe entière.
* Bien plus qu’ailleurs les élèves sont en situation individuelle de lecture silencieuse.
(Ailleurs, la lecture se fait en petits groupes de pairs.)
* Le temps de lecture dans les devoirs à la maison est beaucoup moins important qu’ailleurs, l’utilisation des QCM moins fréquente.
* Les évaluations sont moins qu’ailleurs suivies de « groupes de niveau » et servent moins à un pilotage local.
* En France, le directeur d’école enseigne le plus souvent… contrairement aux pays où il a en charge l’animation pédagogique de l’équipe.
* Les rencontres avec les parents d’élèves sont significativement moins fréquentes.
* La perception du climat des écoles par les enseignants français a chuté depuis 2001 et se trouve très en dessous de la moyenne internationale, de même que leur regard sur la carrière et le métier (39ème sur 45).
* De la même manière, le regard des parents, ainsi que l’indice de sécurité des élèves à l’école, placent la France en queue de peloton.
Les évaluations ont concerné 169 écoles françaises et 4036 élèves :
http://pirls.bc.edu/PDF/p06_international_report.pdf
Pour le SNUipp, les difficultés de l’enseignement de la lecture sont réelles. Les programmes de 2002 n’ont pas été complètement mis en oeuvre, par manque de formations, de documents d’application, et donc d’appropriation par les enseignants. Les changements successifs qui ont été apportés ces deux dernières années, loin de favoriser l’amélioration du travail dans les classes, ont surtout eu pour conséquence de semer le trouble.
Les chercheurs, comme Jean-Emile Gombert, insistent sur la difficulté particulière (par rapport à d’autres langues) de l’apprentissage de la langue française et de la lecture. Au niveau des pays francophones, seul le Québec précède de peu la France.
La formation à la pédagogie de l’enseignement de la lecture, en formation initiale ou en formation continue, est notoirement insuffisante. Elle a de plus été parasitée par les débats imposés par le ministère précédent.
Les points ci-dessus, qui montrent des écarts très importants avec les autres pays, posent des questions qu’il faut, selon le SNUipp traiter sérieusement :
* Comment rendre confiance en eux aux élèves français ?
* Comment améliorer le climat des écoles et l’indice de satisfaction des enseignants ?
* Comment travailler autrement qu’en classe entière et proposer des remédiations aux élèves dès l’apparition de leurs difficultés ?
Sur ces questions le SNUipp demande au ministère d’engager de réelles discussions et formulera des propositions en matière de formation des enseignants, d’allègement des effectifs, de travail en équipe, en petits groupes, pour transformer l’école française afin d’ assurer la réussite de tous les élèves.
Gilles Moindrot