Les travaux scientifiques sur la question de l’accompagnement scolaire sont rares. Dominique Glasman ou Choukri BenAyed sont parmi ceux qui ont le plus compilé ce qui s’est déjà produit de sérieux sur la question. De plus, lorsque des bilans sont faits sur de tels dispositifs, il s’agit parfois de rapports visant surtout à justifier les politiques mises en œuvre.
Que ce soit le travail explicitement demandé par l’école (« leçons » et « devoirs » donnés par les enseignants) ou un travail « en plus » (cours particuliers, devoirs de vacances…), tout ce qui est fait par les élèves en dehors de l’école renvoie – ou devrait renvoyer – à ce qui se fait à l’intérieur de ses murs, pose la question de la pertinence de ce travail des élèves en termes d’apprentissages, et celle des inégalités éventuelles qu’il introduit entre eux, d’autant plus que le parcours scolaire prédit de plus en plus la place sociale qu’on occupera. Il faut « autre chose que l’école pour réussir à l’Ecole ».
Le sens des devoirs, pour les élèves
« Apprendre sa leçon », l’expression reste floue pour la plupart des élèves : mémorisation, imitation, compréhension de consignes d’exercices… « Il y a des choses que je comprends en classe quand le prof explique, mais je ne comprends plus rien dans les exercices à faire à la maison » explique un élève du REP d’Echirolles. Comprendre la consigne, savoir s’organiser, distinguer l’essentiel de l’accessoire, synthétiser, mettre les connaissances en réseau sont autant de difficultés pour qui confond « tâche scolaire » et « activité intellectuelle » à mettre en route, dont la tâche scolaire n’est que le support (ou le prétexte). Au collège et au lycée, les élèves passent beaucoup de temps à remettre en ordre leurs notes, recopier leurs cours, sans que l’enseignant ne puisse savoir ce qui se passe réellement dans ces moments là, comprendre ce qui peut mettre ses élèves en difficulté. Ceux-ci en fabriquent parfois un sentiment d’injustice lorsque cet investissement est « mal payé » par une note basse.
Les études dirigées, une aide pour apprendre à comprendre le sens des devoirs personnels ?
Si l’idée peut paraître intéressante (voire évidente), elle se heurte aussi à quelques principes de réalité : d’abord parce que les élèves prennent souvent cette heure d’étude comme une punition, « une heure supplémentaire alors qu’ils pourraient être libres ». La pratique de plus en plus rare des « études dirigées » par l’enseignant du primaire avec sa classe est sans doute encore, pour certains élèves, un moment de connivence avec leur enseignant, un espace intermédiaire où la rigueur magistrale s’efface devant la connivence du petit groupe. Mais il reste souvent difficile de soutenir l’attention des élèves, d’avoir des intervenants suffisamment compétents pour que ce temps ne devienne pas un moment de chahut ou d’indiscipline.
L’efficacité des devoirs
Les recherches sur l’efficacité des devoirs sont très difficiles à mener. En effet, si telle étude conclut que les élèves qui font plus de devoirs réussissent mieux, on peut retourner le résultat et penser que c’est justement parce qu’ils sont plus en phase avec l’école qu’ils acceptent de faire davantage de devoirs… Ou à l’inverse penser que ceux qui passent le plus de temps sur les devoirs sont ceux qui ont le plus de mal à les faire… les études sont toutefois convergentes sur le primaire, où l’efficacité des devoirs semble très remise en cause.
Le type de devoir semble aussi avoir de l’importance : il semble que le travail de préparation, de mobilisation préalable sur une leçon, bref et au sens bien identifié, soit plus efficace que les devoirs de pratique, plus ennuyeux, surtout si le feed-back donné par l’enseignant sur le travail de l’élève est distant ou imprécis.
Effets positifs | Effets négatifs |
– effets académiques immédiats : meilleurs compréhension, acquisition de mécanismes, mémoire – effects académiques à long terme : attitude positive, habitude de travail – effet non académique : discipline personnelle, responsabilité, curiosité
– effets liés à l’investissement parental |
– Surcharge de travail, fatigue émotionnelle – Négation de l’importance des loisirs, des activités – Pression parentale – Tricherie entre élèves – Augmentation des écarts entre forts et faibles |
Les cours particuliers
Là encore, et paradoxalement pour un phénomène si important, peu de données fiables : une enquête de 1994 sur la région Rhône-Alpes évoque les chiffres d’un lycéen sur quatre, de un collégien sur cinq, mais avec de grandes variation d’un établissement à l’autre, d’une filière à l’autre. Mais depuis que le gouvernement a donné un coup de pouce avec la défiscalisation des services à la personne, ces chiffres ont dû augmenter. Acadomia, leader du marché qui vient de lancer un service de garde à domicile pour les enfants de 3 à 11 ans, revendique 25 000 enseignants et un chiffre d’affaires de 120 millons d’euros par an (11 à 17 euros de l’heure de cours). Le chiffre d’affaire est en croissance de 40 à 50% par an (il était inférieur à 30 millions en 1994).
Pour deux tiers des familles interrogées, ces cours ont un impact positif sur les notes et sur la mobilisation. Mais comme pour les devoirs à la maison, pas facile de mesurer l’interdépendance des variables : a-t-on de meilleurs résultats parce qu’on prend des cours, ou parce qu’on fait partie des élèves qui ont accepté de se mobiliser sur le travail scolaire ? L’enquête sérieuse est à faire… Mais une chose semble revenir dans les témoignages : l’existence d’un esapce intermédiaireentre l’école et l’élève (que ce soit un cours privé, une étude ou un atelier d’accompagnement scolaire), dans lequel on puisse poser des questions, oser avouer ses lacunes ou ses difficultés sans crainte de la sanction, trouver une oreille attentive est sans doute très utile à une meilleure estime de soi…
Accompagnement scolaire péri- et post-scolaire : inextricable ?
« coup de pouce », « permanence devoirs », « aide aux devoirs », les appellations sont multiples, mais il s’agit de la même famille : offrir aux élèves un espace gratuit (ou à très bas coût) permettant de travailler hors de l’école à une meilleure réussite scolaire. Initiés dans les années 70, largement développés dans les années 80 avec la décentralisation, il n’est aujourd’hui pas une ZEP qui ne compte sur son territoire un ou plusieurs de ces dispositifs. On estime que 150 000 à 200 000 élèves sont concernés. Parfois individuels (comme c’est le cas avec les prises en charge de l’AFEV qui s’inscrit pleinement dans le dispositif « 100 000 étudiants pour 100 000 élèves » de l’Education Nationale), souvent collectifs, ils peuvent avoir des temps spécifiques plus distanciés de la réponse à la demande scolaire, avec des activités culturelles, de conte, de sorties. Se pose alors la question de leur légitimité pour les familles, soucieuses que « les devoirs soient faits »…
Les sources de financements de ces structures sont muliples, souvent sédimentés par l’empilement des dispositifs de pilotage national d’origines diverses : le FAS, devenu FASILD, est désormais englobé par l’ACSÉ (agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), créée en 2006 (après s’être appelée quelques mois ANCSEC !) dans le but de rendre opérationnelle la politique de la Ville ; les contrats éducatifs locaux, les contrats de ville, les CUCS, les dispositifs de réussite éducative…. Les partenaires sont nombreux (collectivités territoriales, préfectures, Caisse d’allocation Familiale, Jeunesse & Sport, Education Nationale, DDASS, Caisse des Dépôts, réseaux associatifs et mutuelles…)
L’efficacité de l’accompagnement scolaire est-elle mesurable en terme de résultat scolaire ? On pourrait considérer que ce soit d’abord à l’école, à travers ses propres dispositifs d’aides (RASED, PPRE, soutien…), d’y parvenir. Mais il est nécessaire de mesurer que tous les dispositifs d’accompagnement péri-scolaire ne se valent pas. Ceux qui semblent les plus efficients (« coup de pouce – Clé », « PACQUAM ») sont ceux qui sont les moins dépendants des vissicitudes locales des financements et des ressources de compétence : ils ont standardisé leur pratiques, sont directement en prise avec le travail scolaire, qualifient et rémunèrent leurs intervenants.
Mais la fréquentation de ces dispositifs ne garantit rien de l’évolution des résultats scolaires, l’efficacité est parfois ténue, limitée selon les endroits à certains seulement, plus visible sur le « comportement scolaire » que sur les notes. Généralement, l’opinion des animateurs est plus optimiste que celle des enseignants (confiance excessive versus défiance a priori ?)
Un effet que note J-Y Rocheix : les structures d’accompagnement scolaire, pas plus que les familles, ne règlent pas les ambiguïtés des devoirs : s’agit-il de « faire le boulot demandé » ou de mettre en œuvre une mobilisation intellectuelle ? de se « mettre en règle » ou de « comprendre » ? Mais on dépasse de loin l’évaluation des dispositifs d’accompagnement scolaire.
Une problématique nécessaire : interroger les écueils de la massification, pour gagner une nouvelle étape
Cette citation du paragraphe de l’Etude de Glasman résume la nécessité impérative de ne pas se cantonner à une prescription technique sur les dispositifs à mettre en place :
« Une fois encore, des décennies après Bourdieu et Passeron, on note que l’école exige des élèves ce qu’elle est loin de toujours leur donner (Bourdieu et Passeron, 1970). Ce qu’elle ne donne pas est aussi indispensable pour réussir que ce qu’elle donne. D’où le recours à des appuis extérieurs. Dans la mesure où, de surcroît, prise par les conséquences de la massification sur la conception même des épreuves d’examen ou de concours – des épreuves que l’on puisse corriger rapidement, et que l’on puisse noter de la manière la plus « impartiale » possible – l’école développe une technicisation accrue des savoirs, il s’agit de maîtriser des savoir-faire, plus que de construire une pensée (Rohlen, 1983 ; Spyropoulos, 1996 ; Glasman et Collonges, 1994). On l’a vu, les cours particuliers non seulement fleurissent sur ce terreau, mais contribuent amplement à le nourrir. Les cours particuliers participent au soulignement des contradictions de l’école massifiée. Ce n’est pas là déplorer cette massification, mais dire que, comme toute avancée historique, elle est porteuse de contradictions que l’institution scolaire n’a pas encore su ou voulu, malgré ses transformations, surmonter.
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